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26,2
Ou «histoire d’une petite virée à New York »
Lyon, le 9 Novembre 2005
Chers bipèdes,
C’est les jambes en bois et la tête en coton que je vous écris : la démarche un peu hésitante, se situe entre
celle de Charles Gérard dans (l’Aventure c’est l’Aventure) et Donald Duck. J’ai une montre encore à l’heure
d’été (celle du 30/10), une à l’heure d’hiver (celle du 01/11) et une à l’heure de Times Square (celle du
03/11) ; les cycles de sommeil jouent au grand yo-yo. Mais : « what a fucking great week !!!!!!!!”.
o
Jeudi 3/11
J’ai rendez vous avec mon pote Daniel pour le TGV de 8H00 direction Roissy ; dandy dans l’âme et dans la
vie, il arbore une magnifique veste velours côtelé et une chemise Paul Smith du meilleur goût, tout ça pour
aller faire le Mickey dans les pubs huppés de Soho.
Retrouvailles à Roissy avec Philippe et Bruno, les deux autre fêl…., pouf pouf…. les deux autre copains venus
roder leurs Nike rutilantes sur la Macadam New Yorkais.
Puis c’est le départ en avion ; à noter que le seul
incident du voyage sera causé par Philippe qui
explose le score de « Qui Veut Gagner des
Millions », version Air France, ce qui laisse
envisager des prédispositions surprenantes chez
ce garçon.
Merde !!..
J’ai oublié
ma veste
en tweed…
Super, tes
Nike Bruno !!!!
Là on ne voit pas ses Nike, mais Bruno,
j’ai vu, elles ont encore l’étiquette du
code barre….
15 heures (heure locale), ça y est !!!!! On est à New York… On profite bien du trafic : 2 heures pour
rejoindre le petit hôtel de charme situé en plein cœur de Times Square,
quartier calme s’il en est, à l’intersection de Broadway (22
km !!!!!) et de la 7ième Avenue (à peine moins…).
L’ambiance est là !!!! Pas de doute : New York a conservé sa
Magie…
Quelques séries de 200 mètres en fractionné dans le
couloir ; super bon sur la moquette pour les chevilles !!!!!
20h30 : trop morts pour attaquer les bars yunkies, on s’enfile un plat de pâtes au Sbaro du coin (j’en suis à
mon douzième kilo de pâtes depuis 2 semaines… (En état d’over-glycogène en terme nutritif).
Au lit à 23H30 quand même : ça fait 24 heures que je n’ai pas dormi, mais comme je suis en état d’overglycogène, on s’en fout : on est à New York et dans 2 jours, c’est la marathon.
o
Vendredi 04/11
3 heures du matin : « scchliiing !!!! » la mécanique « cycle de sommeil » qui ne pane plus rien depuis 5 jours
me fait un petit coulage de bielle : plus moyen de dormir… Je descends dans New York endormi et là !!!!
derrière l’hôtel, la magie !!!!!! « l’Empire » est là, immense, magnifique, géant.
Je m’enfile Le Breakfast américain de base : œufs, Bacon,
Pancake, 2000 calories d’un coup, ça requinque après la
Vache qui Rit « Air France ».
Direction l’Expo où je dois retirer mon dossard. Là une
charmante hôtesse me remet le sésame.
L’après midi, reconnaissance du parcours en car : 4 heures dans le trafic, je me dis que ça ira plus vite à
pied….
Je commence cependant à avoir des sueurs en voyant le Quennsboro Bridge et la longueur de la 1ère Avenue
à Brooklyn ; mais bon… je suis assis pénard dans mon bus et je ne me rends pas compte………
Le soir je retrouve mes 3 potes qui ont fait grosso modo le même topo, avec quand même une petite
remontée de la 5ième Avenue à pied jusqu’à l’hôtel (10 bornes mine de rien…)
On se décide pour un petit resto branché de Soho et là, ras le bol des pâtes, on se prend le méga hamburger
(le Big Mac en 4 fois plus gros…) : repas protéino/lipido/glucidique (houblon liquide pour certains, mais je ne
cafterai pas) : que du bon……Il me semble quand même que Bruno, au fond, cache une deuxième pinte sous la
table…….
