MEGA BIT ET MAXI PIN SIEL DE PARIS 2011 .pdf
À propos / Télécharger Aperçu
Ce document au format PDF 1.5 a été généré par Version d'évaluation de Microsoft® Word 2010, et a été envoyé sur fichier-pdf.fr le 13/10/2011 à 21:54, depuis l'adresse IP 79.87.x.x.
La présente page de téléchargement du fichier a été vue 1272 fois.
Taille du document: 1.3 Mo (14 pages).
Confidentialité: fichier public
Aperçu du document
Edith et BEBB dédicaceront
MEGA BIT ET MAXI PIN
L’une des 10 nouvelles du collectif et collector ouvrage:
L’anthologie du Numérique
www.sieldeparis.fr/
MEGA BIT ET MAXI PIN
TEXTE : édith
http://edith-auteur.jimdo.com/
ILLUSTRATION : BEBB
http://lesmouches.canalblog.com/
24 novembre, 16h45, Paris Gare de Lyon.
Trois professeurs de lycée montent dans la voiture 8 du TGV
N°6621 à destination de Lyon Perrache. Ils repèrent le carré
central qu’ils ont réservé et s’installent.
Méga Bit1, 25 ans, professeur de mathématiques, s’assoie
côté fenêtre. Maxi Pin2, 61 ans, professeur
de SVT3
s’installe en face de lui. Homo Conardus4, 39 ans,
professeur de français/latin/grec, s’assoie côté couloir près
de Mega Bit. La place en face de lui est vide.
Après quelques propos sans importance, les trois hommes
plongent tour à tour dans leur occupation favorite.
Mega Bit navigue sur son iPad. Maxi Pin, un iPhone à
portée de main, visionne un documentaire sur son Mac.
Homo Conardus, deux gros livres encombrants sur la table,
déploie son journal.
Il est 16h54. Le train démarre.
1
2
3
4
Mot anglais, acronyme de binary digit « élément discret binaire ».
De l’anglais pin « chiffre confidentiel.
Abréviation de la matière enseignée « Sciences et Vie de la Terre ».
D’après l’album de Édika Homo Sapiens Connardus – 1982 – Ed. Fluide Glacial.
Nota. Conardus s’écrit indifféremment avec un «N» ou deux «N».
Une demi-heure plus tard :
MEGA BIT (soupirant, agacé). Le monde mute mais pas
tout le monde.
HOMO CONARDUS (baissant son journal). Ké ?
MEGA BIT (le pointant du doigt). Le monde mute mais pas
toi, et toi tu vas disparaitre avec ton journal de merde
odorant et bruyant ! Sans compter que tu m’agaces à
gesticuler comme un noyé à chaque fois que tu tournes une
page ! J’arrive pas à lire, tu me déranges !
HOMO CONARDUS (vexé). Hé dis donc Mega-Bit-quis’la-pète-avec-sa-tablette, si je t’incommode, t’as qu’à
changer de place !
MEGA BIT. C’est toi qui vas changer de place, direction le
Musée de l’Homme ! Je t’ai réservé une chambre avec
Lucy5, y a une promo spéciale primates ! Soudain, un jeune
homme prend place en face d’Homo Conardus, écouteurs
vissés sur les oreilles. Il s’assoie sans mot dire et ferme les
yeux en tripotant le piercing qui orne sa lèvre.
MEGA BIT (poursuivant). Non mais tu l’as vue, ta tête de
fossile ? Tu te crois où avec tes doigts tâchés d’encre ? Chez
Gutenberg6 ?
HOMO CONARDUS (se levant pour aller aux toilettes).
Gutenberg, il t’emmerde !
5
Surnom du premier fossile de l’espèce Australopithecus afarensis, cousine du
genre Homo, découvert en Ethiopie en 1974. Complet à 40%, le fossile de Lucy
date de plus de trois millions d’années. Source Wikipédia.
6
Inventeur de l’imprimerie.
MAXI PIN (soulevant ses écouteurs). Qu’est-ce qui se
passe, y a un blem ?
MEGA BIT (nerveux). I s’passe qu’on voyage avec un
rescapé de l’âge de bronze qu’écrit encore à la plume d’oie
et lit des papyrus ! I s’passe qu’il me gave grave avec son
journal en peau de chien mouillé qu’i m’secoue sous le nez
comme un taré !
