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Cahier de formation
Pour la République Sociale
Fondamentaux
De l’Union de
la gauche à la
nouvelle union
des gauches
Document proisoire
Edition : 23 novembre 2005
Avant-propos
En France, l’union des forces de gauche est un débat d’une importance majeure
depuis la naissance du mouvement ouvrier. Il prend de façon cyclique une intensité
particulière.
La gauche française a toujours été multiple. Au XIXe siècle, elle se divise déjà entre les
différentes familles socialistes, les anarchistes, les républicains sociaux et les radicaux.
Si le XXe siècle s’ouvre par l’unification des courants socialistes et la naissance de la
SFIO en 1905, il se poursuit par la séparation entre socialistes et communistes, lors de
la scission du Congrès de Tours en 1920. Cet éparpillement s’est amplifié de nos jours
avec les Verts, le PRG, le MRC, la LCR et d’autres organisations se réclamant du trotskisme (LO, PT, etc.). Certains courants ont désormais quasiment perdu toute réalité
organisée même si leur influence intellectuelle perdure (les anarchistes et les anarchosyndicalistes). D’autres ont existé quelques années pour disparaître définitivement (les
maoïstes ou le PSU dans une moindre mesure).
La gauche française a toujours été traversée et structurée par le débat idéologique.
Elle est depuis sa naissance une gauche « très politique ». Et cette « passion du politique » si particulière a eu des conséquences nombreuses sur le développement du
paysage associatif et du syndicalisme que nous connaissons : de nombreux mouvements dits « sociaux », plusieurs associations défendant la laïcité, luttant contre le
racisme, pour les droits des femmes, pour le droit au logement, Attac, etc. , et pas
moins de trois Confédérations syndicales et plusieurs dizaines de syndicats professionnels non confédérés !
Cette diversité, tant de fois moquée par beaucoup d’observateurs, n’a pourtant
jamais empêché ce mouvement ouvrier de compter parmi les plus combatifs du
monde. La classe ouvrière française reste une des plus politisées. Son niveau de
conscience est des plus élevés. Elle s’impose donc parmi les plus réactives. Cela ne
s’est pas démenti lors du débat concernant le projet de Constitution pour l’Europe,
où elle s’est majoritairement prononcée pour le non.
Tout ceci peut donc être une richesse, à la condition que les forces de gauche travaillent à leur rassemblement plutôt qu’à leur affrontement.
Car la leçon de plus de 150 ans de luttes politiques est assez limpide : chaque fois
que la gauche n’a pas su réaliser l’union, la droite l’a vaincue durablement. A l’inverse,
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c’est uniquement quand elle a su se réunir qu’elle a créé les conditions favorables
pour devenir majoritaire pour changer la société et bâtir un monde meilleur.
Tous les grands moments du mouvement ouvrier français, qui brillent encore comme
des références positives, sont des moments d’Union de la Gauche (notamment juin
36). A l’inverse, les périodes les plus sombres sont celles de la division entraînant
défaites et reculs sociaux.
Dans les lignes qui suivent nous allons présenter quatre raisons de défendre l’union.
Puis, nous reviendrons brièvement sur quelques épisodes des années 70, seul exemple d’une Union de la Gauche permettant la victoire à l’élection présidentielle d’un
candidat issu de ses rangs.
Alexis Corbière
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Quatre raisons de défendre l’Union :
l’Union pourquoi et comment ?
Ces dernières années l’Union de la Gauche n’est souvent apparue que dans sa
conception purement électoraliste. En réalité, l’action politique pour l’Union de la
Gauche va bien au-delà. Les lignes qui suivent visent à rappeler quelques fondamentaux.
1) L’Union de la Gauche est une position de principe
La recherche de l’Union de la Gauche et des différentes forces du mouvement ouvrier,
est une position de principe, aux origines de la pensée socialiste. Pour nous, l’Union
de la Gauche fait écho l’unité de la classe ouvrière.
Dans le Manifeste du Parti Communiste, rédigé en 1848, Karl Marx et Friedrich Engels
écrivent :
« Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers. Ils
n’ont point d’intérêts qui les séparent de l’ensemble du prolétariat. (…) Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat et dans les différentes phases
que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts
du mouvement dans son ensemble. »
Ecrites il y a plus d’un siècle et demi, ces lignes gardent leur pertinence. Pour la bonne
compréhension, le lecteur devra bien entendu corriger un peu les termes, et la dénomination de « communistes », selon Marx et Engels, ne visent pas les seuls militants
ayant une appartenance à un Parti communiste, mais tous ceux qui s’inscrivent dans
une activité consciente liée à un mouvement réel pour la rupture avec le capitalisme
et l’émancipation du salariat.
Il faut prendre garde à ne pas faire une lecture anachronique de ces lignes. Lorsque
Marx et Engels les rédigent, le mouvement ouvrier organisé n’en est qu’à ses balbutiements. A présent, l’existence de plusieurs partis politiques à gauche est un fait incontournable, conséquence d’une histoire complexe et douloureuse marquée par de
grands évènements historiques (la Révolution d’Octobre 17, le stalinisme, le nazisme,
le colonialisme, etc.). Face à chacun de ces évènements, le mouvement ouvrier a dû
se positionner et il s’est souvent déchiré sur chacun d’entre eux, car beaucoup de
militants et d’organisations n’avaient pas la même analyse et n’en déduisaient pas les
mêmes tâches.
Aujourd’hui, le combat pour l’union n’est pas celui pour l’unicité, pour le parti unique.
Mais la « boussole » que nous proposent ces lignes reste utilisable. La bonne question à se poser reste : où se trouvent les « intérêts du mouvement dans son ensemble
» ? C’est ce qu’il faut rechercher. Ce ne peut être l’objet que d’un débat politique car
leur expression en mots d’ordres rassembleurs ne naît pas spontanément. L’existence
de forces politiques est indispensable à tout combat conscient pour changer l’ordre
des choses.
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De nos jours, ce principe s’oppose parfois aux logiques d’appareils, pour qui il est
important, déterminant souvent – et c’est compréhensible –, de se renforcer numéri-
quement, d’avoir une existence et une « visibilité », notamment lors des échéances
électorales. La médiatisation du débat politique peut en être la cause ; le financement
public des partis politiques lié aux résultats obtenus lors des différents scrutins, aussi.