La bouteille verte, c’est bien de la « San Pellegrino »…
Pour faire passer ce repas diététique, certains (ceux là même qui ont opté pour la Budweiser, mais je ne
cafte toujours pas…) votent pour la traversée du Pont de Brooklyn, histoire de voir Manhattan de nuit…
N’empêche, Soho – Pont de Brooklyn, ça a l’air de rien comme ça sur la carte, mais comme un rond point, làbas, c’est grand comme un terrain de foot, forcément ça fausse…. Bon ceci dit, Manhattan la nuit, c’est
grandiose !!!
Retour à notre auberge à 23h30 ; re-schhhliiing à 3 heures….(si on suit bien, j’en suis à 6 heures de sommeil
en 3 nuits… Mais : gly-co-gène !!!!!!!)
o
Samedi 05/11
De toute façon, autant être debout tôt car ce matin c’est la « Friendship Run » ; une petite partie de
dérouillage de jambes bonne enfant qui nous mène tranquille de l’ONU à Central Park avec auparavant la
photo de famille du « Club Marathon France » en grande tenue d’apparat.
On enchaîne avec notre petite course à travers les rues de new York : ambiance délirante et premières
impressions surréalistes de courir au milieu des gratte-ciels de New York
Au milieu des coureurs du « pays du
fromage qui sent pas »…Faut dire que
Là, Phil et Dan font les malins… mais
demain on les verra moins rigoler…
j’avais le même maillot
On distingue nettement « Danny le
Fourbe » qui essaie de faire sauter ses
PV auprès du flic qui joue dans Chips. Ah
ça !!! Quand on travaille dans l’immobilier
on sait comment soudoyer……..
Après cette petite mise en bouche (bah !!!… 6 kms), on
admire Central Park dont la quiétude automnale et la
beauté végétale parée de ses teintes ocres, jaunes
rouges, ne semblent pas atteintes par les
vociférations de dégénérés en short fluo (dont nous
avons fait partie quelques minutes auparavant) qui, à
quelques mètres de là, avalent leur baggel (dégueu…)
et leur Gatorade ( ?????….je cherche encore le
qualificatif…)°offerts par Continental Airlines et une
armée de sponsors assoiffés de mercantilisme.
La sagesse nous dicterait un brin de repos, un zest de
sieste…….
Mais c’est sans oublier que je suis accompagné de boy scouts infatigables, de stakhanovistes du guide du
Routard ; direction l’Héliport pour un survol (rapide…) de New York ; je confirme, l’hélico, est un moyen de
transport beaucoup plus rapide que le bus (5 minutes le tour : Statue de la Liberté – Harlem pour la modique
somme de 100 $ ; la vache !!!!)
3h10….3h10
….3h10
3h40….3h40
…3h40
On retrouve avec plaisir nos deux
héros : Philippe (on jurerait De
Dieuleveut), et Ice Man (Top Gun) Ray
Ban de circonstance. A noter qu’ils
continuent toujours à faire leur
intéressant…
Vu te temps passé en l’air, il nous reste largement de quoi visiter l’ONU. Super !!!! Retraversée de
Manhattan d’Ouest en Est (en bus, faut pas pousser…) pour une visite de 3 heures d’un intérêt franchement
douteux. Heureusement qu’on se paie une petite partie de cache-cache dans les couloirs de la Haute
Assemblée pour rompre de la monotonie ambiante et du décor style fin René Coty / début Charles de Gaulle
de cette haute institution.
