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La profession médicale, notamment généraliste, est en crise persistante et les perspectives ne sont guère rassurantes : à la crise qui frappe les soins primaires de façon
profonde et durable et qui touche tous les pays industrialisés [1] s'associe une altération importante de l'état de santé des soignants et, par voie de conséquence, de leur
capacité à assumer leurs tâches. Si les difficultés du système et celles des individus
qui le constituent relèvent de niveaux logiques différents, elles interagissent et s'éclairent les unes par les autres. L'existence d'un taux élevé d'épuisement émotionnel chez
les médecins libéraux français a donné lieu, depuis quelques années, à différents travaux et incité à la mise en place en juin 2005, d'un dispositif téléphonique d'aide et à
une vaste enquête de l'URML Île-de-France en 2006. Cette série d'articles en synthétise les différentes caractéristiques et perspectives.
Burn out des médecins
libéraux
VIE PROFESSIONNELLE
Échanges entre professionnels
Éric Galam
Université Paris 7
Association d’Aide
Professionnelle aux
Médecins Libéraux
(AAPML)
egalam@hotmail.com
Mots clés : exercice
professionnel,
maladie
professionnelle
1re partie : une pathologie
de la relation d'aide
« La médecine est une maladie qui frappe tous les
médecins de manière inégale. Certains en tirent des
bénéfices durables. D’autres décident un jour de rendre leur blouse parce que c’est la seule possibilité
de guérir – au prix de quelques cicatrices. Qu’on le
veuille ou non, on est toujours médecin. Mais on
n’est pas tenu de le faire payer aux autres, et on
n’est pas non plus obligé d’en crever. »
Martin Winckler, La maladie de Sachs, POL, 1998.
« Burn out syndrom » :
plus de 40 % des médecins
Le concept de burn out syndrom a été défini en 1972 [2] :
certains professionnels impliqués dans une relation de
soin étaient « parfois victimes d’incendie tout comme
les immeubles : sous l’effet de la tension produite par
notre monde complexe, leurs ressources internes en
viennent à se consumer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’intérieur, même
si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte ».
Ce syndrome [3] comporte trois symptômes d’intensité
proportionnelle au degré de burn out (une grille d’analyse
en 22 items, le Maslash Burn Out Inventory, en encadré 1, permet de quantifier ces critères et de comparer
diverses populations et différents moments) :
– un épuisement émotionnel marqué par un manque de motivation et d’entrain au travail, et une sensation que tout est difficile, voire insurmontable ;
– une réduction de l’accomplissement personnel :
le soignant s’évalue négativement, se trouve incompétent et sans utilité pour ses patients, diminuant ainsi
l’estime qu’il a de lui-même en tant que professionnel
et supportant donc moins les efforts qu’il doit faire
pour surmonter son épuisement ;
DOI : 10.1684/med.2007.0194
Décrire les maladies ou les malades, voire les
difficultés rencontrées pour les soigner, est encore acceptable. Centrer la réflexion sur notre façon d’habiter
nos pratiques est à la limite tolérable. Reconnaître et
accepter de travailler le fait que nous puissions nous
aussi être porteurs des affections que nous soignons
est un quasi-tabou que ni la collectivité ni les médecins n’abordent sans réticences. Pourtant, nos éventuelles maladies et souffrances influencent forcément
notre manière d’assumer notre rôle de soignants. De
même, notre qualité de médecin retentit forcément
sur notre façon d’être malades et de nous soigner. La
difficulté est encore plus grande lorsqu’il est question
des éventuelles maladies liées à notre exercice professionnel, surtout si elles relèvent, non pas d’une infection ou d’un traumatisme, mais bien de l’acte de
soigner.
MÉDECINE novembre 2007 419
VIE PROFESSIONNELLE
Échanges entre professionnels
– une tendance du soignant à dépersonnaliser ses patients
ou clients qui sont vus de manière impersonnelle, négative,
détachée voire cynique.
Encadré 1.
Maslash Burn out Inventory (MBI)
Chacun des 22 items doit être coté selon sa fréquence :
0 (jamais), 1 (quelques fois par année), 2 (une fois par mois),
3 (quelques fois par mois), 4 (une fois par semaine), 5 (quelques fois par semaine), 6 (chaque jour).
1. Je me sens émotionnellement vidé(e) par mon travail
2. Je me sens à bout à la fin de ma journée de travail
3. Je me sens fatigué(e) lorsque je me lève le matin et que
j’ai à affronter une nouvelle journée de travail
4. Je peux comprendre facilement ce que mes malades ressentent
5. Je sens que je m’occupe de certains malades de façon
impersonnelle comme s’ils étaient des objets
6. Travailler avec des gens tout au long de la journée me
demande beaucoup d’efforts
7. Je m’occupe très efficacement des problèmes de mes
malades
8. Je sens que je craque à cause de mon travail
9. J’ai l’impression à travers mon travail d’avoir une influence positive sur les gens
10. Je suis devenu(e) plus insensible aux gens depuis que
j’ai ce travail
11. Je crains que ce travail ne m’endurcisse émotionnellement
12. Je me sens plein(e) d’énergie
13. Je me sens frustré(e) par mon travail
14. Je sens que je travaille « trop dur » dans mon travail
15. Je ne me soucie pas vraiment de ce qui arrive à certains
de mes malades
16. Travailler en contact direct avec les gens me stresse trop
17. J’arrive facilement à créer une atmosphère détendue
avec mes malades
18. Je me sens ragaillardi(e) lorsque dans mon travail, j’ai
été proche de mes malades
19. J’ai accompli beaucoup de choses qui en valent la peine
dans ce travail
20. Je me sens au bout du rouleau
21. Dans mon travail, je traite les problèmes émotionnels
très calmement
22. J’ai l’impression que mes malades me rendent responsable de certains de leurs problèmes
Le total des réponses 1, 2, 3, 6, 8, 13, 14, 16, 20 évalue
l’épuisement émotionnel : faible (< 17), modéré (18 à 29),
ou élevé (> 30) ;
Le total des réponses 5, 10, 11, 15, 22 évalue la dépersonnalisation : faible (< 5, modérée (6 à 11), ou élevée (> 12) ;
Le total des réponses 4, 7, 9, 12, 17, 18, 19, 21 évalue
l’accomplissement personnel : faible (< 33), modéré (34 à
39), ou élevé (> 40) ;
L’augmentation de l’épuisement émotionnel et sa conséquence, la tendance à voir ses patients comme des maladies, voire des objets sont proportionnels au degré de burn
out. À l’inverse, un accomplissement personnel élevé est
protecteur puisqu’il donne sens à l’investissement et le rend
plus supportable.
420 MÉDECINE novembre 2007
En France, trois régions ont été étudiées sous cet aspect
(Bourgogne 2001, Champagne-Ardenne 2002, et Poitou-Charentes 2004) [4-7]. En moyenne, les taux d’épuisement émotionnel sont élevés dans plus de 43 % des cas, une dépersonnalisation des patients élevée dans 40 % des cas
également et un accomplissement personnel faible dans
30 % des cas. Ces taux sont, en Bourgogne, plus élevés que
ceux d’autres professions d’aide comme les travailleurs sociaux, les pompiers ou les aides soignantes. Ils sont équivalents en Champagne-Ardenne et Poitou-Charentes à ceux retrouvés dans un échantillon de 3 982 médecins hollandais et
un autre de 11 067 médecins américains. Une enquête organisée par l’URML auprès de 10 000 (24 % ont répondu)
parmi les 24 000 médecins libéraux d’Île-de-France est en
cours de dépouillement.
Une maladie professionnelle
difficile à admettre
Le syndrome d’épuisement professionnel des soignants
(SEPS) est d’abord une pathologie de la relation [8] : quelle
distance établir pour apporter l’aide tout en étant respectueux
de la personne et ne pas se consumer soi-même, quelle
« juste » implication dans le soin pour être présent mais à sa
place ? Longtemps cantonné aux paramédicaux hospitaliers,
le burn out n’a été étudié chez les médecins libéraux que
depuis 2001, comme si imaginer qu’il pouvait les concerner
directement relevait d’un tabou. Il faut reconnaître que ces
données sont dérangeantes et tous, médecins compris, nous
aspirons à les occulter. Tous, nous souhaitons continuer à
croire que nous sommes indestructibles, que nous pouvons
bien surmonter cela et que le malade, c’est l’autre.