Des formations politiques auront intérêt, financièrement parlant, à se présenter lors de
chaque élections, même si cela ne correspond pas vraiment à l’intérêt de la gauche «
dans son ensemble ».
Enfin, ce combat pour l’unité de la classe converge avec celui des républicains pour
un cadre unique des droits des travailleurs qui est une des premières armes contre la
concurrence entre eux, et aussi contre les différents communautarismes.
Se battre pour l’unité de la classe ouvrière c’est encore éviter l’existence de syndicats
de travailleurs « locaux », luttant parfois pour qu’une préférence régionale ou ethnique soit appliquée à l’embauche. Dans beaucoup de pays des syndicats confessionnels existent ou encore, par exemple en Inde, des syndicats de « caste » ne défendant que les intérêts des travailleurs dits « intouchables ».
2) L’Union exige un contenu politique donc un programme
Pour que l’Union dispose d’une réelle force propulsive susceptible de mobiliser la
totalité de son camp, elle doit être porteuse d’un contenu politique public, répondant aux aspirations profondes de son électorat : c’est à dire un programme.
Les partis qui le rédigent ont une tâche difficile. Ils doivent aller plus loin que le simple accord électoral réduit à un « timbre-poste » n’établissant en réalité qu’une courte
règle de désistement mutuel. Le peuple de gauche généralement ne s’y trompe pas.
Il peut arriver que si le contenu de l’accord est faible, la mobilisation populaire le soit
aussi. Dans des circonstances exceptionnelles, la réalité peut être différente. En 1936,
le programme du Front populaire avait laissé la part belle aux Radicaux et n’était pas
très exigeant sur le plan social. Mais, l’Union de la Gauche se réalisant pour la première
fois entre communistes et socialistes provoquera une dynamique électorale. Le mouvement de grève qui suivra permettra au gouvernement de Léon Blum de mettre en
place une augmentation significative des salaires, la semaine de 40 heures et les deux
semaines de congés payés (absent du programme de Front populaire).
L’Union ne peut se réaliser pleinement si elle ne respecte pas la volonté populaire
qu’elle prétend représenter. Mais par son existence, le programme qui rassemble les
partis renforce la gauche en lui proposant des réponses, des mots d’ordres, une issue
politique. Le programme élève le niveau de conscience des masses.
Rappelons des évidences : à gauche, aucun accord électoral ne serait soutenu majoritairement s’il veut faire accepter au peuple les conséquences du néo-libéralisme ;
c’est à dire s’il concède la remise en cause de droits sociaux fondamentaux acquis de
haute lutte (droit à la retraite et droit à la santé par exemple) et s’il remet en cause
les fondements républicains de notre pays (laïcité, service public de qualité, etc.).
C’est sans doute à la force majoritaire à gauche de faciliter cet accord, en créant les
conditions les plus favorables. Elle doit trouver un vocabulaire politique commun utilisable et compréhensible par tous. Elle échouerait en pensant que c’est d’abord à
elle, et à elle seule, de définir le contenu du programme, puis de le soumettre aux
autres qui n’ont plus pour seule alternative que de l’accepter ou de renoncer à toute
alliance. L’Union ne peut avoir pour point de départ un ultimatum arrogant. Mais cette
exigence fonctionne dans les deux sens et s’impose aux autres forces politiques. Pour
que l’union existe il faut que tous les partenaires soient prêts aux concessions nécessaires., intégrant les poids politiques respectifs des uns et des autres.
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Un programme commun de la gauche, ce n’est pas un texte désincarné, fruit d’un
accord froid dominé par les dures lois de la « realpolitik » issue du poids électoral
des uns et des autres.
Enfin, au-delà de son contenu qui est très important, le programme est perçu par le
peuple de gauche en fonction de ceux qui le soutiennent et qui l’ont rédigé, mais
aussi en fonction de ceux qui n’y participent pas. Avant de lire le contenu du Programme, des millions de gens de gauche seront attentifs à ceux qui le leur présentent.
Un programme d’Union de la Gauche intégrant des forces ou des personnalités politiques extérieures à la gauche (celles qui sont dites « centristes » par exemple) serait
perçu par le peuple de gauche comme annonciateur de futures capitulations. A
contrario, la présence de forces politiques considérées très exigeantes et « très à gauche » rassurerait beaucoup de gens sur la fermeté dans l’application de ce programme, considérant leur seule présence comme une garantie.
« Dis moi avec qui tu t’allies, je te dirais qui tu es » pourrait-on dire. La nature du programme détermine les alliances et vice versa !
3) L’Union provoque une dynamique
L’union est une dynamique, une dialectique. Pour que ce processus prenne vie, le programme, s’il doit d’abord être rédigé par les partis, seules forces réelles capables
d’assumer cette tâche, doit rechercher une assise populaire plus large en se soumettant à un « contrôle populaire » qu’il s’agirait d’inventer. Le débat doit être public,
enrichi par le maximum d’acteurs. L’union politise les masses.
En politique, quand on est unitaire, un plus un fait beaucoup plus que deux. Quand
la dynamique est engagée, la force va à la force. Les salles des meetings et réunions
se remplissent plus facilement. Beaucoup de ceux qui avaient pris du recul les années
précédentes reviennent, considérant que « si cette fois on est unis, cela change tout
». C’est un processus classique, que les militants syndicaux retrouvent souvent sur les
lieux de travail. Si le mot d’ordre de grève est unitaire alors cela change tout. Même
les ouvriers non syndiqués entrent dans l’action en se disant « cette fois-ci c’est
sérieux, on peut gagner ».
« Les masses travaillent à l’économie » disait-on autrefois. Elles recherchent le chemin
le plus court, le plus efficace pour se défendre. Celui de l’union leur apparaîtra toujours comme le plus simple, le plus praticable.
Mais pour être dynamique cette union doit aussi être innovante et nouvelle.
Innovante dans ces pratiques et ses idées en développant de nouveaux thèmes
comme par exemple la question environnementale qu’il serait absurde de réserver à
une seule formation politique.
Nouvelle par les forces qui la composent. Il ne peut y avoir d’exclusive vis-à-vis de quiconque. L’union ne peut pas concerner les seules formations ayant déjà participé à un
gouvernement. Pour renforcer l’union, tout le monde est le bienvenu. Ensuite, chacun
se positionne librement pour ou contre cette union des gauches et son programme.