J’ai un peu honte de
cette photo…. Mais
j’ai du mal à réprimer
un fou rire (encore
Daniel qui fait le
pitre….) dans une
salle où s’est quand
même décidé le sort
de la guerre en Irak,
et
l’avenir
du
Rwanda….. Là aussi,
je
fais
mon
intéressant ; mais ça
rigolera
moins
demain…..
o
Dimanche 06/11 :
On s’est couché tôt la veille, enfin… On est quand même venu faire un marathon et pas les guignols, quoiqu’en
laissent supposer les pages précédentes…
Schhhhhliiiiiing !!!!! 3 heures……on commence à s’habituer. De toute façon le petit dej est prévu à 5 heures ;
royal : de tout et beaucoup, avec arrêt de manger impératif 3 heures avant le départ.
Je regagne ma chambre où tout est déjà préparé selon un rituel que je m’étonne encore d’avoir observé (des
fous, je vous dis…)
Le super débardeur
du « Club Marathon
France » avec le
dossard (je remets 5
fois les épingles pour
qu’il soit bien droit)
Le bandana
« stars en
stripes »
Le short avec Bert collé
dessus. C’est mieux que
d’entendre « allez
France »
Les chaussettes neuves
mais pas trop, comme on
m’a dit
Les New Balance M900 Absorb System
Plus Extra (payee par Advanced
Bionics), le sponsor. Merci le sponsor…
Et puis c’est le départ de l’hôtel, avec cette
insouciance qui fait plaisir à voir chez ces êtres
étranges qui sont venus ici dans le seul but de
rallier le Pont de Verrazzano à Central Park en
courant, alors que c’est beaucoup plus simple en
métro….(et en plus ils ont payé pour ça…).
Ont-ils seulement conscience à ce moment précis
de l’absurdité de leur quête ?
(On ne voit pas Bruno ; heureusement l’appareil
est doté d’un stabilisateur d’image car lui aussi a
les mains qui tremblent…….)
Il est 7h00, on se dirige vers le point d’embarquement des bus qui emmènent les coureurs sur l’aire de
départ à Staten Island. Au fur à mesure que l’on approche de la zone, le flot des coureurs grossi jusqu’à
former une queue interminable ; tout le monde suit gentiment… On calcule : 37 000 coureurs, à raison de 60
par bus….. 610 bus !!!!…On commence à prendre conscience de la démesure de ce marathon. Mais on est chez
les Ricains : organisation impec et l’attente n’est pas longue.
On est dans le bus… On traverse Manhattan encore
endormie. On passe devant « Ground Zéro, traversée du
tunnel de Brooklyn qui relie Manhattan à Staten Island,
et à la sortie : LE PONT !!!! Le mythique pont de
Verrazzano, celui dont rêve tout marathonien. Immense
avec ses piliers hauts comme un immeuble de 20 étages.
2 fois 3 voies sur 2 niveaux ; on a du mal à imaginer que
dans 3 heures il sera entièrement rempli de coureurs
Embouteillage : 600 bus à la queue leu-leu, ça fait long…
Puis on arrive sur la zone de départ qui est une base militaire transformée en un immense village de toiles
de 40.000 habitants. Et là, premier choc : à la descente du bus, les bénévoles nous font une haie d’honneur
et nous accueillent en nous applaudissant : « congratulations ! Congratulations !…. » C’est le mot magique que
l’on entendra toute la journée de la bouche des new yorkais.
D’immenses tentes sont installées : la tente « église », la tente « synagogue », la tente « renseignements, la
tente « service médical », la tente « psychologue » (pour les angoissés qui ne veulent plus partir…), la
tente…. La tente… la tente…. Le camion citerne « café », le camion citerne « lait », le camion citerne
« eau », le camion citerne « thé », le camion citerne…le camion citerne…le camion citerne… Et les cabines
pipi alignées …………….
