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Tribune Plus N° 1 - mensuel - décembre 2012 - Prix: 3 DT (3 Є)
Tr i b u n e p o u r t o u s
Kamel Jendoubi (Président de l’ISIE 2011)
Un Tunisien qui doute
ne peut pas raisonner
L’espoir de Siliana
et le besoin de
mise au point !
L’imbroglio
syrien :
Quelle issue ?
L’Enseignement
supérieur en Tunisie:
situation et perspectives
Ne Foutez pas
la pagaille à
notre foot !
27
réalisée par Mansour M’henni
avec Kamel Jendoubi:
le président de l’ISIE pour les élections du
23 octobre 2011
Pour une ISIE
aussi forte que
les attentes
des Tunisiens,
une ISIE
indépendante et
respectueuse de
la loi
Décembre 2012
Tr i b u n e p o u r t o u s
• N°1
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Interview +
Kamel Jendoubi, président
de l’ISIE pour les élections du
23 octobre 2011:
Un Tunisien qui doute ne
peut pas raisonner.
Il ne peut pas penser
tranquillement, sereinement,
ne peut pas se poser avec sangfroid les questions auxquelles
il est confronté.
Contraint à l’exil pendant dixsept ans pour son engagement
et son militantisme dans les
domaines de l’immigration et
des droits de l’Homme, Kamel
Jendoubi a été élu par la Haute
instance pour la réalisation
des objectifs de la révolution,
de la réforme politique et de
la transition démocratique
pour
présider
l’Instance
supérieure indépendante pour
les élections des membres
d’une Assemblée nationale
constituante.
L’homme présentait le
profil idoine. Ayant le
contact humain facile, serein
et respectueux, une note de
rigueur renforçait ce profil
et inspirait plus confiance,
malgré la défiance réservée de
quelques-uns.
Ce militant des droits de
l’homme, né à Tunis en 1952,
était de ceux qu’on mettait
dans la famille politique de
la gauche tunisienne, mais
avec
une
indépendance
intellectuelle caractérisée à
l’égard des partis politiques
et avec une honnêteté non
contestée.
Kamel Jendoubi est titulaire
d’un diplôme de l’IAE
de Paris et d’un DEA de
l’Université Paris Sorbonne II.
Il est président du REMDH
(Réseau Euro-méditérannéen
pour la Défense des Droits
de l’Homme) depuis 2003;
membre fondateur de la
Fédération des Tunisiens pour
une Citoyenneté des deux
Rives (FTCR) et du Comité
pour le Respect des Libertés
et des Droits de l’Homme
Tunisie (CRLDHT) dont
il est l’actuel président ;
membre du conseil exécutif
de l’Organisation Mondiale
Contre la Torture (OMCT);
président
de
l’Institut
du Caire pour les Etudes
des Droits de l’Homme
(CIHRS) ; et membre du
bureau de la Fondation Euroméditerranéenne de soutien
aux défenseurs des droits de
l’Homme (FEMDH).
Il avait tout pour réussir sa mission et, pour l’écrasante majorité des observateurs, il y a réussi. Or voilà
qu’en marge des discussions autour du projet de création d’une nouvelle ISIE, permanente cette fois, et
après un semblant d’accord de la troïka au pouvoir pour soutenir la candidature de K. Jendoubi à sa tête,
on parle de mauvaise gestion dans l’ISIE et on demande même une enquête à ce propos.
Nous avons donc sollicité un entretien avec K. Jendoubi qui a bien voulu répondre à nos questions avec
la franchise qu’on lui connaît et le respect dont il a toujours témoigné à l’égard des médias.
Pour commencer, que pensezvous de la campagne qui
s’est déclenchée contre vous
dernièrement
après
qu’un
consensus de la troïka a semblé
acquis autour de votre personne
pour une éventuelle candidature
à la présidence de la nouvelle
instance des élections ?
> Ce n’est pas la première fois
que certains essaient de faire
campagne contre ma personne et
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• N°1
contre l’ISIE ; depuis des mois,
des pages sur facebook et autres
publient des mensonges pour
discréditer l’ISIE et son président.
Mais vous voulez sans doute
parler de la campagne qui s’est
déclenchée dernièrement après
les fuites relatives à une partie de
la note de la Cour des comptes
sur la gestion financière de l’ISIE.
Cette campagne-là est plus grave
parce qu’elle instrumentalise la
L’objectif de la campagne :
installer le doute chez le
Tunisien, le faire douter de
lui-même
Cour des comptes d’une manière
indigne et illégale, pour des
calculs strictement politiques et
sans rapport réel avec la volonté
de se faire une opinion objective et
juste sur la gestion administrative
et financière de l’ISIE.
Décembre 2012
Interview +
En effet, le document publié
n’était qu’une note, qui n’a pas
suivi les procédures réglementaires
de la Cour des comptes , ni pris en
considération les réponses de l’ISIE
pour la simple raison que l’ISIE
n’avait pas encore reçu la note ;
elle a été divulguée en l’absence de
toute contextualisation ; beaucoup
d’éléments suspects entourent
les mobiles de sa publication
et poussent à s’interroger sur la
responsabilité de la Cour des
comptes ainsi que sur celle du
gouvernement et la relation que
ce dernier entretient avec cette
institution. On ne peut pas ne
pas penser à une machination
politique qui a vraisemblablement
un lien avec un certain consensus
déclaré de la troïka autour de ma
personne pour la candidature à la
présidence de la nouvelle instance
des élections.
Des
éléments
totalement
déconnectés
du
contexte
politique, social et sécuritaire de
l’époque ont été « balancés » avec
l’intention de nuire.