Il y a un lien constant entre la dynamique unitaire et la mutation des diverses composantes de la gauche. La stratégie unitaire tire sa force de l’utilisation de ce rapport dialectique. C’est en cela qu’elle se distingue de tout empirisme tacticien.
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4) L’Union est aussi une nécessité électorale
Ce dernier point ne doit pas être lu comme la présentation d’arguments bassement
électoralistes. Pour nous, l’union est utile car elle politise et dynamise le peuple de
gauche dans sa confrontation avec la droite. Mais, le système politique français tel
qu’il fonctionne dans la cinquième république impose aussi à la gauche de se rassembler lors des élections, au moins pour le second tour. C’est la conséquence du scrutin majoritaire à deux tours. Il faut arriver en tête au premier, puis trouver des voix supplémentaires pour l’emporter au second. Ces voix sont généralement le fruit d’un
accord électoral préalable, ou bien d’une tradition politique qui fait que les électeurs
de gauche votent pour la candidat de la gauche arrivé en tête au premier tour. Mais
cette tradition, héritière d’une longue histoire faite de combats communs peut s’affaiblir au fil des années si l’Union n’est pas régulièrement « revigorée ».
Cette réalité n’est pas la même dans d’autres pays d’Europe.
En Grande-Bretagne, c’est la formation arrivée en tête qui remporte le siège aux élections législatives. Ce mode de scrutin encourage l’existence d’une formation politique
unique, quasi hégémonique sur son électorat. Les débats au sein de la gauche sont
donc cantonnés au sein du principal parti (le Labour Party), et l’ensemble des autres
forces sont quasi inexistantes sur le plan électoral.
En Allemagne, le scrutin est proportionnel. Avant les élections, il n’y a pas de coalition. Celle-ci n’intervient qu’après les élections, laissant ouverte la porte à des alliances qui peuvent prendre à revers la volonté des électeurs. Les récentes élections
débouchant sur une alliance CDU-SPD, alors que la gauche est majoritaire en voix et
en sièges (327 contre 286), illustrent les surprises et les paradoxes que réserve ce système
En France, rien de tout cela. L’accord entre les partis de gauche doit être annoncé à
l’avance, porté à la connaissance des électeurs. Nul ne peut être élu s’il n’a pas rassemblé son camp au second tour. Les alliances, ou au moins les désistements et les
accords électoraux, sont préalables au vote. C’est d’ailleurs la seule manière pour les
partis de gauche de « corriger les déformations » du système électoral qui ne permet
pas à certaines formations d’avoir des élus. Des circonscriptions ou des cantons ne
peuvent être réservés à des « petites formations » qu’à la condition d’un accord global entre les partis de gauche. Mais cette union pour l’emporter, ne peut rester qu’un
simple accord électoral de désistement.
L’Union de la Gauche doit donc intégrer l’ensemble des aspects du combat politique:
l’élaboration d’une politique alternative à celle de la droite, le rassemblement de la
gauche pour faire front aux attaques de cette même droite, mais enfin aussi une stratégie pour les partis de gauche aidant à prendre le pouvoir pour changer la vie, et
avancer vers le socialisme.
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L’Union de la Gauche
et le Programme commun
dans les années 70
Pour comprendre les raisons pour lesquelles durant les années 70 la gauche va réussir à s’unir, non sans difficultés et soubresauts, il faut remonter quelques années auparavant.
Une gauche divisée depuis le Libération
Depuis la Libération, la gauche, la SFIO et le PCF, n’arrivent pas à trouver les voies de
l’union. La phrase est connue, mais elle illustre bien une époque. Pour Guy Mollet
secrétaire général de la SFIO : « le Parti communiste n’est pas à gauche, il est à l’Est ».
Même Léon Blum, pourtant resté dans l’imaginaire collectif du peuple de gauche
comme le chef du Front populaire, justifie la création d’une « troisième force » pour
lutter notamment contre « la dictature du communisme mondial ». Beaucoup d’anticommunisme soude ce genre de regroupement et pour Blum encore le véritable
conflit international « c’est celui du socialisme et du communisme ».
Cette « troisième force » coincée entre le PCF et le RPF gaulliste casse la gauche en
deux blocs hostiles. Plusieurs municipalités sont gérées en commun par la SFIO et le
MRP démocrate-chrétien. De plus, le mouvement socialiste s’émiette dans une longue
série de groupes aux influences réduites (PSA puis PSU, l’UGCS, la CIR, etc.)
La Ve République modifie tout
En 1958, la mise en place de la cinquième République modifie radicalement la donne.
Si la SFIO de Guy Mollet continue sa dérive en appelant à voter oui à la Constitution
défendue par le Général de Gaulle, quelques uns pressentent que les règles ont
changé et qu’il est indispensable que la gauche en tire des conséquences. C’est le cas
tout particulièrement de François Mitterrand.
Il comprend que le fonctionnement institutionnel met en place une bipolarisation de
l’affrontement politique. Désormais ce doit être gauche contre droite. Il n’y a plus de
place pour des regroupements centristes du type « troisième force » des années précédentes. Il se pose immédiatement en principal opposant au Général de Gaulle, de
façon frontale. François Mitterrand devient l’homme du « non ». Non à de Gaulle, non
à ces institutions mises en place sous la menace d’un coup de force des parachutistes, non au nouvel ordre qui s’installe. Pour la suite, ce non sera fondateur.
Parce qu’il s’est dressé comme l’un des principaux opposants à de Gaulle, Mitterrand
pourra par la suite rassembler toute la gauche sur son propre nom.
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Le candidat unique
Ce sera le cas dès 1965. Cette année-là, lors de l’élection présidentielle il devient le
candidat unique de la gauche, soutenu par le PCF, la SFIO, le PSU (en réalité sans grand
enthousiasme) et les radicaux. L’objet de ces lignes n’est pas de rappeler les conditions dans lesquelles Mitterrand, président de la modeste Convention des Institutions
Républicaines (CIR), réussira ce tour de force. Mais on peut essayer d’en retenir quelques leçons. S’il y parvient, c’est qu’il est déjà identifié publiquement comme un
opposant frontal au pouvoir gaulliste et que le Parti communiste, principale force à
gauche, voulait s’engager dans une stratégie d’Union de la Gauche rompant avec les
années précédentes. Waldeck Rochet, secrétaire général du PCF, sera un soutien
déterminant et dira du candidat :
« Quelles que soit les remarques qui peuvent être faites sur la personnalité de Mitterrand,
il est incontestablement un opposant résolu au régime de pouvoir personnel ».