Avant……
Après……
On file nos sacs aux gars de chez UPS qui sont chargés d’acheminer nos affaires de rechange à l’arrivée :
37.000 sacs répartis dans 50 camions…. Je mettrai 5 minutes pour le récupérer à Central Park. Moi, je veux
bien, mais quand je vais à Carrefour acheter des lames de rasoir, je passe plus de temps à la caisse…
9H30 : H – 40’ .On est parqué dans nos sas correspondants à nos couleurs de dossards (les bleus, les verts,
les oranges) répartis suivants notre temps prévu ; chaque sas étant lui même sub-divisé par tranches de
1000. Les contrôles sont soit disant strictes, mais coup de bol, ayant bénéficié du dossard 4257 et Daniel
du 8436, on se retrouve quand même dans le même sas, avec les bleus.
Il y a en fait 3 zones de départ à NY pour diluer plus facilement la meute : les bleus partent du côté droit
du pont sur la partie supérieure ; les oranges à gauche du pont sur la partie supérieure ; les verts sur les 2
files de la partie inférieure du pont. Philippe est en vert, Bruno est en orange.
Comme on a prévu de faire le même temps Daniel et moi (3h10/3h15), on se met d’accord pour courir
ensemble.
9H50 : ça y est ! Ca bouge !!!! Les organisateurs viennent d’ouvrir les grilles de Fort Woodwarth et les trois
pelotons partent se positionner en marchant ou en courant sur le pont de Verrazzano, vers leur ligne de
départ respective. Dernière occasion de faire pipi… (enfin pas pour moi, on verra plus tard…)
A la sono, le speaker s’époumone à nous dire dans toutes
les langues de ne pas jeter nos vieux vêtements
(conservés jusqu’à la sortie du pont, car très venté),
personne n’écoute, ça vole de partout.
Puis nous y sommes……
Le Verrazzano est là, juste devant nous !!!
Impressionnant : une autoroute, avec ses piliers
immenses, perdus dans la brume, là haut… Et ça
monte !!!
La pression monte elle aussi, mais alors très
fortement. Les hélicos au dessus qui tournent
et qui filment, l’hymne américain avec tous les
ricains la main sur le cœur, les larmes coulent,
les frissons partout…
J’avoue humblement que là, je réalise pour la
première fois, depuis mon arrivée à NY, que j’y
suis… P… j’en ai rêvé des années de ce moment
là. Je chiale comme un gosse : c’est trop gros,
trop fort.
Et puis pas le temps de réfléchir : BANG !!!!
(celui-là, je l’ai bien entendu).
10H10 : je m’attendais à piétiner un peu vue la foule, mais non… On commence à courir tout de suite ; on
pose bien son pied où est fixée la puce électronique, sur le tapis qui enregistre le temps réel au passage de
la ligne. Ca monte (le point culminant du marathon est au sommet du pont) ; Daniel et moi on fait les cons ;
c’est l’euphorie. En bas les bateaux pompes nous saluent avec leurs sirènes et leurs jets d’eau bleu, blanc,
rouge. Il y a la planète entière ; je vois des maillots Pérou, Pakistan… des gars avec des photos de leur gosse
sur le T Shirt, des messages « for you, dad… »
Làààà !!!!….
O H ! ! DA NI E L ! ! ! !
C’ E S T PA S DA NS CE SE NS ! ! ! !
Le premier mile est au milieu du pont ; on est plus ou moins dans les temps du tableau de marche
(l’équivalent de 4’20" au km). On est bien ; on admire le paysage, on papote, on mate un peu les nanas qui sont
de l’autre côté de la rembarde du pont, ça descend, on accélère, on prend des photos…
Les filles
Les garçons
Pas de spectateurs sur le pont ; on est entre nous, pépères, avec le soleil qui commence à chauffer (Déjà
75°F……… ??????……………..23°C, pour les incultes…….)
Ca descend bien, on entame notre virage pour rentrer dans Brooklyn et là !!!!!!!….. LE CHOC !!!!!