Soumis à une charge de travail de plus en plus grande, les
soignants sont confrontés à la frustration, au découragement, spirale dangereuse qui naît du déséquilibre entre ce
que l’on veut faire, son engagement, et les moyens dont on
dispose. Les « professions d’aide » ont en commun d’obliger
les individus à soutenir en permanence une image idéalisée
d’eux-mêmes dans des conditions de plus en plus difficiles.
Le « faux self » est défini par Winnicott comme la façade
policée de notre personnalité permettant d’entretenir des relations satisfaisantes avec notre entourage [9]. Éric Berne,
fondateur de l’analyse transactionnelle, parle « d’enfant
adapté soumis » représentant une part de nous-mêmes facilitant notre intégration à des groupes variés, nous permettant de nous imprégner des valeurs, rites, codes et habitudes
et de nous fondre dans une communauté d’individus [10]. Il
définit également des injonctions plus ou moins contraignantes que nous traînons dans notre vie notamment notre vie
professionnelle, pour les médecins : « Sois fort ! » et « Pense
aux autres ! ». Lorsque le faux self envahit le vrai et que « la
coquille se substitue au jaune et au blanc », alors commence
le tableau pathologique. En outre, les soignants sont supposés portés par une vocation qui tend à disparaître, laissant le
public désemparé et les soignants « nus », sans protection
et sans les bénéfices secondaires qu’elle apportait en termes
d’admiration et de reconnaissance.
VIE PROFESSIONNELLE
Échanges entre professionnels
Centré sur son patient et à l’écoute de la collectivité, le médecin est au cœur du soin, mais à condition de « fonctionner » correctement et de ne pas perturber le soin avec ses
problèmes « personnels ». Il doit se consacrer à ses patients,
être humain mais pas trop (le malade c’est l’autre), être ouvert à l’accompagnement et à la discussion mais aussi tout
puissant puisqu’il a accès au corps et à l’intimité psychique.
On attend de lui qu’il soit en bonne santé : si jamais il lui
arrive d’être malade, cela ne doit pas être perceptible aux
yeux de ses patients et de la collectivité qui risqueraient alors
d’être inquiétés voire désemparés. Un médecin malade est
en quelque sorte un « traître » aux critères d’exigence qui
fondent son entrée dans la confrérie. De plus, le médecin
craint d’être ridiculisé voire discrédité s’il avoue ses difficultés de santé surtout si elles relèvent du psychisme.
Enfin, le soignant libéral se retrouve seul face à sa souffrance, seul face à une multiplicité de malades dont il ne peut
se décharger sur personne. Être seul, c’est renoncer aux vacances, aux temps forts familiaux... et c’est aussi n’avoir pas
« le droit » d’être malade.
Tous ces éléments rendent difficile l’accès aux soins, auxquels le médecin est pourtant familier. Le médecin ayant le
plus souvent recours au déni, aux addictions, à l’automédication et en désespoir de cause aux consultations « à la sauvette » auprès d’un ami, entre 2 portes. Il supporte,
compense, jusqu’à ce qu’il finisse par craquer...
Références :
1. Gallois P, Vallée JP, Le Noc Y. Médecine générale en crise : faits et questions. Médecine. 2006;2(5):223-8.
2. Freudenberger H., 1974, Staff burn-out, Journal of Social Issues, 30, 159-165.
3. Maslach, C, Jackson, SE – Maslach Burn Out Inventory. Palo Alto: Consulting press; 1996.
4. Truchot D. Le burn out des médecins libéraux de Champagne-Ardenne. Rapport de recherche pour l’URML Champagne-Ardenne ; 2002. Sur http://www.urml-ca.org/rapport_burn_
t_medecin_ca.pdf
5. Truchot D. Enquête Bulletin Ressources No 1. URML Bourgogne Janvier 2002.
6. Zeter C. Burn out, conditions de travail et reconversion professionnelle chez les généralistes de la région Poitou-Charentes [Thèse Méd]. Poitiers: Poitiers Univ; 2004.
7. Truchot B. Épuisement professionnel et burn out. Concepts, modèles, interventions Paris: Dunod; 2004.
8. Canoui P, Mauranges A. Le syndrome d’épuisement professionnel des soignants : de l’analyse du burn out aux réponses. Paris: Masson; 1998.
9. Winnicott D. Jeu et réalité. Paris: Folio; 2006.
10. Berne E. Que dites-vous après avoir dit bonjour ? Paris: Tchou; 2006.
Prochaines parutions :
2e partie : l’identité professionnelle du médecin en question.
3e partie : des conséquences pour les médecins comme pour leurs patients.
4e partie : l’Association d’aide professionnelle aux médecins libéraux.
L’auteur est médecin généraliste, Maître de conférence de médecine générale à l’université Paris 7, coordonnateur de
l’Association d’aide professionnelle aux médecins libéraux (AAPML).
Conflits d’intérêts financiers à propos de cet article : néant.
Pour tout renseignement complémentaire, s’adresser à l’auteur : egalam@hotmail.com
MÉDECINE novembre 2007 421
VIE PROFESSIONNELLE
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- Type : pINT 08-01-07 09:41:10
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Éric Galam
Université Paris 7
Association d’Aide
Professionnelle aux
Médecins Libéraux
(AAPML)
egalam@hotmail.com
Mots clés : exercice
professionnel,
maladie
professionnelle
Échanges entre professionnels
Le premier article montrait combien le « burn out » des médecins traduit une pathologie de la relation d'aide : le soignant libéral se retrouve seul face à sa souffrance,
seul face à une multiplicité de malades dont il ne peut se décharger sur personne.
C'est ainsi la question de l'identité professionnelle du médecin qui est posée, cette
« manière spécifique dont chaque praticien exerce son métier et qui le fait reconnaître
par ses patients et par lui-même comme membre de la collectivité médicale dans une
société donnée » [1]. L'identité professionnelle s'exprime aussi par la façon dont chaque praticien assume et surmonte les difficultés liées à son exercice pour en préserver
l'efficacité et la qualité.
Burn out des médecins
libéraux
Deuxième partie : une identité
DOI : 10.1684/med.2007.0210
professionnelle remise en question
La notion d’identité professionnelle du médecin est
de plus en plus perceptible dans de nombreux domaines. Elle est au cœur de la formation médicale continue 1 ou de l’évaluation des pratiques professionnelles. Tout en s’appuyant sur des référentiels collectifs
et validés, l’objectif est que les praticiens portent un
regard sur leurs pratiques et les auto-évaluent. Dans
un autre registre, des travaux tels que l’étude PAAIR
[2] sur la prescription des antibiotiques ont souligné
l’intérêt d’aiguiser le regard du praticien sur ses pratiques et ses valeurs propres. Enfin, il faut souligner les
démarches d’évaluation des compétences et des besoins initiées par l’Unaformec (bilan professionnel personnalisé) ou par MG Form (bilan de compétences défini comme une auto-évaluation accompagnée). Si le
burn out est aussi et peut-être avant tout un problème
collectif, la façon dont chaque praticien aborde son
métier est évidemment déterminante non seulement
sur le type de situations professionnelles à laquelle il
est confronté mais aussi sur sa capacité à les assumer.
1. On peut citer par exemple les séminaires du Groupe REPÈRES
Reconnaître et optimiser nos façons d’être médecins, ou les premières journées nationales de médecine générale organisées en 2002
par la Revue du Praticien sur le thème Je soigne comme je suis...
474 MÉDECINE décembre 2007
Contraintes internes :
comment se positionne
le médecin par rapport
à son métier ?
Les orientations de carrière
Le rapport de Truchot [3] utilise les 4 orientations
suivantes que Cherniss définissait en 1980 chez
les professionnels de l’aide à partir de l’équilibre
vie professionnelle/vie privée d’une part, intérêts
personnels/intérêts des autres d’autre part :
– activiste : critique d’une profession qu’il espère
transformer ;
– arriviste (carriériste) : recherche le prestige, la sécurité financière, la reconnaissance sociale ;
– artisan : valorise l’activité professionnelle et le développement de ses compétences ;
– égoïste : s’efforce de satisfaire sa vie personnelle
hors travail.