La publication de son ouvrage Le coup d’état permanent qui dénonce rudement les
institutions gaullistes, ses prises de position nombreuses contre la politique du pouvoir en place, l’ont campé comme un adversaire intransigeant du « Général ». De plus,
il n’exclut personne à gauche. C’est tout l’inverse ; puisqu’il juge déterminant d’obtenir le soutien des communistes. Ils sont très peu à l’époque, dans la gauche non-communiste, à défendre une telle position. Quelques accords électoraux de désistements
mutuels existent entre le PCF et la SFIO ; rien de plus que des pratiques locales. Enfin,
ses amis et lui sont les seuls convaincus que cette candidature unitaire créera une
dynamique. Beaucoup en doutent, notamment dans les états-majors des partis de
gauche. Si tous ont des intérêts internes pour soutenir Mitterrand, la majorité est
convaincue qu’il s’agit là d’une bataille perdue d’avance et que de Gaulle l’emportera dès le premier tour.
Il en sera autrement. La campagne provoquera une dynamique inattendue à gauche.
Des dizaines de meetings rassembleront des milliers de militants. Et le soir du premier
tour, le 5 décembre 1965, François Mitterrand mettra Charles de Gaulle en ballottage,
en obtenant 32,23 % des voix contre 43,71 %. C’est un succès manifeste car personne alors n’aurait imaginé un score aussi important. Depuis 1958 et sa constitution
approuvée par près de 80% des électeurs, le Général de Gaulle a emporté aisément
toutes les élections.
Le 18 décembre, à l’occasion du second tour il réunira 45,49 % des voix. Le rassemblement de la gauche commence à démontrer toute sa pertinence et sa puissance,
même si c’est encore un échec. Il devient prometteur.
Mai 1968 et ses conséquences
Mai 1968 et ses dix millions de grévistes percutent cette mise en place. Paradoxalement, malgré les nombreuses victoires sociales obtenues par la grève générale, les
principaux partis de gauche ne bénéficient pas de cette formidable mobilisation. Si
sur le plan social le pouvoir a dû lâcher du lest, sur le plan politique il réagit. Les élections législatives de juin 1968 bousculent la gauche politique. Les reports de voix sont
mauvais, l’abstention progresse à gauche. L’extrême-gauche appelle à s’abstenir sur le
slogan « Elections, pièges à cons ! ». En revanche, à droite on se mobilise car la bourgeoisie a eu peur. Le raz-de-marée gaulliste emporte tout.
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La déception est vive. Le Général de Gaulle devra néanmoins partir un an plus tard (le
27 avril 1969), après avoir essuyé un « non » à 53,18 % lors d’un référendum sur la
régionalisation.
Mais, en 1969, la gauche ne se rassemblera pas. Représentée par quatre candidats
(Defferre, Duclos, Rocard et Krivine), elle sera éliminée dès le premier tour. Le candidat du PCF, Jacques Duclos obtiendra 21,52 % et Gaston Defferre pour la SFIO seulement 5,07 % !
Le congrès d’Epinay
C’est dans ce contexte que s’ouvre la décennie 70, et que se tient le congrès d’Epinay (les 11, 12 et 13 juin 1971) du Parti socialiste. Avant tout ce congrès est celui de
« l’unité des socialistes ». Beaucoup de groupes politiques veulent mettre un terme à
la dispersion en se rassemblant dans une formation commune. C’était le cas de l’UGCS
en 1969. C’est désormais celui de la CIR.
Mais surtout, l’idée que sans union la gauche est condamnée à la marginalité fait son
chemin. Beaucoup dans ce Parti socialiste (depuis 1969 la SFIO a changé de nom)
craignent que toute alliance à gauche se déroule sous l’hégémonie du PCF.
François Mitterrand qui rejoint ce nouveau parti socialiste est sur une autre ligne.
Grâce à elle, il y est majoritaire et devient Premier secrétaire dès son premier congrès.
C’est une ligne offensive que l’on peut résumer ainsi : l’unité de la gauche passe avant
tout par l’accord entre les socialistes et les communistes. Cet accord doit se matérialiser très rapidement dans un programme commun de gouvernement plutôt que se
perdre dans d’interminables discussions idéologiques entre les deux partis.
Mais surtout, pour permettre la réalisation de ce futur programme commun, François
Mitterrand propose une orientation politique créant des conditions plus favorables.
Depuis quelques années, on l’a déjà vu, le PCF est pour un Programme commun de la
gauche. Mitterrand sait que cette union avec le PCF exige de la part du PS une orientation nettement marquée à gauche, rompant avec les années d’errance idéologique
de la SFIO.
L’Union passe par la rupture… avec le capitalisme
A Epinay, dans son discours, Mitterrand est clair sur la ligne que doit avoir son nouveau parti. Il déclare :
« Réforme ou révolution ? J’ai envie de dire (..) oui, révolution. Mais ce que je viens de
dire pourrait être un alibi si je n’ajoutais pas une deuxième phrase : violente ou pacifique,
la révolution c’est d’abord une rupture. Celui qui n’accepte pas la rupture – la méthode
cela passe ensuite - , celui qui ne consent pas à la rupture avec l’ordre établi, politique,
cela va de soi, c’est secondaire…, avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, il ne peutêtre adhérent du parti socialiste. »
Concernant les relations avec le PCF, Mitterrand pointe dans ce même discours qu’il
s’agit là du cour du débat, contre ceux qui voudraient rester flous sur ce point. Il ironise :
« Mais enfin, vous savez… le détail qui change tout… on est d’accord sur tout, et puis…
il y a juste un point d’accrochage, il est là… accord avec le parti communiste, dialogue
avec le parti communiste ».
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Pour lui il faut aller avec détermination et sans perte de temps vers l’accord car :
« vous croyez que vous pourrez aborder les élections sans dire aussi aux Français pour
quoi faire ? Cela aussi c’est créer les conditions de l’échec permanent ! ».