On entend depuis des mois que le Marathon de
New York, c’est le Magic Marathon ; on sait qu’il y
a du monde, des masses de spectateurs… Mais là,
je dois dire que c’est l’hallucination ! En entrant
dans cette 4ième avenue, des milliers (si j’osais, je
dirais des millions) de spectateurs sont là à
acclamer, la foule est immense, les femmes
hurlent à tout rompre, des innombrables « allez
France » (je le sais au nombre de fois où Daniel
lève la main pour remercier), des centaines de
gamins tendent la main pour les saluer au passage,
des orchestres « sauvages » installés là, sur le
trottoir avec les guitares électriques qui crachent
les décibels, les chaînes Hi Fi sur le bord des
fenêtres… La 4ième avenue est absolument
rectiligne, et c’est le même spectacle pendant 7
miles…. ????????? 11,20 km (vraiment, hein !!!…..)
Là ça monte en faux plat pendant 5 miles ; puis au sommet, moment très fort : devant une marée de maillots
bariolés qui ondulent ; derrière un océan de maillots qui ondulent : à droite : les verts nous rejoignent,
encore des milliers de coureurs. Je sais pas…. Grosso modo entre spectateurs et coureurs sur la longueur de
la 4ièmre avenue, on doit frôler le million…
4,5,6,7,8 miles : ça va… On accuse un petit retard de 1’30" sur le tableau de marche mais je me dis qu’on les
rattrapera après. J’ai quand même du mal à me caler au bon rythme ; j’essaie de me concentrer sur la
fréquence du cardio pour courir en 4’20. On s’arrête à tous les ravitaillements pour éviter la désydhratation
(il commence à faire vraiment très chaud). Fatalement, j’ai envie de pisser ; je m’arrête 2 fois sur cette
avenue car ça me gêne ; je rattrape Daniel qui lui doit avoir une vessie de chameau et qui continue à faire le
guignol avec le public.
On traverse comme ça tout Brooklyn ; la foule toujours aussi chaleureuse, la température de plus en plus…
On traverse le quartier latinos, le quartier noir, Williamsburg, le quartier juif : alors là, changement radical
d’ambiance : tout le monde en costume cravate et chemise blanche (enfants compris) : le silence y est
presque total, pas question de taper dans les mains qui d’ailleurs ne se tendent pas. Images fortes de ces
enfants qui semblent d’un autre monde.
On approche du Pulaski Bridge (qui nous fait passer de Brooklyn au Queens) ; km 21 (ou miles 13,1) : on est
en 1 heure 37 : ça va (re-pipi pour moi.) ; La moitié du marathon est passée dans la joie et la bonne humeur.
Bye Brooklyn…. Hello le Queens….
P…….. le Queens !!!!!!!!!……………………………………….
On nous l’a dit, on nous l’ a répété, son nom est gravé dans nos esprits : Le Pont !!!!! Nous, quand on pense
pont, on s’imagine le Pont de base , un peu bombé qui enjambe une rivière, voire un fleuve. Le gars qui a
conçu le Pont du Queensboro, il pensait plutôt « viaduc », lui… Le pont du Queensboro, on le voit venir de
très loin. Géant…On tourne autour pendant au moins 2 / 3 miles dans les quartiers du Queens : un mélange
de zones industrielles complètement vides et de quartiers très animés : on est bien dans le New York des
séries B de la télévision.
Toujours est-il que cette traversée du Quenns restera pour moi comme étant le début du calvaire ; je ne le
sais pas encore, mais le reste du marathon va être un enfer (il reste environ 17 km). Une vieille blessure aux
adducteurs apparue lors d’un entraînement un peu poussé, ressurgit. Je me dis « ça va passer ». Mais ça ne
passe pas, je laisse Daniel partir devant. Et là : je souffre… La montée du Queensboro : l’horreur. Je
commence à marcher une dizaine de mètres, mais je me dis qu’il faut absolument recourir maintenant sinon
je ne repars pas.