Dans son travail, Truchot a montré que :
– Les artisans sont un groupe protégé du burn out
(épuisement émotionnel : 22,45 %).
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VIE PROFESSIONNELLE
Échanges entre professionnels
La théorie dite « de l'équité »
– Les activistes ont un burn out faible avec un accomplissement personnel élevé (épuisement émotionnel : 23,2 %).
– Les carriéristes sont les plus stressés (épuisement émotionnel : 26,3 %).
– Les égoïstes sont les moins accomplis : fort épuisement
émotionnel (25,71 %), dépersonnalisation élevée, faible accomplissement personnel...
Truchot constate aussi une évolution intéressante du pourcentage de médecins répondant aux différentes catégories
entre le moment où ils ont débuté et plusieurs années après.
Arrivistes et artisans sont en nombre stable (respectivement
8 et 42,6 % en début de carrière, 8,25 et 43 % au moment
de l’enquête), tandis que le nombre des activistes diminue
d’autant qu’augmente celui des égoïstes (respectivement
39,9 % et 9,5 % en début de carrière, 13,75 % et 35 % au
moment de l’enquête), traduisant chez eux un repli sur la
sphère privée.
On peut compléter l’analyse en observant l’orientation actuelle des médecins les plus jeunes. Ils ne sont pas aussi
majoritairement « artisans » et « activistes », mais dans une
orientation « égoïste » pour 43,6 % d’entre eux.
En d’autres termes, il semble que nous assistions à un
double mouvement identitaire. D’une part, sur l’ensemble
de la profession, les médecins montrent un désengagement, passant d’une orientation tournée vers le social et
le plaisir à exercer son activité à un repli sur la sphère privée. Mais d’autre part, il semble que si pour les « anciens » le désengagement est progressif, il est beaucoup
plus immédiat pour les plus jeunes, plus tôt dans l’exercice professionnel. Bien entendu, ces résultats devraient
être comparés à ceux d’autres professions et complétés
auprès d’étudiants en médecine. Nous ne savons pas dans
quelle mesure ils sont spécifiques aux médecins ou représentatifs d’un mouvement plus large qui traverse notre
société. Sans doute le repli sur soi est-il le lot des cultures
individualistes.
Néanmoins, ce repli pose sans doute une véritable question
pour une profession qui traditionnellement est tournée vers
autrui. Il n’est pas certain que l’orientation « égoïste »
convienne à l’exercice de la médecine, en tout cas tel qu’on
l’entend « classiquement ». Ces données, sans doute corrélatives d’une véritable crise de l’exercice de la médecine,
renvoient indiscutablement à une question fondamentale :
quel type de médecin, quel type de médecine pour quel type
de relation médecin/patient ?
Selon cette théorie utilisée en Bourgogne [4], les individus
cherchent à maintenir un équilibre entre d’une part leurs investissements et leurs bénéfices et d’autre part les investissements et bénéfices de leur interlocuteur, autrement dits
leurs « coûts ». Tout ce qu’on retire en positif de la relation
peut être considéré comme un gain : le salaire, le plaisir, la
reconnaissance, le bien être, l’expérience acquise. Inversement, l’énergie et le temps dépensé, la fatigue, représentent
une dépense. Dans cet échange, il n’est bien sûr pas nécessaire que les gains et coûts de chaque partenaire soient de
même nature. Selon l’étude, seuls 17,3 % des médecins ont
le sentiment d’entretenir une relation équitable avec leurs
patients et 55,3 % se définissent comme sous-bénéficiaires
tandis que 27,4 % se sentent sur-bénéficiaires.
Lorsque les médecins se sentent sous-bénéficiaires, leur
score d’épuisement est significativement plus élevé que
lorsqu’ils se sentent en situation d’équité.
Deux autres typologies
complètent cette approche
Dans son remarquable travail sur l’erreur médicale, Pierre
Klotz [5] définit une typologie fondée notamment sur les degrés :
– d’ajustement du médecin aux attentes et parfois aux exigences des patients et aux siens ;
– d’ajustement aux capacités qu’il s’attribue ;
– d’esprit critique envers les enseignements reçus et de la
littérature médicale ;
– de prise en compte plus ou moins prioritaire des intérêts,
légitimes ou non, des patients, par rapport à ceux de la collectivité et aux siens propres.
Dans le cadre de l’AAPML, nous utilisons une grille de caractérisation des niveaux logiques concernés dans l’activité
du médecin [6] : ceux du soignant (soins et contexte), du
professionnel (travail et l’entreprise) et de la personne (individu et entourage).
Contraintes externes :
un (beau) métier stressant
La pratique de soin est marquée d’humanité. Elle a ses richesses et ses difficultés. Exercer l’un des plus beaux et
vieux métiers du monde relève souvent d’un parcours semé
d’embûches.
Le stress perçu par les médecins
Présentée pour la première fois au congrès de recherche de
Biarritz en 2000, la thèse de Vidal-Gleizes-Razavet [7] s’intéressait à la vie professionnelle du médecin dans sa réalité
quotidienne et ses difficultés du point de vue du médecin
lui-même. Deux régions ont été étudiées, l’une urbaine (Paris), l’autre mixte (la Haute-Garonne). Sur les 932 questionnaires envoyés, 595 médecins ont répondu soit un taux de
réponse de 62,8 %.
MÉDECINE décembre 2007 475
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VIE PROFESSIONNELLE
Échanges entre professionnels
Outre les caractéristiques des médecins, elle a répertorié :
– les sources de stress à partir de 30 situations professionnelles potentiellement stressantes construites d’après une revue
de littérature. Une échelle de réponse en 5 points a été utilisée
(aucune réaction de stress ressentie, réaction peu importante,
importante, très importante, sans objet). Ces situations ont
été regroupées en 6 champs : administratif, reconnaissance
sociale, temps professionnel, interface vie privée/vie professionnelle, entourage/société et pratique médicale ;
– le niveau de stress (échelle de Consoli et auto-évaluation
globale) ;
– la satisfaction professionnelle globale pondérée (de jamais
à très souvent) explorant le contentement, la frustration, le
sentiment d’utilité, l’épuisement et le désir de changer de
profession ;
– les moyens de lutte contre le stress : moyens personnels,
recours à l’auto médication, besoin d’une consultation spécialisée.
L’interface vie professionnelle et vie privée est l’élément fortement explicatif du stress perçu, suivi de la demande de
l’entourage des patients et des contraintes administratives.
La frustration et l’épuisement semblent expliquer le stress
perçu, le contentement global étant protecteur. Les situations les plus fréquemment déclarées comme étant génératrices de stress sont les contraintes financières, le poids administratif, l’interruption de la consultation par le téléphone,
l’intrusion voire l’envahissement de la vie privée par le travail
et le sentiment de ne plus gérer personnellement l’exercice
médical (RMO, objectifs de santé publique...). Les items faisant partie des aspects sociaux de la pratique et de la reconnaissance sociale ne sont pas jugés très stressants. Dans la
pratique clinique, les deux éléments mis en avant sont l’implication dans la souffrance des patients et la prise en charge
de la fin de vie.
Le travail de Levasseur en 2003 [8] auprès de 1 316 médecins bretons (généralistes et spécialistes), montre les facteurs de stress suivants :
– la surcharge de travail ;
– les contraintes liées à l’administratif, aux gardes pour
1 médecin sur 2, aux exigences des patients et à la durée
de travail journalier pour 4 médecins sur 10 : 55 % ont l’impression de trop travailler, 80 % estiment que leur temps
personnel n’est pas satisfaisant et 71 % ont la même opinion
sur le temps qu’ils peuvent consacrer à leur famille ;
– le conflit entre carrière et vie personnelle : les médecins
de l’enquête estimaient avoir eu une préparation professionnelle inadéquate (49 % des répondants et 60 % des généralistes) et se déclaraient déçus par rapport à leurs attentes
(24 % des répondants) ;
– l’insatisfaction par rapport à la profession (6,1 % seulement
des généralistes ont le sentiment d’être efficaces, 16 % des
anesthésistes et 9,6 % de l’ensemble des spécialistes) : 30 %
changeraient de profession s’ils en avaient la possibilité, 83 %
pensent qu’ils sont exposés à des risques particuliers ;
– le risque médico-légal avancé par 1/3 des répondants.