A l’inverse, pour lui, ceux qui ne veulent à ce stade qu’un dialogue ont tort. Il assène:
« Mais le dialogue idéologique qui pose des problèmes vraiment fondamentaux, le dialogue idéologique, il tend à résoudre quoi d’ici 1973 ? (…) dialogue idéologique, est-ce
que cela veut dire que si on ne s’entend pas sur l’essentiel, on ne pourra s’allier aux élections ? (…) Voilà pourquoi, en conclusion, je dirai qu’il n’y a pas d’alliance électorale s’il
n’y a pas de contrat de majorité. Il n’y aura pas de gouvernement de gauche s’il n’y a pas
de contrat de gouvernement… ».
A Epinay, c’est cette orientation et cette stratégie qui l’emportent : rassemblement de
tous les socialistes, Union de la Gauche et programme commun. C’est parce qu’il
défendait ces idées et qu’il était le plus efficace et le mieux placé (depuis 1965) pour
les mettre en ouvre, que François Mitterrand devient le Premier secrétaire du PS.
Le « Allende français »
Pour son premier voyage à étranger comme Premier secrétaire en novembre 1971, il
fera le choix hautement symbolique du Chili, pour rencontrer Salvador Allende qui
gouverne son pays à la tête d’un gouvernement d’Unité populaire qui rassemble six
partis de gauche dont quatre ministres communistes. Les réformes de l’UP sont dominées par une réelle volonté de rupture avec l’ordre capitaliste, particulièrement avec
la nationalisation du cuivre première richesse naturelle du Chili.
Durant ce voyage, où il croise Fidel Castro lui aussi en visite, la presse locale baptisera
Mitterrand le « Allende français ». Pour la gauche, et même l’extrême gauche française,
c’est un premier signe fort : l’unité de la gauche est possible, elle existe et est majoritaire ailleurs. Mitterrand ne cachera pas l’objectif de ce voyage :
« Le Chili, dira-t-il, est une synthèse intéressante et originale. En France, pays industriel
avancé dans la zone d’influence occidentale, il est peu probable que puisse se développer une action violente sans qu’elle soit réprimée par les forces de la grande bourgeoisie. Le mouvement populaire peut, en revanche, légitimement penser l’emporter par la
voir légale : grâce au suffrage universel et aux pressions des travailleurs dans les secteurs
en crise. Il s’agit de démontrer aux Français que cette voie est possible. La preuve ? Le
Chili est en train de l’apporter ».
1972 : le Programme commun
A partir de cette nouvelle orientation, en France les évènements s’enchaînent rapidement.
L’année s’était ouverte sur une manouvre de Pompidou qui voulait empêcher le rapprochement du PS et du PCF. Prétextant de l’entrée de la Grande-Bretagne dans le
Marché commun, il organise un référendum. Le PCF appelle à voter non. Les socialistes, afin d’éviter d’être sur un ligne opposée à celle de leurs futurs partenaires, font
le choix de l’abstention. Le 23 avril 1972, seulement 36,12 % de la totalité des électeurs diront oui. La droite au pouvoir est affaiblie, l’Union de la Gauche n’est pas stoppée par cette péripétie. La manouvre a échoué.
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Quelques semaines plus tard, le 27 juin 1972, un an après le Congrès d’Epinay, le PS,
le PCF et le Mouvement des Radicaux de Gauche signent un programme commun. Les
principaux engagements sont les suivants :
Application effective de la semaine de 40 heures en cinq jours pour l’ensemble des salariés avec maintien intégral du salaire (ce qui n’était pas encore le cas dans
beaucoup d’entreprises).
-
Amorce d’une augmentation substantielle des salaires.
Augmentation générale des retraites et pensions. Celles-ci ne pourront pas
être inférieures au SMIG et seront rapidement amenées à 75 % du salaire annuel
moyen des dix meilleures années.
-
Objectif primordial : la résorption du chômage et du sous-emploi chronique.
Dans le secteur bancaire et financier, la nationalisation concernera l’ensemble
du secteur, c’est-à-dire la totalité des banques d’affaires, les principaux holdings
financiers et les banques de dépôts (…).
Nationalisation de plusieurs grands groupes industriels (Dassault, Rhône-Poulenc, Péchiney, etc.).
Ainsi, c’est plus de cent vingt pages d’engagements qui sont pris par les signataires
de ce programme commun. Dans son préambule, ils affirment vouloir « mettre fin aux
injustices et aux incohérences du pouvoir actuel. Pour y parvenir et pour ouvrir la voie
au socialisme, des changements profonds sont nécessaires dans la vie politique et
sociale de la France. (…) Ce programme est un programme d’action. ». L’accord qu’ils
constatent entre eux est « suffisamment large pour leur permettre de proposer au
pays un programme commun de gouvernement pour la prochaine législature ».
Progression électorale et renforcement politique
Les résultats ne se font pas attendre. La dynamique de l’Union est en marche. L’exemple des résultats aux législatives est clair. En 1967, la gauche réalisait près de 9,5 millions de voix soit 43 % des suffrages. En 1968, elle reculait avec près de 8,8 millions
de voix soit 40 % des suffrages. Mais dès 1973, moins d’un an après la signature du
Programme commun elle progresse : 10,5 millions de voix soit 46 % des suffrages. En
1974, lors de l’élection présidentielle, François Mitterrand candidat unique des signataires du Programme commun réalise au premier tour plus de 10,8 millions de voix. A
quoi il convient d’ajouter 940 000 voix écologistes (René Dumont) et d’extrême-gauche (Arlette Laguiller). Au second tour, c’est plus de 12,7 millions de voix qui se porteront sur le candidat Mitterrand. Cinq ans auparavant, la gauche avait été éliminée
dès le premier tour. Au final, Giscard battra Mitterrand par moins de 350 000 voix.
Chaque camp s’est pleinement mobilisé. L’abstention est tombée à 12,06 % en métropole. C’est le score le plus bas depuis 1848, date de la mise en place du suffrage universel, un score tout à fait comparable à ceux que l’on relève dans les pays où le vote
est obligatoire.