La douleur est là, assourdissante à chaque foulée. La Gestapo devait utiliser les adducteurs pour les
tortures… C’est pas possible. Bon je me finis la montée du pont tant bien que mal. Ca redescend, un virage,
une clameur qui monte et là…… THE SPECTACE !!!! Celui qu’on ne voit qu’une fois dans sa vie, celui qui
n’existe que pour ce marathon et qui donne tout son sens au mot MAGIC de MAGIC MARATHON. Rien que
le fait d’évoquer cet instant, j’ai la gorge qui se serre. Je crois que, rien que pour ce moment, malgré toute
la souffrance qui va suivre, je referai ce marathon pour revivre ça.
On vient d’entrer dans Manhattan : là, des dizaines de milliers de personnes entassées sur 200/300 mètres
à hurler comme les américains savent le faire, 3 ou 4 orchestres qui balancent des décibels, des « allez
France » qui fusent de toute part, des coureurs qui n’en croient pas leurs yeux, qui s’arrêtent, qui se
plantent en plein milieu, qui sortent leur appareil photo (je fais pareil) et font ce qui sera certainement la
plus belle photo du marathon. C’est très difficile de retranscrire ce moment mais l’émotion est à son comble.
Je ne sens plus la douleur, j’hallucine, j’ai le corps parcouru de frissons ; je cours le plus près possible de la
barrière pour me rapprocher de la foule ; j’ai l’impression que les encouragements ne sont adressés qu’à moi.
N’importe quel sportif rêve de gloire, d’entrées dans un stade avec la foule debout en délire qui acclame son
nom. Eh ben voilà,… On est des centaines de champions à passer au même moment.
On fait un virage à 180° avec ce spectacle qui reste pour moi un des moments le plus fort du marathon, et on
rentre dans la 1ère Avenue : la voie royale !!! Immense, très large (6 voies pour les voitures), absolument
rectiligne à perte de vue sur 7 km, en léger faux plat montant.
Une marée humaine de coureurs et de spectateurs à
perte de vue.
La douleur que je ne sentais plus grâce au spectacle
ressurgit (même si c’est toujours la même folie). De
voir cette avenue sans fin, la chaleur, le panneau 17
miles (il en reste 9…), tout ça contribue à me casser le
moral.
Je suis un zombie ; je m’arrête à chaque ravitaillement
pour boire du Gatorade et de l’eau ; arrêts pipi dans
une petite rue perpendiculaire dans Harlem ; j’ai le
front appuyé contre le mur, je suis tout seul, je pense
que je vais arrêter, c’est trop dur…J’arrête, tant pis…
L’être humain est quand même bizarre…Le marathon est une activité très intéressante pour la quête du sens
de la vie et de soi-même. Comment est on capable de surmonter la douleur, la fatigue, le moral à zéro (je ne
pense plus du tout au chrono) ? Comment j’ai réussi à repartir ?????? … Je me pose encore la question.
Toujours est-il que je repars. A quoi je pense ? A tout : aux heures d’entraînement passées pour être ici,
aux copains, au chien, à la médaille au bout, à Gérard ATLAN (de Thomas Cook) dont les mots sont gravés
dans ma mémoire : « on n’abandonne pas à New York !!!… » (je le remercierai d’ailleurs à l’aéroport d’avoir
écrit ces mots, qui m’ont porté jusqu’au bout). Et c’est vrai qu’on n’abandonne pas ; des coureurs qui me
doublent me tape sur l’épaule et m’encouragent dans une langue que je suis incapable de reconnaître, des
spectateurs m’agitent des panneaux sous le nez « You do it !!!! », j’entends des « come on France », »come on
Bert !!!»… J’avance : je le finirai ce P… de marathon !!!!!…
Et j’avance, je cours à 10/11 km / heure ; je m’arrête a chaque ravitaillement, je fais des étirements et je
repars. Au km 30, le seul ravitaillement solide du marathon : distribution de Power Gel (produit chimique
dégueu « coup de fouet ») ; j’en prends 10…. J’en avale un tout les km. J’ai mal. Pourtant j’ai déjà eu mal lors
d’autres marathon, à Sainté-Lyon ; mais la douleur n’a jamais été aussi forte.