Pour revenir à ce qui a été
publié de la note en question,
plusieurs éléments sont inexacts
et pour cause! Il s’agit d’un
travail provisoire, préliminaire,
qui devait être confronté avant
publication
aux réponses de
l’ISIE. Malheureusement, ce que
j’ai appris, c’est que cette note,
car il s’agit bien d’une simple
note, a été adressée au président
du gouvernement et a fait l’objet
d’une réunion ministérielle. Du
coup, je me pose des questions sur
les motivations et les fondements
de cette démarche ! Elle a ensuite
fait l’objet d’une réunion de la
Troïka et, finalement, elle a été
diffusée sur les pages facebook
comme une sorte de campagne
médiatique, selon un plan de
communication qui s’est élargi à
la presse écrite, etc.
Cette campagne, à mon avis,
vise bien entendu l’ISIE et les
responsables de l’ISIE, mais elle
vise surtout la prochaine ISIE.
Il s’agit d’une campagne de
diffamation pour salir l’image de
l’ISIE, la discréditer en vue d’un
objectif double : d’abord chercher
à entacher l’image de ce type
d’instance pour faire en sorte que
la prochaine ISIE soit la moins
indépendante possible, ensuite,
tout aussi important, pour en
écarter ses responsables qui
peuvent prétendre assumer, dans
la future ISIE, des responsabilités
en toute indépendance. La
campagne ne vise pas seulement le
conseil de l’ISIE et son président,
mais tous ceux qui y ont travaillé;
dès lors qu’on laisse croire que
cette ISIE est pourrie, corrompue,
qu’elle dilapide le bien public, il
est évident que cela entache son
image.
Evidemment, c’est une question
qui amène à se poser d’autres
questions parce que, je peux dire
aussi, par extension, que ce qui
est grave, c’est de laisser entendre,
de manière quasiment claire,
que les élections du 23 octobre
2011 étaient en fait entachées
d’irrégularités graves. Or si l’ISIE
était pourrie et corrompue,
comment a-t-elle pu superviser,
diriger des élections avec les
marques de succès qu’on lui a
reconnues et aboutir à des résultats
acceptés par tout le monde ?
Enfin, cette campagne s’en
prend à un capital important de
confiance en semant le doute et
le questionnement, en tout cas
chez ceux qui le veulent bien face
à des gens honnêtes qui ont fait
confiance. Il s’agit d’une opération
de déstabilisation pour détruire le
capital de confiance que le citoyen
tunisien a acquis ; car ce que
nous avons réalisé, c’est quelque
chose de formidable, personne
ne croyait à cela, nous l’avons fait
ensemble. Les Tunisiens ont fait
confiance au processus électoral, à
la transition et à l’instance comme
modalité de fonctionnement et de
gestion ; cette réussite est bien leur
propre réussite, parce qu’en fait ils
ont eu confiance en eux-mêmes et
ils ont réussi en réalisant, devant
le monde entier, ce qu’ils n’ont
pas fait durant toute leur Histoire.
Pour moi, tel est l’objectif de la
campagne: installer le doute chez
le Tunisien, le faire douter de luimême parce qu’un Tunisien qui
doute ne peut pas raisonner, ne
peut pas penser tranquillement,
sereinement, ne peut pas se poser
avec sang-froid les questions
auxquelles il est confronté. Donc
on va le désorienter, le manipuler,
l’utiliser, l’instrumentaliser sous
des prétextes divers et variés.
C’est donc une campagne de
désinformation et de destruction
de la confiance que le Tunisien
avait dans le processus électoral.
Pensez-vous qu’il y ait vraiment
une intention de nuire à votre
personne ou tout simplement la
mise en place d’une plateforme de
négociation pour la nomination
par l’exécutif d’une direction
administrative et d’un contrôle
particulier des dépenses ?
> Au-delà de ma personne et
de toute autre personne, c’est
l’indépendance de l’ISIE, dont la
loi de création est en discussion
au sein de l’ANC, qui est en jeu
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Interview +
et c’est l’angle sous lequel on va
voir tout le reste, y compris la
gestion, le contrôle, le personnel,
la cohérence des structures, etc.
L’angle de l’indépendance. Si,
sous prétexte de contrôle, on met
en cause l’indépendance, c’est un
vrai hic ; le contrôle doit renforcer
l’indépendance ; la transparence
doit renforcer l’indépendance.
Mais ce prétexte et la campagne qui
s’en est suivie visent à discréditer
les responsables actuels de l’ISIE
qui ont vécu, dirigé et managé
une expérience exceptionnelle à
partir de quasiment rien et qui ont
fait un effort, une expérience qui,
de toute façon, avec ses défauts
et quoi qu’on dise, ont donné
un bon résultat. C’est, de fait, le
seul acquis depuis la révolution,
reconnu par les Tunisiens et par
le monde. Qu’on me donne un
seul dossier depuis la révolution,
faisant l’unanimité ou presque
et à l’intérieur et à l’extérieur de
la Tunisie.
Il faut donc regarder les
manquements, les insuffisances,
les erreurs, sous cet angle-là.
Et je dis clairement que cela ne
signifie en aucun cas que l’ISIE
n’est pas disposée à rendre compte
et à assumer sa responsabilité.
Je le répète encore : l’ISIE est
disposée à rendre compte et
j’assume personnellement toutes
les responsabilités de tout ce que
l’ISIE a fait, de bien, de moins
bien, de défaillant. Nous sommes
donc prêts au questionnement,
à l’imputabilité et même au
jugement si l’on doit aller devant
la justice. Mais là, on nous fait un
procès sans défense ; certains même
cherchent à nous poignarder dans
le dos. Ce n’est même pas face
à face parce que dans ce cas, à
la limite, on peut affronter les
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accusateurs et regarder les yeux
dans les yeux celui ou celle qui
veut nous assassiner.