Dans la dynamique de la campagne de 1974, des forces politiques convergent aussi
vers ceux qui portent l’union. Une forte minorité du PSU, après avoir critiqué deux ans
auparavant le contenu du Programme commun, rejoint le PS, constatant qu’il n’y a pas
d’espace politique en dehors de l’Union de la Gauche.
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Cette marche en avant rencontrera néanmoins de sérieux obstacles. Au sein même de
l’arc de force de l’Union, certains jugent qu’elle est trop favorable au Parti socialiste
qui en est le principal bénéficiaire puisqu’il apparaît comme le moteur de cette union,
sa colonne vertébrale, l’élément le plus déterminé.
Le 20 mars 1977, pour les élections municipales la gauche est majoritaire en voix dans
le pays. Elle emporte contre la majorité 32 villes de plus de 30 000 habitants. Les nouveaux maires sont essentiellement socialistes.
1977 : l’éclatement
Le PCF décide alors de « réactualiser » le Programme commun. Prétexte pour casser
une dynamique qui lui échappe, ou volonté d’établir un programme qui « colle » au
plus près des revendications du peuple de gauche en allant plus loin dans les augmentations de salaires et les nationalisations ? L’objet de cet article n’est pas de se
prononcer sur ce point. Mais les conséquences sont manifestes. En réaction à ces exigences le MRG considère que les conditions d’un accord ne sont plus réunies. Le PS
n’est pas d’accord avec la « réactualisation » communiste. Le 23 septembre 1977,
c’est la rupture.
Dans le peuple de gauche, la volonté d’union reste forte. Le PS refuse de changer de
ligne. Pour Mitterrand, il faut « tenir bon ». Il répète :
« Notre parti n’a qu’un combat : celui qu’il mène contre la droite. Il n’a qu’une stratégie :
l’Union de la Gauche ».
Dans un « Appel aux français » du PS on peut lire :
« le programme commun de la gauche existe, il faut l’appliquer ; sur les points qui restent
en divergence, les électeurs s’exprimeront au premier tour. Pour le second tour, une seule
règle : désistement sans conditions pour le candidat de gauche arrivé en tête au premier
tour. Après la victoire, gouvernement d’union de toute la gauche ».
être unitaire pour deux, pour trois, pour tous.
Face à la division, il importe parfois d’ê
1978 : forces et faiblesses
La dynamique des années précédentes va tout de même se tasser pour les législatives de mars 1978. Quelques mois auparavant la gauche était nettement majoritaire en
voix, elle comptabilise cette fois-ci au premier tour 48,57 %, à quoi il faudrait ajouter
2,14 % de voix écologistes. Mais au second tour, les reports de voix sont mauvais et
la droite l’emporte nettement avec 290 sièges contre 201. Les rapports de force
internes à la gauche ont changé, le Parti socialiste a plus de députés que le PCF à l’Assemblée nationale. Sous la cinquième République, c’est la première fois.
Cette progression du Parti socialiste est due à son obstination vis-à-vis de sa ligne unitaire, à sa ligne anti-capitaliste et à un investissement fort sur le terrain social. Dans La
rose au poing, Mitterrand écrit :
« Reconstruire un grand parti socialiste exige que plusieurs conditions soient remplies et
d’abord qu’il récupère la confiance de ceux qu’il a pour mission de défendre en les rejoignant sur le terrain des luttes. L’authenticité ne s’invente pas, elle se prouve à l’usage ».
Dans des brochures de formation destinées à ses militants, le PS prévient :
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« Il faut que le PS soit présent dans le maximum d’entreprises et que les militants socialis-
tes s’y battent à visage découvert ».
C’est avec cette orientation politique que le PS redevient le premier parti de la gauche.
1979 : le Congrès de Metz
Malgré ces résultats, cette ligne est vivement contestée à gauche par ses partenaires
et en interne au PS. Après les résultats des dernières législatives et une baisse de la
côte de Mitterrand dans un sondage, Michel Rocard, depuis toujours critique sur l’alliance privilégiée avec les communistes, affirme :
« Cela signifie probablement qu’un certain archaïsme politique est condamné, qu’il faut
parler plus vrai, plus près des faits ».
Pour lui, il faut « s’adapter à la nouvelle situation ». En clair, en finir avec le Programme
commun PS-PCF considéré comme irréaliste car trop étatiste et chercher d’autres alliés
que les seuls communistes (comme la CFDT et ses réseaux), afin de contourner leurs
exigences. La motion Rocard dira par exemple, alors que les communistes réclament
plus de nationalisations :
« En dehors de quelques pôles dominants et de secteurs clés qui seront nationalisés, l’immense majorité des entreprises restera dans le secteur privé ».
« Parler plus vrai » signifie qu’il faut préparer le peuple de gauche à la rigueur budgétaire, rester prudent, ne faire aucune promesse qui serait jugée trop à gauche ; ce qui
revient à se priver des moyens de créer une dynamique sociale.
En 1979, le congrès de Metz va trancher ce débat. Il aborde de fait, et tous les délégués en sont conscients, l’orientation que le PS doit mettre en ouvre pour la présidentielle qui suit, et par voie de conséquence le candidat qui doit la porter. L’alternative est simple : faut-il rester sur la ligne du Programme commun (et d’Epinay), malgré les difficultés que posent les partenaires, avec François Mitterrand ? Ou bien fautil acter cette rupture et bâtir de nouvelles alliances avec des forces sociales moins à
gauche, mais dites plus « modernes », avec Michel Rocard ?
Le congrès va décider entre « première » et « deuxième gauche ».
Dans son discours à Metz, Mitterrand sera clair :
« L’Union de la Gauche, c’est l’union des partis politiques de gauche (pardonnez cette
lapalissade). L’Union de la Gauche, c’est l’union des forces populaires représentées dans
le combat politique par les partis et force politiques qui sont les représentants ou les
interprètes naturels des classes sociales, du front de classe dont nous sommes les représentants. L’union, parce que pour paraphraser Winston Churchill, elle est la pire des solutions, à l’exclusion de toutes les autres. Cela ne marche pas. On l’a bien vu. On s’en plaint.