Une insécurité menaçante
Le nombre croissant d’incivilités, voire d’agressions, contre
les médecins des services d’urgence ou de cabinets libéraux
476 MÉDECINE décembre 2007
a conduit l’Ordre des Médecins à mettre sur pied en 2002 un
observatoire des agressions dont sont victimes les médecins.
Un numéro de téléphone dédié a été mis en place par l’Ordre
des médecins de Paris 2. Ainsi, en 2006, ont été recensés sur
tout le territoire, 518 incidents [9] impliquant 312 généralistes
et 202 spécialistes, pour 56 % dans le cabinet du praticien :
agression physique (14 %), agressions verbales (39 %), vol
ou tentative de vol (29 %), vandalisme (10 %). Les causes
rapportées par les agressés sont le temps d’attente « excessif » (12 %), le refus de prescription (5 %), le reproche relatif
à un traitement (5 %), une décision médicale contestée (4 %),
l’état mental du patient (3 %). Même si le taux d’insécurité
semble en légère diminution puisqu’il est passé de 0,32 % en
2003 à 0,25 % en 2006 sur une population de 190 000 médecins en activité, ces chiffres restent particulièrement élevés.
Un travail intense soumis
à des contraintes multiples
Outre la gestion d’une micro-entreprise libérale, au métabolisme particulièrement actif, le médecin est confronté à toutes sortes de contraintes médicales, déontologiques, administratives, juridiques, économiques, etc. Ces considérations
sont d’autant plus prégnantes qu’elles sont, en cette période
de remises en cause, très évolutives et sans cesse changeantes : informatique, formation, évaluation, conventions,
prévention, etc. Ces différents registres ne sont certes pas
superposables mais toujours présents.
Pour un médecin en difficulté, il n’est pas facile aujourd’hui
de trouver un remplaçant ; et même en cas de remplacement, les conséquences financières d’un arrêt de travail restent énormes notamment si l’on rappelle que les indemnités
journalières ne sont servies au médecin qu’à partir du 91e jour
d’arrêt de travail.
Bien loin des « 35 heures », les médecins français travaillent
en moyenne 57,5 heures par semaine. À cela, il faut ajouter
les gardes qui allongent le temps de travail et la fatigue des
soignants puisqu’elles ne sont pas toujours suivies du fameux « repos de sécurité ». Elles confrontent également le
médecin à des situations par définition non programmées,
et parfois délicates, augmentant d’autant son stress. Il faut
aussi ajouter un rythme de travail soutenu marqué de nombreuses interruptions et de la nécessité de gérer à la fois un
flux continu et tendu et des situations plus difficiles,
complexes ou urgentes.
Ce métabolisme sans concession est d’autant plus difficile à
assumer qu’il associe plusieurs registres : la maladie, le vécu
du patient et de son entourage, la gestion de la relation. À cela
il faut ajouter la gestion par le médecin de toutes sortes de
problèmes éthiques ou hors champ médical (rapport au travail,
vie affective, etc.) sans compter les aspects administratif et
sociaux. Et ces derniers concernent tout autant le patient (formulaires et discussions en tous genres) que le médecin luimême qui doit payer ses charges, remplir ses déclarations, etc.
2. Appeler le 01 53 73 92 02 en cas de « danger ou menace imminente ».
40 médecins français ont été tués durant leur travail en 20 ans, il y a eu 1 000
agressions pour 2 000 généralistes de Seine-Saint-Denis en 10 ans ; au Havre,
une femme médecin a été violée par un patient ; à Passy (2005), plusieurs
médecins ont subi des tentatives de racket. D’autres affaires tout aussi sordides ont également été rapportées récemment...
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VIE PROFESSIONNELLE
Échanges entre professionnels
Médecin : une « espèce en voie
de disparition » ?
Des publications anglaises ont rapporté une majoration de
50 % de l’incidence du suicide chez les femmes médecins
par rapport à l’ensemble de la population britannique. Des
données américaines ont montré une majoration de 100 %
de l’incidence de la dépression chez les médecins par rapport
à la population moyenne. Qu’en est-il en France ? Ayant
constaté une incidence anormalement haute des suicides
dans les causes de décès des médecins vauclusiens en activité, Yves Léopold [10] a interrogé le Conseil national de
l’Ordre des médecins, puis les Conseils départementaux,
pour évaluer l’incidence du suicide dans les décès des médecins de moins de 65 ans 3. Les données retenues pour leur
fiabilité statistique portent sur les suicides de médecins actifs dans une population totale de 42 137 médecins répartis
sur 26 départements : il y a eu 492 décès dont 69 suicides
(incidence du suicide : 14 %). Ce taux était de 50 % chez les
médecins du Vaucluse : 11 suicides sur 22 décès de
3. La limite de la méthode apparaît immédiatement : n’apparaissent ainsi que
les causes des décès connus des membres des Conseils interrogés. Les plus
grands départements ont fourni moins de renseignements exploitables que
les départements ruraux...
médecins actifs de moins de 65 ans sur une période de 5
ans, au point que le Conseil de l’Ordre de ce département a
dû mettre en place une cellule d’intervention spécifique.
Cette cellule intervient préventivement dès l’émergence de
deux des marqueurs suivants : problèmes financiers (retards
de paiement de la CARMF ou de la cotisation ordinale), divorce, alcoolisme, problèmes ordinaux ou judiciaires, maladie
mentale, handicap physique.
Ce taux est à comparer avec celui de la population générale
en 1999 : dans la population d’âge comparable (de 35 à
65 ans), il y a eu 93 346 décès, dont 5 208 suicides, soit une
incidence de 5,6 %. Bien sûr la comparaison souffre du fait
qu’une partie de cette population n’est pas active, contrairement à la cohorte médicale.
Le taux de suicide est par ailleurs plus élevé chez les médecins que dans d’autres groupes professionnels à statut
équivalent. À cause de cette situation, Yves Léopold a qualifié les médecins d’« espèce en voie de disparition »...
Nous verrons dans l’article suivant les conséquences que
cela entraîne autant pour les médecins que pour leurs patients.
L’auteur est médecin généraliste, maître de conférence de médecine générale à l’Université Paris 7, coordonnateur de l’association
d’aide professionnelle aux médecins libéraux (AAPML).
Conflits d’intérêts financiers à propos de cet article : néant.
Pour tous renseignements complémentaires, s’adresser à :
egalam@hotmail.com
Références :
1. Galam E. L’outil médecin fonctionnement et spécificités. Rev Prescrire 2004;24(246):73-4.
2. Attali C, Amade-Escot C, Ghadi V, Cohen JM, Pouchain D. Prescription Ambulatoire des Antibiotiques dans les Infections Respiratoires. Sur http://www.urml-idf.org/urml/paairrf.pdf
3. Truchot D. Le burnout des médecins libéraux de Champagne-Ardennes. Rapport de recherche pour l’URML Champagne-Ardenne; 2002. Sur http://www.espace-urml.org/upload/
urml/42/upload/travaux/Burn_out_URMLCA_2003%20.pdf
4. Truchot D. Enquête Bulletin Ressources No 1. URML Bourgogne, Janvier 2002.
5. Klotz P. L’erreur médicale. Paris; Maloine: 1996.
6. Galam E. L’épuisement professionnel des médecins libéraux franciliens : témoignages, analyses et perpectives. Commission Prévention et santé publique. URML Île-de-France, Juin
2007.
7. Vidal-Gleizes-Razavet. Évaluation du stress chez le médecin généraliste et recherche de ses causes en Haute Garonne et à Paris. Thèse de médecine. Toulouse 2001. No 1065.