Vous avez toujours déclaré
avoir la conscience tranquille
et accepter de vous soumettre à
toute l’imputabilité, au nom de la
responsabilité qui vous incombe
; mais rien ne paraît s’engager
dans le sens d’une mise au clair
des termes du reproche. Ne s’agit-il
donc pas d’un autre ballon d’essai
en faveur d’un certain rapport
de force qui cherche à peser
lourdement sur la décision de
nomination du prochain président
de l’instance électorale ?
Oui, la conscience tranquille je
l’ai assurément, je ne dors peutêtre pas assez, mais à ces quelques
heures de tranquillité, je n’ai pas
de cauchemars, je fais plutôt des
rêves et je rêve beaucoup.
Nous avons collaboré très
honnêtement avec la Cour des
comptes ; j’ai ouvert tous les
bureaux aux contrôleurs et je
leur ai même dit : « vous pouvez
disposer des clés ». D’ailleurs, ils
le reconnaissent et le rapporteur
général l’a déclaré publiquement
: je n’ai rien retenu et rien caché.
Tout est à leur disposition. Il est
vrai que le groupe de contrôle
travaille dans des conditions
difficiles parce que l’ISIE a été
vidée de la quasi-totalité de son
personnel, de ceux qui ont géré
les dossiers, il y a donc parfois des
difficultés pour avoir les dossiers à
temps, mais on y arrive toujours.
Voilà tout !
Gérer 37 millions de dinars…
Mais on a avancé le chiffre de
40 à 50 millions et on souligne le
déficit ?
> Les recettes s’élève à 37
millions et les dépenses à 42. Tout
a été expliqué, même le déficit,
qui n’en est pas un : c’est plutôt
un différentiel ; je n’ose même
pas parler de déficit, sur le plan
comptable. Je le précise pour ceux
qui veulent calculer honnêtement:
il s’agit en fait de deux factures
volontairement consignées : une
facture de 3,5 millions de dinars
au profit de l’armée nationale
pour mettre en valeur le travail
fondamental qu’elle a réalisé, et ce
n’est pas assez d’ailleurs, un travail
sur tous les plans, qui n’a pas été
seulement d’ordre sécuritaire,
mais logistique aussi; cela a été la
marque de sa participation. Cela
ne veut pas dire que les autres
ministères n’ont pas travaillé, mais
là c’était un travail déterminant
et nous avons voulu le souligner.
Et puis, deuxième volonté de
notre part, nous avons établi une
évaluation au profit de notre
télévision nationale qui a consenti
un effort important. Une facture
d’un peu plus d’1 milliard a été
établie pour mettre en valeur
sa contribution, une facture qui
n’est pas à la hauteur de l’énergie
fournie et du temps investi,
et nous l’avons fait. Donc 3,5
milliards ajoutés à 1 ; le compte
y est. Nous avons demandé au
gouvernement, par courrier avec
décharge, de prendre en charge
ces factures, parce que cela relève
du budget de l’Etat, dans les pays
qui se respectent; mais on ne nous
a pas répondu.
On attend donc l’arrivée du
rapport préliminaire ; on s’y
prépare dans des conditions
difficiles, car on n’a plus rien.
J’ai ici un collègue avec moi qui
a organisé une petite équipe.
L’intérêt, dans ce rapport, c’est
Décembre 2012
Interview +
aussi de tirer les enseignements
utiles pour la future instance, pour
l’avenir de l’instance. Depuis le 28
décembre 2011, nous avons attiré
l’attention du gouvernement
sur la nécessité d’anticiper, de
préparer le terrain à la nouvelle
instance ; malheureusement on
n’a pas été entendu.
Que pensez-vous de ceux qui
désignent Ennahdha, précisément,
comme le chef d’orchestre d’une
campagne de discréditation de
votre personne pour ne pas avoir
affaire à se confronter à votre
rigueur et à votre incorruptibilité ?
> Ce que je peux dire pour
répondre à cette question, c’est
que j’ai entendu parler de la
déclaration de M. Sahbi Atig, sur
Express FM, où il aurait déclaré,
au moins aurait laissé entendre
que certaines personnes de son
groupe (celui d’Ennahdha) à
l’ANC ne sont plus disposées à
soutenir ma candidature. C’est
leur droit évidemment, on ne
peut pas discuter de cela, ils sont
libres. Mais, simple observation,
M. Atig est président du groupe
d’Ennahdha; je pense qu’il doit
asseoir ses déclarations sur des
données fiables et incontestables.
Il parle d’un rapport de la Cour des
comptes, mais il sait très bien qu’il
On a relevé le défi et on a
gagné le pari
n’y a pas encore de rapport de la
Cour des comptes, que celui-ci est
en préparation et que le document
dont il parle est celui d’un groupe
de contrôle, n’ayant donc aucune
espèce de valeur juridique. Il doit
donc être plus prudent dans ses
déclarations pour être crédible.
Pour le reste, qu’ils veuillent
soutenir ou pas ma candidature,
cela les regarde.
Revenons un peu sur la première
ISIE, n’y a-t-il pas eu des
maladresses ou des négligences
qui ont nui à l’image et à la
crédibilité de votre travail ?