Je m’en plains. Il faut tenir bon. C’est ce que je demande. Ou bien, est-ce qu’il faut poser
le sac au bord de la route ? Il faut accepter tout simplement que l’union marche quand le
Parti communiste décide qu’elle marche et qu’elle ne marche plus quand il a décidé
qu’elle ne marcherait plus ?… Mais voilà la réalité. Qu’on m’en propose une autre ! Et
comme on m’en propose une autre sous la confusion des vocables, qu’on dise quoi !
Qu’on dise quoi ! Des syndicats ? Des associations ? Lesquels ? Veulent-ils ? Peuvent-ils ?
Est-ce conforme à leur vocation, à leur histoire ? Avons-nous la garantie qu’il s’agira de
bâtir ensemble une société socialiste ? Et si ce n’est pas cela, de qui parle-t-on ? L’Union
de la Gauche avec les gens de gauche, ce n’est déjà pas si facile, mais l’Union de gauche
avec les gens de droite, permettez… »
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C’est Mitterrand dans la continuité du Congrès d’Epinay qui l’emporte. La motion
Rocard obtient 21 %.
1981 : Mitterrand Président
La campagne présidentielle qui suit sera difficile. La droite multiplie ses attaques
contre Mitterrand, cherche à effrayer l’électorat en dramatisant la possible présence
de communistes au gouvernement et mène une rude campagne. De janvier à avril
1981, sur 33 sondages publiés dans la presse, 7 seulement sont favorables à François
Mitterrand. A gauche aussi la concurrence est rude. Quelques semaines avant le premier tour, Edmond Maire secrétaire général de la CFDT et militant de la « deuxième
gauche » rocardienne, déclare que selon lui « Giscard sera réélu ».
Au premier tour la gauche sera représentée par 6 candidats (contre 4 pour la droite
!). Chaque formation signataire du Programme commun présente son candidat (Michel
Crépeau pour le MRG, Georges Marchais pour le PCF et François Mitterrand pour le
PS). Mais la recherche de l’efficacité contre la droite l’emporte et le candidat au profil le plus unitaire en tire avantage. Pour l’électorat de gauche c’est Mitterrand qui
porte le « talisman de l’unité ». Il réalise 25,84 % au premier tour.
Au second tour, le report des voix fonctionnera, même si Georges Marchais ne prononce le mot de « désistement » qu’au tout dernier moment. La poussée de la gauche est trop forte et Mitterrand l’emporte avec 52,22 % des voix. Pour la première
fois sous la cinquième République un homme de gauche est élu Président.
Quels rapports avec
l’extrême-gauche ?
Si le Programme commun réunissait les trois principaux partis de gauche, et que le PS
accueillera en 1974 une part importante des militants du PSU entraînés par la dynamique unitaire, plusieurs organisations refuseront de le rejoindre. C’est le cas des formations trotskistes qui ont très sensiblement augmenté leur influence, particulièrement
dans la jeunesse, depuis mai 1968. Généralement, leurs critiques sont dures contre
cet accord qu’elles jugent vulgairement électoraliste, au contenu en-dessous des aspirations des masses.
Le PS n’affronte pas ces organisations qu’il appelle « gauchistes ». A contrario, il
entend maintenir des points de convergences avec elles, rester à leur écoute.
Pas d’ennemis à gauche
Pour les socialistes, colonne vertébrale du Programme commun, il n’y a pas d’ennemis
à gauche. Les signes d’attention qu’il envoie sont nombreux. En février 1972, Pierre
Overney militant maoïste de La cause du peuple est ignoblement assassiné par un
vigile aux usines Renault Billancourt. Certaines organisations du mouvement ouvrier
tout en dénonçant ce crime critiquent les provocations régulières des maoïstes accusés d’avoir une part de responsabilité dans la mort de ce militant. Ce n’est pas le cas
de François Mitterrand qui s’exprime très fermement à la Mutualité le 16 mars 1972 :
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« C’est contre le système que le Parti socialiste se mobilise. Nous respectons le combat
d’Overney même si nous doutons des méthodes employées. Il est à l’avant-garde d’un
immense mouvement qui montre la menace là où elle se trouve. »
Dans la revue Le Débat d’avril-mai 1973, Mitterrand précise :
« Le regard neuf est indispensable. Il doit être permanent et s’appliquer à tous les aspects
de la société. Le socialiste doit regarder à tout instant et en ce sens la pratique gauchiste
nous a énormément apporté. C’est le gauchisme qui a permis de porter un regard neuf
sur la nature et la pollution, les cadences du travail, les OS, le service militaire, la hiérarchie sociale, les tabous sexuels. Ce regard neuf permet ensuite aux syndicats et aux partis, c’est-à-dire aux gros bataillons, de conférer, avec le temps de retard inhérent aux
organisations structurées, la dimension politique aux problèmes et situations découverts
par le regard neuf ».
En juin 1973, la Ligue communiste sera dissoute par le gouvernement pour avoir organisé une manifestation violente contre un meeting d’extrême-droite. Ses dirigeants,
principalement Alain Krivine, sont recherchés par la police. Ce dernier, avant de se
livrer aux forces de l’ordre est reçu Cité Malesherbes, siège du Parti socialiste, par
François Mitterrand qui s’entretient longuement avec lui propose de rester le temps
qu’il voudra dans les locaux. Puis, c’est accompagné de ce dernier qu’Alain Krivine se
livrera à la police.
La LCR face au programme commun
Et pourtant la Ligue communiste ne ménageait pas ses critiques. Dans les jours qui suivent la signature du Programme commun en 1972, elle publie une brochure au titre
moqueur « Quand ils seront ministres… ». La critique est rude contre Georges Marchais et François Mitterrand, considérant que ce Programme commun n’est pas assez
à gauche, et que ses signataires « capituleront » devant la bourgeoisie.
Mais les rédacteurs la brochure concèdent toutefois :
« Un grand nombre de travailleurs (…) qui aspirent profondément à l’unité dans la lutte,
verront dans cet accord électoral un premier pas vers l’unité, et lui accorderont leur
confiance. L’espoir ainsi créé peut se traduire par un renforcement des luttes, par la mobilisation de certains secteurs prêts à exiger dès maintenant ce qu’on leur promet pour
demain. (…) La bourgeoisie ressent profondément l’équilibre précaire de cette situation.