MAXI PIN (docte). Je l’ai toujours dit : LE PAPIER PUE.
MEGA BIT. Ouai ! Ca pue le papier ! Ca pue le moisi, le
vomi, la momie, le vioc et la poussière ! Et pis t’as pas
remarqué un truc bizarre chez les papirophages7 ? La façon
qu’ils ont de renifler les livres comme les chiens se reniflent
le cul ? Ils y tiennent à leur rituel, ces pervers ! Les pages
ouvertes entre leurs grosses pattes et la truffe dans la rainure,
ils hument ! L’air satisfait et con à la fois ! Les yeux baissés
comme quand ils roulent une pelle !
MAXI PIN. Et je dirai même : LE PAPIER TUE.
MEGA BIT. Re-ouai, Maxi Pin, t’as raison ! Le papier tue
les arbres ! Des millions d’arbres transformés chaque jour en
pâte à papier ! Le poumon vert de la planète se meurt !
L’heure est à l’Homo Numericus8, tout dans la puce ! Vive
la révolution numérique !
MAXI PIN (soudain inquiet). Dis donc, à propos d’heure, il
en met du temps Conardus à revenir des chiottes, non ?
7
8
Néologisme créé par l’auteur pour qualifier les mangeurs de papier.
Nom emprunté au titre du web documentaire réalisé par Samuel Bollendorff
et Eric Walhter : Homo numericus, portraits d´une révolution invisible.
MEGA BIT (abattu). Non, le voilà. Avec le contrôleur.
LE CONTROLEUR. Messieurs bonjour ! Contrôle des
billets, siouplait ! Homo Conardus, Maxi Pin et Mega Bit
tendent leur billet. Le jeune homme les yeux fermés, ne
bronche pas.
LE CONTROLEUR. (Tapotant sur l’épaule du garçon).
Monsieur, contrôle des billets, siouplait !
LE JEUNE HOMME (soulevant son casque). Pas eu le
temps de l’acheter !
LE CONTROLEUR (d’un ton ferme). C’est un train direct
pour Lyon. Vous allez à Lyon Perrache, je suppose ? Le
jeune homme ne répond pas. Ca vous fera 91,50€ le billet
plein tarif, plus 124,00€ d’amende, soit un total de 215,50€.
Vous payez comment ? Espèces ou carte bancaire ?
LE JEUNE HOMME (sortant une liasse de billets de la
poche de son jean). Cash. V’là 300€. Gardez la monnaie.
LE CONTROLEUR (surpris). Vous z’avez pas l’appoint,
M’sieur ? Je ne peux pas garder la monnaie, c’est interdit.
LE JEUNE HOMME. Garde la monnaie connard, et cassetoi ! Il revisse ses écouteurs sur les oreilles et ferme les yeux.
LE CONTROLEUR (s’adresse aux trois hommes, médusé).
Ben celle là, on m’ l’avait encore jamais faite ! L’homme
hésite un instant à vérifier l’identité du garçon, puis se
ravise, empoche les billets et poursuit sa tournée.
HOMO CONARDUS (chuchotant, en désignant le garçon
du menton). Vous avez vu ? Tout le fric qu’il a sur lui ?! Et
en plus il a pas de bagages ! C’est pas normal, ça !
MEGA BIT (revanchard). Le monde mute.
HOMO CONARDUS (saisissant un gros livre sur la table).
T’arrêtes avec ton « monde mute » ! Fous-moi la paix !
MEGA BIT (tendant son IPad à Conardus). Tu veux pas le
lire sur ma tablette, ton pavé ? J’l’ai téléchargé !
HOMO CONARDUS. Ton truc, c’est pas un livre ! J’aime
le bruit des pages et l’odeur du papier, moi Môsieur !
MAXI PIN (taquin). T’as raison Conardus, c’est pas un
livre, c’est des millions de livres qui sentent bon la culture !
MEGA BIT (à Conardus). Il pèse combien ton DSK ?
HOMO CONARDUS (feuilletant les pages de son livre sans
oublier de les renifler en passant). Ché pas, moi, fait bien
huit cents pages …
MAXI PIN (en sifflant). Soit un p’tit kilo !