> Vous savez, l’ISIE est un bébé
qui a été créé par la volonté des
Tunisiens, qui a été enfanté par la
Haute instance pour la réalisation
des objectifs de la révolution,
de la réforme politique et de la
transition démocratique, Instance
où s’est concrétisée la volonté des
Tunisiens pour la liberté, pour la
dignité, etc. Ce bébé a été enfanté
et on nous a demandé de le faire
marcher. On l’a mis sur ses pieds,
on l’a fait courir alors qu’il était
encore bébé pour qu’il arrive à
destination. Il est arrivé.
Maintenant, on nous dit :
vous auriez dû quand même lui
apprendre à respecter le code
de la route, parce qu’il n’a pas
parfois respecté un feu ou parce
qu’il n’a pas bien regardé à droite,
à gauche, pour traverser ! Tout
cela est perçu comme si l’ISIE
travaillait dans un contexte apaisé,
un état démocratique consolidé
disposant d’une administration
installée, avec son personnel, avec
ses procédures, avec ses services,
etc. Et ce regard-là, s’il ne tient pas
compte du contexte dans lequel
l’ISIE a été créée et fonctionnait,
il risque d’aboutir à une injustice
et un constat erroné.
D’autre part, même si nous avons
eu conscience, dès le départ, d’un
certain nombre de retards, d’un
certain nombre de failles, voire
d’un certain nombre d’erreurs,
il reste qu’on travaillait sous la
pression d’un calendrier ; ce qui
a fait que les Tunisiens nous font
confiance, c’est que nous avons
respecté tous nos engagements,
l’intégralité du calendrier, toutes
les dates, alors qu’on était dans des
conditions qui pouvaient mettre
en cause sérieusement le respect
de ces dates.
On nous demandait de travailler
en toute indépendance, en rupture
avec l’administration. On a créé
tout de zéro. Tous les recrutements
qui ont été faits, l’ont été par
appel public à candidature dans
un contexte des plus tendus à
cause des problèmes de sécurité
notamment et d’autres problèmes,
et dans un contexte régional qui
était lui-même source de tensions.
Souvenons-nous de ce qui se
passait à l’époque à nos frontières
avec la Libye. Ce sont donc des
circonstances exceptionnelles que
traversait le pays à l’époque.
Il y avait un grand défi. Il
fallait lancer plusieurs chantiers
simultanément : la mise en place de
l’instance et de ses représentations
régionales
(démembrement),
l’administration électorale, les
recrutements
pour
préparer
l’enregistrement
qui
devait
démarrer le 11 juillet 2011.
Donc en un mois, de début juin
(le 8 juin 2011 précisément)
à cette date, il fallait installer
l’instance en tant que telle avec
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son personnel, ses locaux, ses
agents d’enregistrement, ses
bureaux d’enregistrement, les
équipements, etc. Mettre en place
les IRIE à partir de rien. Mobiliser
les partenaires pour mettre en
place des systèmes informatiques.
Il fallait être prêt le 11 juillet 2011,
et tout cela sans budget pendant
plusieurs semaines. Ce sont des
circonstances exceptionnelles qui
font qu’il y a eu des insuffisances,
des
tâtonnements
et
des
dysfonctionnements. Je vous
donne des exemples :
En démarrant l’enregistrement
le 11 juillet, deux jours après le
système a « buggé » parce qu’on
n’avait pas eu le temps de le tester.
On était devant un dilemme: ou
bien on teste le système et on
repousse les dates, et là plusieurs
parties nous guettaient et c’était
une nouvelle et grave crise
politique. On nous attendait
comme des snipers. Qu’est-ce
qu’on n’a pas dit de l’ISIE en ce
temps-là ! Ou bien on démarre
à temps et on corrige au fur et
à mesure ; on a opté la seconde
option. On a donc plongé et on a
appris à nager, en avançant coûte
que coûte.
Un autre exemple : Il faut
préciser que les IRIE (les instances
régionales) avaient été installées
deux ou trois jours avant le 11 juillet
2011, pour être fonctionnelles
le jour J de l’enregistrement des
électeurs. Certaines n’étaient
pas tout à fait en capacité d’être
fonctionnelle, à temps.
Physiquement, le personnel
d’enregistrement, plusieurs milliers
de personnes, certaines d’entre
elles venaient de terminer une
formation, parce qu’elles ont été
recrutées à peine quelques jours
Tr i b u n e p o u r t o u s
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avant. Dites-moi si, dans de telles
circonstances, on pouvait respecter
toutes les procédures quelles
qu’elles soient, celles du code du
travail ou je ne sais quoi d’autre.
Dans un climat de suspicion
générale quant à la transparence,
quant au climat des élections, quant
à la compétence aussi, car certains
se demandaient ce qu’on faisait
là et disaient qu’on n’avait jamais
fait l’expérience des élections.
Moi-même, j’ai été attaqué et j’ai
fait l’objet d’une campagne des
plus haineuses. On remettait en
question mon patriotisme et mon
intégrité, on me reprochait ma
double nationalité.
Je voudrais revenir sur des
exemples précis, pour espérer les
éviter une prochaine fois : d’abord
à propos des personnes employées
par l’ISIE : elles étaient à plus de
80% nahdhaouis et les Tunisiens
le savaient ; certains concitoyens
s’étaient plaints d’eux et de la
pression exercée par eux en Tunisie,
en Belgique, en Italie et ailleurs
(des médias s’en sont faits l’écho).
N’était-il pas possible d’intervenir
explicitement pour donner plus de
confiance aux Tunisiens et pour
les rassurer sur la neutralité de
l’opération ?
> D’abord, je ne sais pas où vous
avez trouvé le pourcentage de 80 %
de nahdhaouis ?
Les gens le disent, certains des
cercles de discussion, d’autres sur
facebook, etc.