8. Levasseur G. Les médecins bretons et leur santé. URML Bretagne, juillet 2003.
9. Rapport au Conseil National Ordre des Médecins. Sur : http://www.conseil-national.medecin.fr/?url=colloque/article.php&id=10
10. Léopold Y. Les chiffres du suicide chez les médecins. Rapport au Conseil National Ordre des Médecins. Octobre 2003.
MÉDECINE décembre 2007 477
Après les deux précédents articles 1 montrant combien le burn out des médecins traduit
une pathologie de la relation d'aide et une remise en question de l'identité professionnelle même du médecin, ce troisième volet en montre les conséquences pour les médecins comme pour leurs patients.
Burn out des médecins
libéraux
Éric Galam
Université Paris 7
Association d’Aide
Professionnelle aux
Médecins Libéraux
(AAPML)
egalam@hotmail.com
3e partie : des conséquences pour le
médecin, mais aussi pour ses patients
Sur la qualité des soins
Un médecin réticent ou souffrant ne peut être un bon
soignant. Dans l’étude de Bourgogne [1], 33 % des
médecins interrogés reconnaissaient avoir tendance à
ne plus voir leurs patients comme des personnes (dépersonnalisation). Les médecins déprimés étaient
souvent réticents à l’idée de consulter et reconnaissaient être directement influencés dans leurs décisions. Dans une enquête similaire en Champagne-Ardenne [2], 44,5 % des médecins avaient même « des
attitudes très négatives avec leurs patients ». Enfin,
les arrêts de travail répétés des médecins souffrants
cumulés avec l’insuffisance du nombre de médecins
libéraux entraînent souvent, pour leurs confrères de
proximité continuant à travailler, un risque important
de burn out pour eux-mêmes, ces médecins voyant
leur charge de travail augmenter considérablement de
par la récupération de la clientèle de leur confrère souffrant. Ainsi, la qualité des soins qu’ils doivent apporter
aux patients ne peut que se dégrader également. Il a
été montré que le stress pouvait entraîner une baisse
de la qualité des soins (50 %), des manifestations d’irritabilité (40 %), des erreurs n’occasionnant pas la
mort (7 %) ou l’occasionnant (2 %), ainsi que des examens et traitements inappropriés, des abus sexuels
et des comportements pathologiques [3].
1. Médecine, novembre et décembre 2007.
Mots clés :
démographie
médicale, exercice
professionnel,
qualité des soins
Les conséquences du burn out sont nombreuses tant
au niveau individuel (état dysphorique, troubles somatiques atypiques, troubles du sommeil, asthénie, addiction, divorce, suicide...) qu’inter-individuel (irritabilité, distanciation interpersonnelle, prise en charge
défectueuse des patients, conflits...) et collectif (absentéisme élevé, inefficacité, appréhension devant les
responsabilités...) [4]. Le stress chronique est responsable de dépression chez 27 % des généralistes français en 1994, 29 % des généralistes canadiens [3].
Comment dans ces conditions attendre des médecins
qu’ils se mobilisent pour maîtriser les dépenses de
santé ou mettre en œuvre les référentiels de bonne
pratique alors que l’accentuation de la pression administrative aggrave d’autant le sentiment d’insécurité
et d’injustice et par là même, le burn out ?
Outre ce retentissement sur la qualité des soins et la
sérénité du médecin, l’existence d’un fort taux d’épuisement professionnel a des conséquences financières : les journées indemnisées par la CARMF, qui
concernent les arrêts de plus de trois mois, ont fait un
bond de 12 % en 2001 et de 6,5 % en 2002, au total
1 435 médecins libéraux en 2002 soit 30 % de plus
que 3 ans auparavant. En 2002, environ 700 médecins
libéraux âgés de 53,4 ans en moyenne ont reçu une
pension d’invalidité permanente (+ 5 % par rapport à
l’année précédente), souffrant principalement de maladies psychiatriques (40 %), de problèmes cardiovasculaires (17 %), de pathologies neurologiques (11 %),
de traumatismes (8 %) et de cancers (8 %). L’incapacité temporaire et l’invalidité frappent plus durement
les libéraux pour qui, à l’isolement psychologique,
s’associent les difficultés financières, la perte
DOI : 10.1684/med.2008.0228
Conséquences directes
VIE PROFESSIONNELLE
Échanges entre professionnels
MÉDECINE janvier 2008 43
VIE PROFESSIONNELLE
Échanges entre professionnels
soudaine de revenus s’accommodant mal avec les charges
fixes [5].
Sur la démographie médicale
Plus du tiers des généralistes en situation de burn out élevé
souhaitaient arrêter d’exercer dans une étude en Poitou-Charentes [6]. Les relations avec les patients, les comportements
de ceux-ci, les risques, l’organisation de la pratique, les
conflits professionnels étaient autant de facteurs qui augmentaient le désir de reconversion, chez les femmes plus
que les hommes (50 % versus 34,10 %), mais les autres caractéristiques personnelles et professionnelles ne sont pas
significativement différentes d’un groupe à l’autre. Une variable modératrice par rapport au burn out a pu être isolée :
le support social que constitue l’aide confraternelle. Au total,
4,22 % des médecins souhaitaient changer de métier dans
l’année, 32,53 % sans fixer de date. L’organisation du travail
était la raison la plus évoquée par ceux qui souhaitent changer (85,8 %), puis le revenu (67,5 %), mais pas la charge de
travail objective (nombre de demi-journées ou d’heures travaillées par semaine, nombre d’actes par jour et par an, nombre de gardes par mois). Ce qui influençait l’envie de changer
de profession était la charge de travail perçue, les différents
stresseurs qualitatifs. Les chiffres étaient plus élevés encore
dans une enquête en Île-de-France où 51 % des généralistes
exprimaient leur volonté de quitter le métier s’ils en avaient
eu la possibilité [7].
Les conséquences démographiques de cette situation ne
sont pas étonnantes. Une enquête du conseil national de
l’Ordre [8] montrait que 62 % seulement des médecins inscrits au tableau de l’Ordre en tant que généralistes exercent
cette discipline à plein-temps. Il existe en France de véritables « déserts médicaux » avec des conditions d’exercice
particulièrement difficiles pour les médecins qui acceptent
d’y exercer. On imagine les conséquences dramatiques de
maladie ou de départ de l’un des médecins dans une région
où les médecins sont déjà peu nombreux et en surchauffe.
Les perspectives ne sont malheureusement pas plus réjouissantes. Près de 2 000 postes de médecine générale n’ont
pas été pourvus à l’issue de l’examen national classant des
3 dernières années. Dans une enquête faite en 2005 chez
les internes de médecine générale lors du choix des stages
d’Île-de-France [9], 692 questionnaires exploitables montraient un taux élevé d’épuisement émotionnel chez 24,1 %
des internes, une dépersonnalisation élevée chez 42 % et
un accomplissement personnel bas chez 48,6 % d’entre eux.
Selon une enquête du CREDES [10], les médecins hommes
s’installent de plus en plus tard : à 31 ans dans les années
1980, 34 ans dans les années 1990, 35 ans en 2001. Une
enquête menée par l’URCAM-Île-de-France en 2002 [11] a
montré que l’âge moyen d’installation des médecins en Îlede-France est de 40,5 ans. Selon l’enquête CREDES, si l’on
considère l’ensemble des omnipraticiens ayant cessé leur
activité libérale entre 1979 et 2001, la durée moyenne d’exercice est de 22 ans. Pour la cohorte des médecins installés
entre 1980 et 1984, 20 % ont cessé leur activité libérale en
tant que généraliste après 18 années d’exercice. Pour ces
médecins une cessation sur 10 a eu lieu au bout de 8 ans de
carrière. Une thèse de médecine présentée à Reims en 2003
44 MÉDECINE janvier 2008
[12] soulignait le mal-être chez la moitié des étudiants en fin
de cursus, qui se traduisait par une évolution de leurs motivations initiales et une remise en cause de leur choix de carrière. La cause principale de ces problèmes était liée à la
relation avec le malade et la maladie. Chez les étudiants,
c’était à l’occasion du premier contact avec le patient en
DCEM 2, puis lors de l’implication plus forte dans la prise en
charge des réalités en TCEM 1. Chez les généralistes, l’évolution de la pratique avec ses conditions d’exercice intervenait en partie, surtout en raison de la plus grande information
du patient, aboutissant à de nouvelles exigences.