Si elle a accueilli l’accord PS-PC avec une telle rage, c’est qu’elle craint pour ses sièges
parlementaires, bien sûr. Mais surtout elle craint que les masses travaillées par le ferment
révolutionnaire n’aillent plus loin que le cadre défini, elle craint que la dynamique enclenchée, il ne soit difficile de l’arrêter. C’est pourquoi elle cherche à compromettre dès à
présent l’alliance PS-PC en présentant le PCF comme gauchiste pour effrayer l’électorat
socialiste ».
En 1981, sans présenter de candidat au premier tour, la LCR appellera à « Battre Giscard » et à voter Mitterrand au second tour.
LO, toujours dans la nuance…
Lutte ouvrière aussi, multipliera les critiques incessantes contre le Programme commun. En 1974, sa candidate à la présidentielle expliquera à la télévision :
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« Mitterrand n’est pas des nôtres. La caution des grands partis ouvriers qui se réclament
de la classe ouvrière ne suffit pas à faire oublier qu’il a du sang d’ouvriers et d’opprimés
sur les mains. Non, mille fois non ! ».
Mais, LO appellera à voter Mitterrand au second tour des présidentielles de 1974 et
de 1981.
L’OCI, de la critique au vote Mitterrand dès le 1er tour
Les positions de l’OCI (organisation dont le principal dirigeant est Pierre Lambert et
dont l’héritier aujourd’hui est le Parti des travailleurs), et de l’AJS (son organisation de
jeunesse) évoluent au fil des années. Elles accueillent d’abord très négativement l’arrivée de François Mitterrand à la tête du PS en 1971. Le secrétaire général de l’AJS
déclare alors :
« La politique de Mitterrand est d’utiliser le sigle du Parti socialiste pour en faire un Parti
bourgeois. L’AJS considère l’opération Mitterrand comme un danger pour le mouvement
ouvrier et souhaite son échec le plus rapide ».
Mais, comme la LCR et LO, l’OCI constatera dans les faits la force de la dynamique unitaire. A partir de la moitié des années 70, le slogan dominant des manifestations
ouvrières devient « union, action, programme commun » et non pas « union, action,
révolution » comme le scandent certains de plus en plus marginalisés.
L’OCI en tirera des conclusions radicales. Elle mènera campagne pour le « Front unique ouvrier » et une « majorité PS-PC à l’Assemblée nationale ». Cette ligne entrant en
résonance avec les attentes du peuple de gauche lui permettra de construire des
implantations dans le syndicalisme ouvrier et étudiant et de disposer d’une solide
organisation au début des années 80. Le 3 avril 1981, elle réunira en meeting plus de
6 000 personnes et appellera à voter Mitterrand dès le premier tour.
Tous ces apports politiques, seront très utiles le 10 mai 1981 pour la victoire du candidat socialiste.
Pour conclure ?
« Le socialisme n’a pas besoin de surhomme, il a besoin d’hommes sûrs ».
La formule de Bracke-Desrousseaux, socialiste des années 30, pourrait résumer l’histoire de la gauche des années 70. Des hommes et des femmes sûrs et déterminés ont
changé le cours de l’histoire.
La gauche était divisée. Ils l’ont rassemblée et menée à la victoire pour « changer la
vie ».
Si la critique doit être menée sans concession sur le bilan de cette gauche au pouvoir,
elle ne doit pas faire oublier les acquis sociaux obtenus. Il faut combattre le discours
si courant à droite (et même à gauche) que cette victoire n’a servi à rien, et que tout
n’était que jeu de dupes et manouvres cyniques.
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Le bilan social et politique des premières années de la gauche en responsabilité, c’est
l’augmentation de 10 % du SMIC, de 25 % des allocations familiales, de 25 % de l’allocation logement, de 20 % l’allocation handicapés adultes. La semaine de 39 heures
sera instaurée, ainsi que la cinquième semaine de congés payés, la retraite à 60 ans,
des droits nouveaux dans l’entreprise, le remboursement de l’IVG, l’abolition de la
peine de mort, l’impôt sur les grandes fortunes, le recrutement de dizaines de milliers
de fonctionnaires, la nationalisation des grands groupes industriels et bancaires, etc.
Qui dit mieux depuis ? Au même moment en Grande-Bretagne avec Thatcher, aux
Etats-Unis avec Reagan, les libéraux démantelaient le droit du travail et remettaient en
cause les acquis sociaux.
Cette victoire, malgré les difficultés et les divisions ouvertes à partir de 1977, a été
obtenue grâce à la force propulsive du Programme commun d’Union de la Gauche
rédigé en 1972. Aucune dynamique, portant la gauche jusqu’à la victoire, n’aurait été
possible, si les principaux partis de gauche ne s’étaient retrouvés pour rédiger un Programme et démontré par là, qu’une autre voie était possible.
La gauche savait alors que pour elle, c’est soit l’union, soit la défaite.
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Bibliographie
Marx Karl et Engels Friedrich, Manifeste du Parti Communiste, éditions Mille et une
nuits, 1998
Jaurès Jean, Textes choisis, l’encyclopédie du socialisme, 1999
Jaurès Jean, L’esprit du socialisme, éditions Denoël-Gonthier, 1964
Changer la vie, Programme de gouvernement du PS et Programme commun de la gauche, introduction de F. Mitterrand, éditions Flammarion, 1972
Changer de cap, programme pour un gouvernement démocratique d’union populaire,
introduction de Georges Marchais, éditions sociales, 1971
Becker Jean-Jacques et Gilles Candar (sous la direction de) Histoire des gauches en
France (vol.2) édition La découverte, 2005
Kergoat Jean, Histoire du Parti socialiste, éditions La découverte, 1997
Melchior Eric, Le PS, du projet au pouvoir, éditions de l’atelier, 1993
Mexandeau Louis, Histoire du Parti socialiste, éditions Taillandier, 2005
Mitterrand François, Le coup d’état permanent, éditions 10/18, 1965
Mitterrand François, Politique (1938-1981), éditions Fayard, 1981
Poperen Jean, La gauche française, éditions Fayard, 1972
Poperen Jean, L’Unité de la gauche, éditions Fayard, 1975
Robrieux Philippe, Histoire intérieure du Parti communiste (1945-1972), Tome 2, éditions Fayard, 1981
Robrieux Philippe, Histoire intérieure du Parti communiste, (1972-1982), Tome 3, éditions Fayard, 1982
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