Il y a certes des insuffisances, et
pour quelqu’un qui lit le rapport
de l’ISIE (publié depuis février
2012), il constate que nous les
avons formulées, nous-mêmes,
mais formulées positivement
dans un esprit constructif. Donc
sur l’ensemble des observations,
cette note fuitée montre que,
pour l’écrasante majorité d’entre
elles, ce sont des insuffisances
que nous avons déjà signalées
dans nos rapports ou de manière
directe. Malgré tout, on a réussi:
on a relevé le défi et on a gagné
le pari.
> Non, il faut affiner davantage.
En fait, il y a un sentiment basé
sur des faits épars qui tendent à
accréditer l’idée que dans certains
cas, il y a la présence plus marquée
d’un parti particulier (vous l’avez
cité, Ennahdha mais cela aurait
pu être un autre ; en tout cas
ici c’est de lui qu’il s’agit). Or,
il faut distinguer deux choses :
premièrement, la mise en place
de l’ISIE et son démembrement
(instances régionales), notamment
les IRIE et le recrutement qui s’est
fait à cet effet ; deuxièmement, les
personnes chargées des bureaux de
vote.
Pour le premier cas, sachez que
pour les IRIE, nous avons reçu
4500 candidatures ; nous – les 16
membres- les avons traitées, sans
personnel : ouverture des dossiers,
tri, classement, etc. On avait juste
demandé l’aide du secrétariat du
Conseil économique et social. Il
Décembre 2012
Interview +
faut dire qu’on était agréablement
surpris d’un tel engouement. Mais
il fallait choisir 364 parmi les 4500
candidats. Ce n’était pas simple,
parce qu’on ne connaissait pas ces
personnes. Nous avons donc mis
en place une procédure de sélection
combinée par des déplacements sur
le terrain pour prévenir les risques
d’infiltration et tout ce qui pouvait
altérer l’indépendance. Rappelons
qu’à l’époque, la crainte était
surtout que des membres de l’ancien
régime s’infiltrent. A notre grande
surprise, on a réussi aussi puisqu’il
n’y a eu aucun « dégage » à notre
adresse, alors que c’était l’époque
du « dégage » quasi-généralisé.
Quelques personnes seulement
ont été contestées. Or pour nous,
dès qu’un élément factuel ou un
détail d’appartenance à un parti
nous était signalé et vérifié, la
personne était systématiquement
écartée. Mais il est possible qu’il
y ait eu quelques personnes qui
soient passées inaperçues. Il ne
s’agit pas seulement de proches
d’Ennahdha, puisque ce parti a
lui-même formulé la critique que
l’ISIE était orientée vers d’autres
horizons politiques. En fait, ce
qui nous est reproché c’est d’avoir
des convictions personnelles ce
qui, à ma connaissance, n’est
ni un crime, ni une tare. Moi,
je me reconnais dans la famille
intellectuelle de gauche, mais je n’ai
aucune appartenance politique, je
n’appartiens à aucun parti. Je suis
indépendant. Or, l’indépendance
n’est pas contraire aux convictions
personnelles. Mais si on s’en sert
pour orienter ou exécuter des
décisions partisanes, là, oui, c’est
un problème.
Le
plus
difficile
était
l’établissement des IRIE à
l’étranger. D’abord, il y avait très
peu de candidats et puis on a traité
cette question tardivement, trop
tardivement. Vous vous rappelez,
les IRIE à l’étranger ont démarré
plus d’un mois après la Tunisie,
après même le démarrage des
enregistrements.
En tout cas, le recrutement s’est fait
sur un appel public ; on a privilégié
les jeunes chômeurs diplômés,
en particulier ceux bénéficiaires
du programme Amal. On a aussi
utilisé les données du ministère
de l’Emploi et de la Formation
professionnelle et on a adopté des
critères objectifs qui n’ont pas été
contestés. A chaque fois qu’on a
un doute confirmé que la personne
n’était pas indépendante, elle était
écartée.
Le second point concerne les
personnes chargées des bureaux
de vote. On a fait un appel à
candidature plus d’un mois avant
la date fatidique. C’était très peu,
l’objectif étant de recruter 50000
personnes pour les 9000 bureaux
de vote. Trois semaines avant
cette date fatidique, il n’y en avait
que 15000. On a dû accélérer les
choses en contactant le ministère
de l’Education afin qu’il incite
ses directions régionales à pousser
les enseignants à se présenter et
l’UGTT aussi dans le même but,
les enseignants étant les plus à
même et les plus adaptés à assurer
cette tâche, outre leur statut social.
A notre charge alors de leur assurer
la formation nécessaire et de leur
attribuer une indemnité de 80
dinars par jour. Cependant, étant
donné l’immensité du travail et en
l’absence d’un système de contrôle
ou d’une organisation de contrôle
permettant de bien s’assurer de
la conformité du recrutement
avec les conditions affichées, il est
Vers un fondement juridique et
un mécanisme de contrôle du
financement des partis politiques
et de la campagne électorale
probable, certain même, que les
formations politiques les mieux
organisées ont capté l’information,
qui était publique, et ont encouragé
leurs partisans, sous couvert
d’indépendance, à se présenter,
car on n’a pas de fichiers pour les
adhérents des partis politiques. Ce
qui a sans doute donné l’impression
que, dans certains bureaux, un parti
avait une présence plus importante.