Évolution à court terme
Entre 2001 et 2004, le burn out des médecins généralistes
de Poitou-Charentes est resté élevé, quel que soit le critère
de comparaison considéré : échantillons normatifs de référence, comparaisons avec d’autres groupes professionnels
[7]. Toutefois, par comparaison avec les deux précédentes
enquêtes, l’auteur constate une modification dans la structure de ce syndrome psychologique. L’épuisement émotionnel, la dimension liée au stress et à la dépression, tendent à
diminuer significativement, même si les scores demeurent
élevés, semblant évoluer vers le ressenti d’une moindre tension. Paradoxalement, il semble y avoir augmentation de la
dépersonnalisation, sans doute résultat de facteurs multiples. Le changement des attitudes des patients est perçu de
plus en plus négativement par les médecins, qui leur reprochent en particulier de devenir des « consommateurs de médecine ». Parallèlement, on observe une moindre motivation
à s’engager socialement, et un désir de se replier sur la
sphère privée. Ces tendances se dessinent sur un fond de
changements sociaux majeurs : altération de l’image et de
l’autorité des professions médicales, individualisme grandissant, etc., qui peuvent annoncer de nouvelles modalités relationnelles entre les médecins et leurs patients.
Prise en charge
En France
« Les médecins libéraux, du fait de leur côté indépendant,
ont tendance à rester tout seuls dans leur coin : ils savent
mais n’osent pas se faire soigner » fait remarquer Gérard
Grillet, trésorier de la CARMF et responsable du contrôle des
dossiers avant indemnisation [5]. Il l’explique par la peur du
qu’en dira-t-on, surtout en province, où tout se sait très vite
malgré le secret médical, regrettant l’impossibilité de consulter anonymement comme les confrères espagnols de Catalogne. Toutes disciplines confondues, certains médecins
continuent de travailler malgré un état dépressif, et des demandes d’aide financière parviennent à la Commission d’entraide de l’Ordre National des Médecins de la part de médecins en perte de clientèle : « des praticiens libéraux dont la
profession est dévalorisée, qui sont déprimés, mais qui
n’osent consulter personne, car ce sont des confrères » [13].
VIE PROFESSIONNELLE
Échanges entre professionnels
Contrairement à l’entreprise où se développent des dispositifs d’écoute pour cadres stressés, voire des consultations
spécialisées, la profession médicale commence seulement
à prendre conscience de la situation et à envisager des mesures pour en limiter les conséquences.
« La profession médicale présente des risques particuliers,
notamment psychologiques : la spécificité de la relation
d’aide... entraîne un stress contre lequel une réaction de défense commune semble être un accroissement de la charge
de travail, qui par elle-même est un facteur de stress. Ce
stress influe négativement sur la qualité du travail des médecins. Cette altération de la pratique est en lui-même un
stresseur. De plus, une moindre efficacité au travail en augmente la charge. Ce cercle vicieux ne peut être brisé que par
une information des praticiens, mais aussi par un véritable
système d’aide aux médecins, la meilleure aide étant une
entraide... Nous avons besoin de quitter une culture qui encourage les médecins à cacher leur détresse et leurs difficultés pour une culture où nous apprenons à les partager et
à demander de l’aide » [3].
La réflexion anonyme de ce généraliste interrogé par l’URML
Champagne-Ardenne pour son étude sur le burn out résume
bien la situation [2] : « Je n’ai jamais pu consulter de confrère
parce que je les connais tous trop bien et que je ne tiens pas
à voir mon nom circuler dans la CPAM de mon département. » Le Dr Nathalie Prieto, psychiatre et spécialiste de
victimologie, va même plus loin : « S’il existait une structure,
les médecins n’iraient pas », bien que ce psychiatre ait rencontré plusieurs médecins dans cette situation : « Ils consultent souvent à la suite d’une agression. Et là, toutes les conditions de travail ressurgissent. Mais après, ils ne reviennent
plus. »
Lorsque des structures sont mises en place en France, elles
ne sont absolument pas adaptées aux médecins. Ainsi, le
service Croix Rouge Écoute, service d’aide et de soutien psychologique par téléphone créé en 1988, n’est pas adapté spécifiquement à cette problématique. L’une des rares structures susceptible de soutenir les médecins en difficulté, la
Commission d’entraide du Conseil National de l’Ordre des
Médecins, n’apporte pas d’aide psychologique, contrairement à ce qui existe déjà à l’étranger.
Il faut d’ailleurs souligner que soigner un confrère n’est pas
une mince affaire et suscite peu de motivation. Relevant de
registres bien sûr différents, le soin d’un médecin à un
confrère malade, le met dans une difficulté du même ordre
que celle du soin à ses proches. Cette dernière situation
trouve plus facilement solution puisqu’il existe toujours un
médecin sans lien affectif pour soigner un proche de médecin, même s’il en résulte pour le soignant un abord spécifique : comment se positionner vis-à-vis du confrère ? Le soin
d’un médecin à un confrère est certes en principe moins
impliquant mais reste délicat.
Et ailleurs...
En Espagne, l’Ordre des Médecins de Barcelone a, en 2001,
posé les bases d’un « programme d’attention aux professionnels de santé avec des problèmes mentaux et des conduites
addictives » [14]. L’institution ordinale recommande une facilité d’accès aux soins pour les médecins, le droit à la confidentialité et le développement de la recherche en matière
de santé mentale en relation avec les conditions de travail
du corps médical. En Catalogne, 10 % des médecins connaissent au cours de leur vie professionnelle, un ou plusieurs
MÉDECINE janvier 2008 45
VIE PROFESSIONNELLE
Échanges entre professionnels
épisodes de troubles psychiatriques et/ou de dépendances
(alcool, drogue, médicament). Le médecin malade n’est pas
un malade comme les autres. Le collège de l’Ordre des médecins de Barcelone a donc mis au point un Programme d’Attention Intégrale pour le Médecin Malade (PAIMM) qui s’appuie notamment sur une unité clinique de 133 chambres
individuelles, encadrée par une équipe médicale comportant
un psychiatre, un alcoologue, 5 spécialistes, 2 consultants,
3 médecins prenant des tours de garde, 3 psychologues,
4 infirmières et 3 aides soignantes.
En Grande-Bretagne, une enquête de 1999 [15] montrait
qu’un grand nombre de praticiens ont pris l’habitude de soigner eux-mêmes (70 % des 1 150 généralistes et consultants des centres de santé du Sud-Ouest de l’Angleterre pratiquaient l’automédication), d’où l’idée de créer des cabinets
de consultation réservés aux médecins, ainsi qu’un « National Counseling Service for Sick Doctors ».
Au Canada, l’Association des Psychiatres du Canada (APC) a
émis dès 1997 une série de recommandations devant régir la
prise en charge des médecins atteints de maladie mentale
[16]. Elles postulent que tout praticien présentant des symptômes d’affection psychiatrique devrait être évalué sans tarder de préférence par un psychiatre qui n’est ni un ami, ni un
collègue. Le psychiatre doit être aussi conscient « qu’un médecin atteint de maladie mentale a tendance à nier, à minimiser, à rationaliser ses symptômes et ses agissements ». Enfin, il faut exhorter le médecin patient à se trouver un médecin
de famille le plus vite possible. L’APC insiste sur l’importance
que revêt le respect du secret professionnel dans le
traitement d’un médecin. Elle préconise que « dans toutes les
provinces, des psychiatres siègent aux comités voués au bien
être des membres du corps médical » et prône l’organisation,
à l’échelle provinciale, de « groupes de soutien » pour les
psychiatres qui traitent des professionnels de santé. En 2000,
l’APC a réclamé un « réseau national de psychiatrie pour aider
les médecins atteints d’épuisement professionnel ».
La France est donc à ce jour considérablement en retard sur
le traitement du burn out des médecins libéraux par l’absence de mise en œuvre d’un dispositif concret d’accompagnement et de soutien des médecins libéraux en difficulté.