Le fameux « mur » du trentième kilomètre, moi je ne l’ai pas senti ; j’affronte une montagne depuis déjà 10
bornes…
Et puis on arrive au bout de cette foutue 1ère avenue ; nouveau pont (Willis bridge) pour passer dans le
Bronx ; moins pentu que le queensboro mais avec des jolis caillebotis qui attaquent les pieds et les genoux
maintenant. Petit tour dans le Bronx (misère….on est loin de Park Avenue….) ; re-pont (Madison AV. Bridge),
re- Harlem, re-« j’y arriverai jamais », re-auto-engueulade, re-power gel….. Plus la force ou l’idée de prendre
des photos.
On attaque la 5ième avenue ; il reste 5/6 km.
Je l’avais déjà faite la 5ième avenue… en taxi, à pied…
Musée Gugenheim, Metropolitan Museum, les boutiques…
Tout pépère, en touriste. L’enfer était déjà sur la 1ère
Avenue ; là, c’est après l’enfer : c’est un nom et un lieu
qui n’existait pas avant ; j’ inaugure… Et ça monte, et ça
monte… Le chrono est à 3h00. Un petit sursaut d’orgueil
que je suis allé pêcher je ne sais pas où, m’ordonne de
faire moins de 3H40… Je vois passer les « pacer »
(coureurs « repères » qui ont un dossard spécial du
temps qu’ils prévoient de faire) 3H50. qui me doublent ;
des femmes me doublent ; des gros me doublent ; des
milliers de coureurs me doublent…Et là, je sais pas… Un
miracle. J’ai toujours aussi mal, mais j’arrive
mentalement à isoler la notion de douleur ; je ne sais pas
comment ça s’appelle, peut être tout simplement la
hargne. Je me fixe sur un gars qui a un style aussi
élégant que le mien et qui me dit « you : come with
me ! » ; je ne sais pas qui c’est, je ne l’ai plus revu après
l’arrivée, mais je le suis, et je le suivrai jusqu’au bout.
Merci mon gars ; merci pour ton geste ; merci de m’avoir aider à y arriver ; thank you !
On entre enfin dans Central Park. Je vois la banderole 24 Miles : plus que 2 !!!! Je fais vraiment ça : je parle
tout haut, je fais le signe 2 avec les doigts, et je dis « plus que 2 ». Ca descend ; je tape sur l’épaule d’un
gars à l’agonie, qui marche et qui a un T Shirt où est inscrit derrière « I’ll finish what I started »… Je lui
dit « you come with me » (puisque c’est la formule magique) ; je me retourne, je vois qu’il redémarre. Ca
devait être un guerrier, lui ce matin sur le Pont de Verrazzano pour arborer un T shirt comme ça ; pas
question de le laisser tomber… Il me suivra jusqu’au bout…. C’est ça MAGIC…
25 Miles !!!!!! Plus qu’un !
C’est vraiment très long, un miles ; qu’est ce qu’ils ont foutu ces ricains a inventer un système métrique pas
comme le notre ????
Là plus de douleur, plus rien.. je ne me rappelle pas. Je n’ai qu’une obsession : la ligne d’arrivée ! Panneau 1 km
(là ; ils se remettent à compter normalement….), 800 M, 400 M, 200M, 100M… (ah !!! Les cons…).
Elle est là, je la vois.. ; C’est marqué FINISH dessus ; en rouge ; c’est beau ce rouge et ce bleu ; elle est
magnifique cette banderole.
Ca y est : je pose mon pied sur le tapis qui enregistre la puce, j’appuie mécaniquement sur le bouton arrêt de
mon chrono ; je ne regarde même pas. Oh ! et puis si ! 3H47. Je suis énormément déçu, c’est la première
chose que je ressens. Puis un bénévole me passe la médaille autour du cou « congratulations ». Tous les
bénévoles sont là à applaudir « congratulations, congratulations ». Ca fait chaud au cœur.