Il y a tout de même un autre
critère, objectif, d’évaluation
qu’il importe de souligner :
vous savez qu’on a ouvert 1000
bureaux spéciaux de vote pour
ceux qui ne s’étaient pas inscrits
volontairement et qui auraient
voulu voter. Je ne veux pas revenir
ici sur le débat de qui est électeur
et qui ne l’est pas. Mille bureaux
de vote, c’est énorme et il fallait
chercher les personnes qui allaient
s’en charger. Il a fallu trouver 4000
personnes pour ces bureaux de vote
dans lesquels 500000 Tunisiens
ont voté. Quand on compare les
résultats dans ces bureaux avec
ceux des autres bureaux, censés
être mieux préparés, on constate
que les résultats sont pratiquement
les mêmes, à peu près les mêmes
pourcentages pour tous les partis
politiques, le différentiel étant d’un
ou deux points seulement.
Imaginons le cas extrême
où les 1000 bureaux de vote
supplémentaires seraient dominés
par un seul parti, comment se faitil qu’ils produisent des résultats
comparables à ceux des autres
bureaux ?
Décembre 2012
Tr i b u n e p o u r t o u s
• N°1
33
34
Interview +
Mais si on affine encore davantage,
on va trouver – le travail n’est pas
encore finalisé – que dans certaines
circonscriptions, les résultats
peuvent nous amener à nous poser
des questions.
L’opération de vote elle-même
a connu plusieurs irrégularités
(au moins 6000 seraient relevées
par les représentants de la société
civile, nationale et internationale)
: intimidation des électeurs, le
fameux bureau de Paris dont le
président est rentré chez lui avec
les urnes, les bureaux de tri où,
semble-t-il, certains membres
avaient pour tâche d’ajouter une
croix sur certains bulletins pour
les annuler, etc. Puis, cerise sur le
gâteau, l’affaire des voix en faveur
d’Al-Aridha Ach-chaabia, le
retard exagéré dans la déclaration
officielle des résultats, l’aveu que
plusieurs centaines de votants se
sont avérés des décédés, etc. Sans
parler de l’argent politique contre
lequel on n’a rien vu se faire qu’une
grève de la faim d’un membre de
l’ISIE, ce qui aurait contribué à
l’installation du doute à l’égard
de l’instance. Par quoi expliquezvous tout cela ?
> Ainsi quand certains parlent
de 6000 irrégularités, le chiffre est
peut-être à revoir ; mais ce n’est
pas important. Il y a eu toutes
les infractions que vous évoquez:
Oui, il y a eu le problème du
bureau que vous citez mais il est
sans influence sur le résultat ; il y a
eu ajout de croix pour annuler des
bulletins, mais cela ne pèse pas sur
le résultat. Si l’on veut donner la
dimension exacte du poids de ces
infractions, il faudra avancer des
chiffres.
Pour la décision d’annulation,
elle n’a concerné qu’une erreur en
Tr i b u n e p o u r t o u s
• N°1
Italie, c’est ce qui a nécessité une
rectification. Pour ce qui est des
décédés ayant voté, il n’y en avait
pas 1500, mais 160 et cela a été
expliqué.
Toutefois, au-delà de tout ce
qui est partiel et épisodique
et qui peut être utile, on peut
s’attarder sur le retard, qui n’est
pas du même ordre ; car pour
une première expérience, c’est
important d’en parler. Cela veut
dire quoi «retard»? On a déjà parlé
des conditions de mise en place de
l’ISIE, des personnes qui n’ont pas
l’habitude de ces PV, de certaines
erreurs d’addition, de cohérence,
etc. Pour une première expérience,
c’est énorme ! Le temps, c’est
variable ! Il faut partir de
l’existant. D’ailleurs, nous avons
filmé l’opération : le premier PV
nous est arrivé le deuxième jour
à 2 heures du matin ; Imaginez
le chemin qu’il met pour arriver
au centre des opérations : il faut
réunir les données, les transférer
au bureau centralisateur, puis il
y a la centralisation des données
afin qu’elles parviennent enfin au
centre des opérations. Autre chose,
le système informatique mis en
place a eu du mal à fonctionner. La
priorité, c’était donc d’établir des
PV manuels qui servent de base
juridique et les gens attendaient.
D’autre part, on a attendu
plusieurs siècles pour avoir des
élections libres et démocratiques;
on peut donc bien attendre 3
jours pour avoir les résultats. Il
y a certes des gens qui se sont
précipités pour annoncer leurs
propres résultats. Or, parfois on
a dû refaire le travail ou exiger de
refaire le décompte.
Par ailleurs, vous évoquez
l’intimidation, c’est-à-dire les
infractions qui se déroulaient
autour des bureaux de vote et il
y en a eu. Il conviendrait peutêtre de souligner d’abord que, sur
ce plan, ainsi que sur celui de
l’argent et la publicité politique, il
y a un vide juridique. Nous avons
mis des contrôleurs autour des
bureaux de vote. On a récupéré
les agents d’enregistrement et on
les a formés pour cette tâche ;
on les a répartis pour le contrôle.
On a établi la démarche, un
système qui consistait à constater,
à vérifier, puis transmettre au
service juridique. Mais ce système
n’a pas fonctionné parce que ces
contrôleurs ont été redéployés
pour renforcer les équipes des
bureaux de vote, en raison de
l’afflux des électeurs.
En plus, le système n’a pas
été testé, donc il n’a pas bien
fonctionné. On a utilisé une
technologie utilisée
dans
d’autres pays, mais qui n’a pas été
forcément adaptée à la Tunisie.
D’un autre côté, on a eu très peu
de sollicitations, y compris des
associations concernées. S’il ne
s’agit que d’observer, c’est bon
; mais coopérer pour aboutir à
des réactions, à des sanctions
éventuellement, en tout cas à des
actions est une entreprise bien
plus complexe.
Quant à la grève de la faim
d’un membre de l’ISIE, c’est une
protestation contre la publicité
politique. En fait, il y avait à
l’époque deux choses, voire trois.