Ce retard est aujourd’hui dénoncé par le Comité permanent
des médecins européens (CPME), association internationale
basée à Bruxelles (Belgique) et principal organe de réflexion,
de concertation et de négociation de la profession médicale
européenne, représentant plus d’un million de médecins,
dont les recommandations préconisent en effet de « veiller
aux professionnels de santé [...] au moyen de services spécifiques » [16]. Nous reviendrons dans la dernière partie de
cet article sur l’initiative de l’Association d’Aide Professionnelle aux Médecins Libéraux (AAPML) créée en 2004.
L’auteur est médecin généraliste, Maître de conférences de médecine générale à l’université Paris 7, coordonnateur de l’Association
d’aide professionnelle aux médecins libéraux (AAPML).
Conflits d’intérêts financiers à propos de cet article : néant.
Pour tous renseignements complémentaires, s’adresser à :
egalam@hotmail.com
Références :
1. Truchot D. Enquête Bulletin Ressources No 1. URML Bourgogne Janvier 2002.
2. Truchot D. Le burn out des médecins libéraux de Champagne-Ardenne. Rapport de recherche pour l’URML Champagne-Ardenne ; 2002. Sur http://www.urml-ca.org/rapport_burn_
t_medecin_ca.pdf
3. Combot A. Conséquences du stress chronique chez les médecins généralistes. Communication au Colloque de Brest d’Avril 2004, à partir de différents travaux (Caplan, Thomassen,
Firth-Cozenz, Shapiro). Disponible chez l’auteur.
4. Desgranges JP. Évolutions prévisibles pour la médecine générale. Communication au Colloque de Brest d’Avril 2004, à partir de la thèse d’E. Robert sur le burn out dans l’arrondissement de Dinan en 2001 (disponible chez l’auteur).
5. CARMF. Nature des affections des bénéficiaires de l’indemnité journalière et de la pension d’invalidité. Informations CARMF No 49 novembre 2002. Sur http://www.carmf.fr/
Publications/infocarmf/49-2002/infocarmf49.htm
6. Zeter C. Burnout, conditions de travail et reconversion professionnelle chez les généralistes de la région Poitou-Charentes [Thèse Méd]. Poitiers: Poitiers Univ; 2004.
7. Galam E. Enquête sur l’épuisement professionnel des médecins libéraux. URML, Île-de-France, juin 2007. Disponible sur : www.urml-idf.org/Public/
8. Kahn-Bensaude I. Démographie médicale Les spécialités en crise. Rapport de l’Ordre des médecins. Étude No 38-2. Décembre 2005.
9. Guinaud M. Évaluation du burn out chez les internes en médecine générale et étude des facteurs associés [Thèse]. Créteil: UFR Médecine; 2006.
10. Lucas-Gabrielli V, Sourty Le Guellec MJ. Évolution de la carrière libérale des médecins généralistes selon leur date d’installation (1979-2001). Questions d’économie de la santé
IRDES. 2004: 81.
11. URCAM Île-de-France. Enquête sur les motifs d’installation des médecins libéraux. Mars 2002. Sur http://www.ile-de-france.assurance-maladie.fr/fileadmin/ILE-DE-FRANCE/gestionRisque/organisation_offre_soins/medecins_liberaux/medecins_liberaux.pdf
12. Leroy-Corbon J. Les études de médecine générale : du rêve a la réalité [Thèse]. Reims: UFR Médecine; 2003.
13. Léopold Y. Les chiffres du suicide chez les médecins. Rapport au Conseil National Ordre des Médecins. Octobre 2003.
14. Fundacio Galatea. PAIMM. Sur http://paimm.fgalatea.org/fra/filosofia.htm
15. Forsythe M, Calnan M, Wall B. Doctors as patients: postal survey examining consultants and general practitioners adherence to guidelines. BMJ 1999;319:605-8.
16. Sur http://www.psy-desir.com/textes/spip.php?article998&var_recherche=medecin%20maladie%20mentale
46 MÉDECINE janvier 2008
Échanges entre professionnels
Ce quatrième volet 1 propose, à partir de l'expérience réalisée en Ile-de-France depuis
2005, quelques éléments de réponse à ce difficile problème. Si la profession commence
timidement à s'en saisir, elle ne le fait qu'avec appréhension voire réticence. La tentation de minimalisation, voire d'occultation, est toujours présente. Cette attitude –
proche du déni – peut aussi s'exprimer par une « personnalisation » du problème qui
ne toucherait que des individus particuliers, ce qui est recevable mais n'épuise en
aucun cas la question d'une véritable « pathologie du système de soins ».
Burn out des médecins
libéraux
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4e partie : un problème individuel,
Mots clés : exercice
professionnel
professionnel et collectif
L’Association d’Aide Professionnelle aux Médecins Libéraux (AAPML), créée en 2004, a bénéficié d’un financement public 2 à hauteur de 273 000 e, qui lui a
permis de mettre en place, depuis le 1er juin 2005, ce
numéro de téléphone dédié, anonyme et gratuit, fonctionnant 24 heures par jour et 365 jours par an. Les
problématiques envisagées par l’association sont résumées dans la figure 1.
Le dispositif permet à tout médecin libéral d’entrer un
contact avec un psychologue clinicien de la société
Psya, spécialisée dans la prévention, la prise en charge
et la gestion des troubles psychologiques liés au travail. Le médecin appelant peut, s’il le désire, lever son
anonymat ou, tout en le maintenant, rappeler le service jusqu’à 5 fois de suite. C’est une structure de
premier recours qui peut s’accompagner d’orientations adaptées pour les cas graves ou trop complexes
ne pouvant être résolus par téléphone.
Une grille de recueil est systématiquement remplie
par les psychologues après chaque entretien. Elle
fournit des informations non seulement sur les appels
1. Voir les précédents numéros de Médecine : novembre et décembre 2007, janvier 2008.
2. Par le fonds d’assurance qualité des soins en ville (FAQSV) d’Ilede-France. Ce dispositif a reçu le soutien de l’URML Idf et bénéficie
de partenariats avec les réseaux VICTIMO (réseau de santé visant à
améliorer la prise en charge des patients ayant subi un traumatisme
psychique) et MORPHEE (réseau permettant une prise en charge optimale du patient porteur d’un trouble chronique du sommeil).
Le dispositif a été évalué par audit externe. Plus d’une
centaine de médecins ont eu recours à la plate-forme en
un an d’activité. Durant sa première année de fonctionnement, le taux de recours à la cellule d’écoute a atteint
0,72 %. Grâce à une communication plus régulière, plus
étendue et appuyée par les institutions représentatives
des différentes catégories professionnelles (conseil de
l’ordre, fédération, syndicats, URML...), chaque professionnel de santé libéral devrait avoir connaissance de
l’existence de ce service afin de permettre aux soignants
en difficultés, les plus isolés d’accéder à cette aide.
L’AAPML envisage d’étendre son dispositif à tout le territoire et aux autres professionnels de santé notamment
infirmières, dentistes, kinésithérapeutes, etc. Près de
290 000 professionnels de santé libéraux sont ainsi concernés, parmi lesquels 114 000 médecins libéraux. Pour un
effectif potentiel approximatif de 1,5 % de recours au dispositif, on peut estimer à 4 300 le nombre d’appels par an.
L’AAPML développe également d’autres actions de
formations, de communication ou d’échanges notamment à partir de son site internet (www.aapml.fr).
DOI : 10.1684/med.2008.0246
Un numéro d'appel : 0826
004 580
eux-mêmes (jours et heures, durée) mais aussi sur les
caractéristiques des appelants, leurs demandes et
donc l’épidémiologie des pathologies professionnelles
des médecins. De plus, l’accès à la pathologie des
médecins permettra un éclairage de leur fonctionnement « normal », la pathologie, sa description et son
traitement permettant aussi la compréhension de la
physiologie. On comprend que s’ouvre alors le large
champ de l’optimisation des pratiques médicales avec
un éclairage très fécond sur les meilleures façons de
mettre en œuvre les référentiels pour la pratique clinique, l’évaluation des pratiques professionnelles, la
formation médicale continue, la qualité des soins.
MÉDECINE février 2008 83
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VIE PROFESSIONNELLE
Échanges entre professionnels
Quelles sont les autres actions
nécessaires ?