MEGA BIT (prenant le relai). C’est pas trop lourd pour ton
arthrose ? Déjà qu’t’as des nœuds à la tête, tu devrais
ménager tes pognes ! Il se penche au dessus d’Homo
Conardus, saisit le cartable posé à ses pieds dans le couloir,
l’ouvre et énumère son contenu : trois bouquins plus ces
deux là, une demi douzaine de magazines, plus tes cours,
plus ta doc, plus les copies, on n’est pas loin des six kilos !
T’as vu tout ce que tu trimballes avec toi ?! Pendant ce
temps, le jeune homme qui a sorti un portable de son
blouson pianote un texto.
MAXI PIN (à Méga Bit). Elle pèse combien, ta tablette ?
MEGA BIT. Six cents grammes. Le poids d’une cote de
bœuf.
MAXI PIN. Tu vois, Conardus, sa tablette à Méga Bit, elle
pèse 10% de ton cartable en peau de vache ! Et ton cartable
en peau de vache, il pèse même pas un millionième de la
culture ! Tu veux pas essayer ? Maxi Pin lance un clin d’œil
à Mega Bit qui fait glisser sa tablette vers Conardus.
Conardus ahuri, tente un regard désespéré vers le jeune
homme en face de lui. En guise de réponse, le garçon lui
adresse un sourire mauvais, se lève et s’en va.
MEGA BIT (tout excité). Allez Conardus ! Prends la ! Elle
va pas te manger ! Touche comme c’est doux ! Tiens, mets
ton doigt, là… voilà… T’as pas besoin d’appuyer comme un
malade, t’as juste à effleurer …comme ça… T’a vu ? Ca
s’ouvre tout seul ! Ton pavé sur DSK, il est là ! En entier !
T’en étais où de ta lecture ? Il ouvre le livre à l’endroit du
marque-page. 324 ? Ah, la voilà ta page 324 sur l’iPhone !
C’est trop petit pour ta presbytie ? Allez, j’agrandis !
Encore un peu ? Y a qu’à demander ! Ben vas-y ! Sers-toi de
ton doigt, bon Dieu ! Conardus, éberlué, se demande si sa
mutation dans l’ère de l’Homo Numericus ne va pas
l’envoyer tout droit ad Patres. En sueur et les mains
tremblantes, il effleure la tablette et plonge un regard
médusé sur la page 324 de son DSK numérique. Il ne lira
jamais les pages 325 et suivantes. Le coup qu’il reçut sur la
tête fut si violent qu’il mourut sur le champ.
HOMO CONARDUS (agonisant, dans un dernier soupir).
Je me meurs, je suis mort, je suis enterré...9
MAXI PIN (se débattant). Mon Maaac ! Noooon ! Pas mon
iPhone !10 Un coup de poing américain lui défonce la
mâchoire. Mega Bit affolé se protège le visage avec DSK.
MEGA BIT (hurlant). Ma tablette ! On m’a volé ma
tablette ! Deux hommes cagoulés, armes au poing, menacent
les voyageurs pétrifiés. Deux autres raflent les ordinateurs,
tablettes et smartphones posés sur les tables, qu’ils jettent
sans ménagement dans des sacs de voyage. Le train entre en
gare puis s’arrête. Homo Conardus glisse à terre dans un
9
10
Réplique empruntée à Harpagon, dans L’Avare de Molière. Acte IV, scène 7.
Au printemps dernier, dans le métro parisien, trois personnes ont été tuées pour
leur smartphone. N.D.L.A
bruit sourd. Une femme crie. Les quatre hommes sautent du
train et disparaissent sur le quai bondé, visages nus. Parmi
eux, le jeune homme au piercing allume une cigarette.
MEGA BIT (à Maxi Pin, sonné et ensanglanté). Homo
Conardus est mort !
MAXI
PIN
(crachant
ses
dents).
Fife
l’Homo
11
Noumehicouss ! Fife la réfoluchion noumehic !
Le lendemain, la presse titrait :
« Le Gang des tablettes » a encore frappé !
Un mort et un blessé grave dans le TGV.
11
Vive l’Homo Numericus ! Vive la révolution numérique !