Il y a la question du financement
des partis politiques pour lequel
on a un vide juridique total ;
il y a aussi le financement de
la campagne électorale, qui est
un financement public auquel
ont droit toutes les listes avec
Décembre 2012
Interview +
cependant une contrepartie, celle
d’un contrôle de ce financement.
Entretemps il y a eu, enfin, le
problème de la publicité politique
parce que certains partis ont
continué à fausser notre lecture
de la publicité politique ; ils ne
se sont pas conformés à notre
décision de l’interdire dans les
limites de certains délais. C’est
ainsi qu’un collègue a protesté,
de façon personnelle, contre
ce qu’il a considéré comme
une provocation, une manière
d’ignorer et de mépriser l’instance.
Par contre, pour le financement
des partis politiques, on ne dispose
d’aucun instrument. De toute
façon, on n’était pas chargé de le
faire. Même l’Etat, à cette époque,
ne pouvait pas le faire. Pour
l’avenir, il faudra donc se préparer
à cela. Même dans les pays les plus
développés, ce sujet n’arrête pas
de faire débat et, parfois, de faire
scandale.
Il faut dire que la Cour des
comptes a publié son rapport
relatif au financement de la
campagne électorale, rapport dont
on peut tirer des enseignements.
Il y a la loi sur les partis politiques
qui doit traiter de cette question
importante, le financement, qui
a un effet direct sur les résultats
des élections. Il y a la question de
la publicité politique aussi qui est
une forme de financement indirect
qui doit être traitée. Certains
pays l’interdisent à partir d’une
certaine date, par souci d’égalité
et d’équité.
Par rapport à l’annulation
de certaines listes d’Al-Aridha
Ach-Chaabia,
d’aucuns
ont
prétendu qu’elle est basée sur
des considérations
politiques.
Ce n’est pas exact. Le contrôle
dont ces listes ont fait l’objet
(contrôle assuré par des magistrats
de la Cour des comptes, en
plus d’experts du ministère des
Finances), a relevé des infractions
réelles, et cela ne concernait
pas Al-Aridha seulement. Nous,
nous étions de bonne foi. Puis le
Tribunal administratif en a jugé
autrement ; il a le dernier mot.
Que pensez-vous alors de ces
propos de Hamma Hammami :
«
Nous
lui
reprochons
principalement le fait qu’il n’a
pas dénoncé le financement des
partis. Non plus d’ailleurs que le
gouvernement Béji Caïd Essebsi.
En plus, il n’y a eu aucune enquête
concernant certains bureaux de
vote où il y a eu réellement des
irrégularités graves… Lorsque nous
l’avions dit à l’époque, personne
ne nous a pris au sérieux » et il
ajoute : « Une personnalité en qui
j’ai entièrement confiance m’avait
assuré qu’il y a entre 400000 et
500000 de voix suspectes » ?
> Pour la substance du propos,
je viens de répondre. Quant
à l’attitude de M. Hamma
Hammami
à
propos
du
financement politique, s’il veut que
cela soit structuré juridiquement,
il faut qu’il milite pour cet
objectif. En tout cas, ce n’était
pas à l’instance de le faire dans les
conditions qui étaient les siennes :
ni moyens humains, ni une assise
juridique. L’Etat lui-même est à
l’épreuve sur cet objectif, ainsi que
sur le rôle immédiat des médias,
qui est fondamental. Il faut espérer
que les choses évoluent vers un
fondement juridique nécessaire
et un mécanisme de contrôle
efficace du financement des partis
politiques et de la campagne
électorale.
Quant à la personne qui lui a dit
qu’il y a entre 400000 et 500000
de voix suspectes, j’ignore qui, je
ne sais pas ce que cela veut dire ;
mais s’il y a des preuves, il faut les
donner.
Il
conviendrait
d’éviter
d’utiliser des déclarations et
des chiffres de toute pièce. M.
Hamma Hammami assume la
responsabilité de ce qu’il dit, je ne
me sens pas visé.
On vous a reproché aussi de
verser dans le show politique en
organisant des cérémonies et des
réceptions qui n’étaient pas de
votre ressort ?
> En fait, à partir d’un élément
fuité et sans valeur juridique,
certains cherchent à extraire
les éléments de leur contexte
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• N°1
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Interview +
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et à fabriquer un semblant
d’accusation. On veut nous
mettre dans la position
d’accusés.
sommes une institution publique,
la loi dit qu’il faut établir un
rapport ; la rencontre se justifie par
la présentation de ce rapport aux
médias et à l’opinion publique.
La démocratie est le
moins mauvais de tous les
systèmes
Dans le même esprit, nous avons
pris une autre initiative, tenue le 18
mai 2012, à laquelle ont participé
les trois présidents, des députés,
plusieurs partis politiques pour
ne pas dire l’écrasante majorité de
la classe politique, pour annoncer
la fin de nos travaux. Vous pensez
que ce n’est pas notre rôle ? Je
respecte votre opinion, mais telle
est la mienne.
Prenons la cérémonie en
hommage aux martyrs et
aux blessés de la révolution,
organisée à la Cité olympique!
Notre motivation, après des
élections réussies, c’était, en
tant qu’institution publique,
de rendre hommage, par cette
rencontre, à nos martyrs, à nos
blessés et à leurs familles pour
leur dire : « Merci, c’est grâce à
vos sacrifices, grâce à vos enfants,
à votre douleur, que nous avons
réussi les élections ». Nous étions
la seule instance publique à avoir
pris cette initiative. Nous nous
sommes sentis le devoir de le faire.