Et puis, il est là… Tout petit dans son coin, assis par terre… Daniel que je croyais déjà changé et douché,
fait la même tronche que moi… Lui aussi en a bavé ; il s’est pris le mur au trentième :3H41. Je m’assieds à
côté de lui, je chiale. La douleur, la déception, la fatigue, la tension nerveuse… Ca ne dure pas longtemps, car
finalement on prend conscience qu’on a fait un truc énorme ; moi, j’ai réalisé un rêve. Et puis je le savais, de
toute façon,’à New York, il ne faut pas y aller pour faire un temps. Alors « congratulations »… Ouais…C’est
vrai que je peux être fier de l’avoir fait, d’avoir eu la force mentale d’aller au bout, de ne pas arrêter. Ouais,
c’est pas mal…
Congratulations !
Mais t’as l’air un
peu benêt…
Ouais… Elle est
jolie ta médaille,
Dan…
C’est vrai que j’ai l’air
benêt, là….
On marche….. Pouf, pouf…. on tente un déplacement vers l’avant avec démarche D2R2 (le robot dans Star
Wars) vers la sortie. Un gars préposé à la couverture de survie, un gars préposé au scotchage de la
couverture de survie, une fille proposée à la récupération de la puce : « congratulations !!!!…
Congratulations…. » « Congratulations » à vous, oui, pour l’organisation.
On sort de Central Park ; 5 minutes pour récupérer le sac dans les camions UPS (chapeau les ricains… Vous
comptez les km bizarrement, mais question logistique…). Il y a une foule énorme entre les coureurs et la
famille qui vient féliciter le champion… On a du mal à se frayer un chemin, encore plus pour trouver un taxi
pour nous ramener à l’hôtel. On prend le premier bus qui se pointe, on s’affale dedans ; coup de bol, il nous
arrête devant l’hôtel. Bain (1 heure). Dodo……..
On se retrouve quelques heures plus tard Bruno, Philippe, Daniel et moi : on échange nos impressions ; on est
comme des gosses ; on se raconte des anecdotes qui ne pourraient faire marrer que nous ; on a tous fait des
temps moyens, mais putain, qu’on est heureux.
On va fêter ça au sommet de l’hôtel Marriott (super resto avec vue unique sur NY, puisque le resto tourne
et on voit à 360°). Je prends une bière (première goutte d’alcool depuis des mois), on trinque, on déconne…
Des gosses…
Le lendemain on trouve encore la force d’aller visiter 2/3 quartiers, d’acheter les souvenirs pour femmes,
enfants… On achète le Times pour voir les résultats complets. Malgré ma déception, je suis à la 5560ième
place et finalement il y a quand même encore 32 000 courageux derrière qui remplissent les pages du
journal.
Je crois bien avoir dit à 13H57 ce dimanche : «plus jamais» (comme tous les marathoniens le disent…) ; mais
finalement, je crois bien que si….. Le prochain en Avril pour passer sous la barre mythique des 3 heures…
Merci à toi Daniel de m’avoir remis « dedans » et permis de découvrir le Power gel et le Gatorade, des
moments rares d’émotions gustatives(surtout le Power gel à la vanille, franchement, à essayer) mais surtout
de m’avoir fait vivre ces moments inoubliables.
Merci à Philippe et Bruno d’avoir été si sympa et patients avec moi pour avoir souvent répété dans les restos
ou les rues new yorkaises ultra bruyants.
Merci à mes New Balance, les seules qui ont tenu le coup. Et merci à Advanced Bionics qui m’a aidé
financièrement et avec lesquels j’ai mis au point à l’occasion de ce marathon un implant « sport ».
Merci à Scotch qui s’est tapé l’intégralité de mes entraînements sans broncher, et qui a même pas pu être
sur le pont de Verrazzano.
Merci aux Grecs d’avoir battu les Perses au Vième siècle avant JC et d’avoir « inventer » le marathon.
Vraiment un P…. de sport !!!!!!!…..