Au niveau individuel
La réduction de charge de travail est-elle une stratégie défensive permettant de réduire le burn out ? Plusieurs auteurs
suggèrent qu’il est atténué non par une attitude distante, un
désengagement du travail, mais au contraire par un engagement effectif (voir les articles précédents dans Médecine) :
l’engagement social et professionnel élevé est associé significativement à un moindre burn out, au fait de ressentir davantage des sentiments d’équité et à une moindre envie de
quitter la profession [1]. Par exemple :
– Accorder une plus grande importance au fait de s’engager
« dans des actions contribuant à l’amélioration du système
de santé », ou « dans une relation qui apporte au patient des
informations, explications » (etc.) est associé statistiquement
à un faible burn out.
– La charge de travail objective (c’est-à-dire son amplitude
horaire) élevée est également associée à un moindre burn
out et à des relations avec les patients perçues comme plus
équitables.
– En revanche, le nombre d’actes réalisés contribue à accroître le burn out.
La prévention consiste d’abord à reconnaître les facteurs du
stress professionnel et les atténuer, puis agir sur la charge
Le soignant
et la nature du travail, la protection des médecins, et de les
inciter à développer leurs loisirs et préserver leur vie privée.
La formation permettrait d’aider les praticiens à assumer les
difficultés liées aux soins (annoncer une mauvaise nouvelle,
assumer une erreur, gérer des contraintes multiples...). Elle
devrait également les aider dans leur gestion administrative.
Elle gagnerait à se déployer dès le début et tout au long des
études médicales pour accompagner les futurs médecins et
les aider à se positionner dans leur vie professionnelle.
Au niveau de la profession
La prise en charge consiste à développer des structures
d’écoute, d’accompagnement, d’échanges entre pairs, ainsi
que des consultations spécifiques et adaptées. Elle implique
de former les médecins à soigner leurs confrères. Elle nécessite le développement de dispositifs d’aide juridique, de
protection et de répression face aux atteintes à la sérénité
professionnelle des médecins.
Au niveau de la collectivité
Même s’il peut exister des situations spécifiques, le burn out
est aussi une affaire collective. Cette crise a par ailleurs
donné lieu à un rapport publié dans la Revue Médicale de
l’Assurance Maladie [2], un autre dans le bulletin de l’Ordre
des médecins [3]. Cette situation relève donc bien d’une
prise en charge des sujets atteints mais aussi de dispositifs
de prévention et de mesures collectives visant à améliorer
les conditions d’exercice des médecins (figure 1). Lié au soin
Rapport aux soins
Rapport à la maladie : difficulté clinique
Rapport au malade : difficulté psychologique
ou relationnelle
Rapport au contexte
Problème juridique
Problème administratif : impôts, etc.
Sécurité sociale
Le professionnel
Rapport au travail :
Intensité : trop long, trop dense…
Nature : trop compliqué, trop imposé…
Ressenti : trop pénible…
Rapport à l’entreprise
Le patient ou son entourage :
agressions, irritations, contradictions…
Les confrères…
La gestion du cabinet : rentabilité
La personne
L’individu
satisfaction personnelle
Figure 1. Les 3 axes de réflexion et d’aide de l’AAPML.
84 MÉDECINE février 2008
L’entourage
équilibre avec la vie privée
110349 - Folio : p37
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VIE PROFESSIONNELLE
Échanges entre professionnels
l’URML Idf [5] avait pour objectif d’apprécier le ressenti et
les souhaits des médecins concernant le burn out, mais s’inscrivait aussi dans une démarche collective et culturelle visant
à le faire reconnaître comme une maladie professionnelle et
à en institutionnaliser la prise en charge.
Conclusion
et au contexte dans lequel il s’exerce, le burn out est indissociable de l’activité professionnelle des médecins et donc
de l’exercice de la médecine. En ce sens les médecins qui
en sont menacés ou atteints sont bel et bien « malades » de
la médecine et le burn out est une maladie professionnelle.
Des mesures telles que l’amélioration de la protection sociale
des médecins libéraux (indemnités journalières plus précoces en cas d’arrêt maladie, mesures de prévoyance, aides à
la reprise du travail permettant le temps partiel), la reconnaissance du syndrome d’épuisement professionnel comme maladie professionnelle, l’instauration d’une prise en charge médicale et psychologique dédiée aux professionnels de santé,
l’instauration d’une médecine du travail pour les médecins,
paraissent indispensables.
Il en est de même d’autres réponses, d’ordre culturel, visant
à mieux définir la nature et les limites de la responsabilité
médicale et à prendre en compte le médecin pour lui-même
(et pas uniquement pour le patient).
Ces actions relèvent donc d’une prise en charge certes individuelle mais aussi collective et institutionnelle, qu’il s’agisse
des Unions Régionales, de l’Ordre des Médecins, de la Sécurité Sociale ou des décideurs politiques. Cela ne se conçoit
évidemment pas sans un travail de fond auprès de la population et des médias [4]. Ainsi, l’enquête réalisée en 2006 par
Pathologie de la relation d’aide, le burn out est lié à un investissement excessif choisi ou subi. Il est caractérisé par le
souci de « prendre sur soi » pour assumer sa fonction et préserver l’apparence le plus longtemps possible notamment
par le recours à l’automédication ou aux addictions. Le médecin est formé à travailler beaucoup ce qui augmente d’autant ses capacités de résistance, à surmonter efforts et difficultés, à fois en tant que soignant et en tant que libéral.
Mais lorsqu’il dépasse ses possibilités d’adaptation, le burn
out altère la qualité des soins et s’accompagne d’un déni. Il
peut apparaître brutalement à la suite d’un événement parfois mineur, plongeant le médecin atteint dans une dépression grave. La collectivité comme les institutions médicales
participent de ce déni, qui ne veulent voir dans le médecin
que celui qui assure et à qui on peut demander encore et
encore. La prévalence élevée du burn out chez les médecins
libéraux traduit une tension importante du système de santé
qui nécessite une prise en charge collective adaptée, soutenue et urgente.
L’auteur est médecin généraliste, Maître de Conférence de
Médecine Générale à l’Université Paris 7, coordonnateur de
l’Association d’Aide Professionnelle aux Médecins Libéraux
(AAPML).
Conflits d’intérêts financiers à propos de cet article : néant.
Pour tous renseignements complémentaires, s’adresser à :
egalam@hotmail.com
Références :
1. Truchot B. Épuisement professionnel et burn out. Concepts, modèles, interventions. Paris; Dunod: 2004.
2. Soulier E, Grenier C, Lewkowicz M. La crise du médecin généraliste : une approche cognitive de la profession. Rev Méd Ass Mal. 2006;37:99-107.
3. Gautier I. Burn Out des médecins. Bull Ordre Méd. 2003;86.
4. Canoui P, Mauranges A. Le syndrome d’épuisement professionnel des soignants : de l’analyse du burn out aux réponses. Paris: Masson; 1998.
5. Galam E. L’épuisement professionnel des médecins libéraux franciliens : témoignages, analyses et perspectives. Commission Prévention et santé publique. URML Île-de-France Juin
2007. Sur http://www.urml-idf.org/public
Burn out du médecin : concrètement, que faire ?
À défaut de réponses « définitives » à cette situation complexe dont nous commençons seulement à prendre conscience, voici
quelques grandes lignes de « bonne conduite clinique » :
h Pour chacun d’entre nous : comment éviter d’en arriver là ? Que faire si l’on se sent menacé ? Comment reconnaître les
premiers signes ? Comment se prendre en charge : en automédication, comme d’habitude, mais aussi... ?
h Lorsqu’il s’agit d’un confrère qui ne demande rien : quels signes peuvent nous faire penser qu’il est peut-être menacé ?
Comment aborder les choses avec lui, sans lui faire peur ni l’agresser ?
h Si le confrère nous consulte : les positions sont plus claires mais restent difficiles... Nous savons tous qu’un médecin
malade n’est pas tout à fait un malade comme tout le monde. De même un médecin soignant un confrère n’est pas
rigoureusement dans les conditions habituelles du soin.
Une réflexion collective et institutionnelle est nécessaire. Elle est bien entendu très complexe et relève d’un travail culturel et
de choix politiques et sociétaux.
MÉDECINE février 2008 85
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