Ce n’est pas de notre ressort, nous
dit-on ? Je respecte cette position.
Nous, nous avons considéré qu’il
était de notre devoir de le faire.
Il y a aussi la première rencontre
de la Commission centrale
organisée avec les IRIE, n’estce pas normal de rencontrer les
personnes des IRIE qu’on n’a pas
eu le temps de regrouper avant les
élections? Nous l’avons fait ; c’est
dans notre mission. On aurait
dû le faire plus souvent, mais
on l’a fait une seule fois pour les
remercier du travail qu’ils ont
fait. L’ISIE, ce sont toutes ces
personnes. C’est la moindre des
choses que de rendre hommage à
leur mérite.
Il y a eu encore l’annonce de
notre rapport d’activité : nous
Tr i b u n e p o u r t o u s
• N°1
Il y a enfin la journée d’étude,
le 23 octobre 2012, un an après
les élections, pour présenter
de la matière aux différents
intervenants – députés, partis
politiques, médias, que sais-je
d’autre ? – matière qui permette
de mieux comprendre cette
expérience, ses acquis, ses défauts,
ses insuffisances et de donner
des pistes concrètes, matérielles,
écrites sur des recommandations
pour le présent et l’avenir de
l’instance. C’est aussi notre
mission. Simplement là, si les
autres activités ont été financées
par le budget de l’ISIE, celle-là,
contrairement à ce qui a été dit
des 130000 dinars qu’elle a coûtés,
elle a été totalement supportée par
une fondation qui a pignon sur rue
et que nous nommerons, quand
nous publierons nos réponses et
nous la remercierons.
De toute façon, ce n’est pas de
la démonstration politique, ni du
show politique ! Ce n’est pas notre
préoccupation et si nous avions
voulu le faire, nous l’aurions
sûrement fait différemment. Le
considérer ainsi et le croire, c’est
ridicule et simpliste. C’est tout
simplement notre lecture de
notre mission et cela fait partie
du travail de l’ISIE. D’ailleurs, on
n’a pas assez fait avec les médias,
par exemple, avec les partis
politiques aussi, surtout après les
élections, et avec la société civile.
Les conditions dans lesquelles on
était, limitaient notre initiative ;
mais on aurait dû le faire.
Cependant, malgré tous ces
reproches imputables à tout travail
humain, surtout dans une première
expérience du genre, la conduite à
terme des élections est, en soi, une
grande performance et un moment
historique dans l’Histoire de la
Tunisie, un moment nodal de sa
transition démocratique. Pensezvous qu’avec les nouvelles attitudes
de dénigrement de son travail,
on soit déjà au stade de mise en
danger de cette transition ?
> Là aussi j’ai déjà avancé
des éléments de réponse,
par anticipation. Il importe
cependant d’insister sur le travail
considérable, monumental, qui a
été réalisé, sans parler du travail
bénévole qui a été accompli. Tout
cela a fait la réussite de l’expérience
électorale. Un jour, l’Histoire dira
l’importance de ce travail et cela
me rend fier pour mon pays et
pour les Tunisiens. C’est pour cela
que nous avons réalisé un film sur
cette opération, pour l’Histoire.
Personnellement, à chaque fois
que je le regarde, je suis ému par
cette rencontre avec les visages des
Tunisiens. C’est déjà un résultat
considérable que d’avoir réussi
ces élections, car nous doutions
de nous-mêmes, mais nous avons
relevé le défi, ensemble. Nous ne
cherchons pas à être remerciés.
Il nous suffit de rappeler qu’il
y a deux dates dans la Tunisie :
Décembre 2012
Interview +
la révolution du 14 janvier qui
a annoncé le printemps arabe
et puis les élections. Il n’y en a
pas d’autres ! Cela est un constat
objectif.
C’est là que tout le monde, pas
seulement moi, doit réagir : cela
me rend, (comment dire ?), agacé
quand on touche à cet acquis
qui a commencé à faire de nous
des citoyens. Car c’est un acte de
naissance de la citoyenneté. Et
quand on veut nuire à cela, je ne
peux pas l’accepter.
Il ne faut pas le regarder avec
le regard de ceux qui sont déçus
par le résultat, et qui seraient
tentés de le regarder avec mépris.
J’appelle tout le monde à penser
cet acte important. Avec la
campagne actuelle, contre moi et
à travers moi, contre cet acquis,
plusieurs personnes sont amenées
à douter. Il y a toujours des
mauvais perdants, je n’y peux rien.
Ensuite, il y a les nostalgiques de
l’ancien système qui y trouvent
une mauvaise nouvelle pour leur
nostalgie idéologique totalitaire
où le peuple était traité comme un
troupeau de moutons. Il est temps
pour eux de comprendre la citation
de Churchill : « La démocratie
est un mauvais système, mais elle
est le moins mauvais de tous les
systèmes.»
A votre avis, au-delà des
recommandations du rapport de
l’ISIE, quelle serait la démarche
la plus efficace pour tirer profit
des acquis et des réussites de la
première ISIE, en rectifiant les
erreurs et en comblant les lacunes
et les insuffisances ?
> Nous constatons d’abord
qu’on nous a écartés de toutes les
instances élaborant la nouvelle
ISIE. On n’a pas été consulté,
ni par la commission du
gouvernement qui a travaillé sur
le projet pendant plus de deux
mois, ni par la commission de
législation générale de l’ANC. Ils
se sont limités à nous inviter, en
septembre 2012, pour présenter
notre avis, dans le cadre de qu’on
appelle une séance d’écoute. Et le
comble de l’affaire, c’est que notre
invitation a même fait l’objet d’un
vote, des députés refusent de nous
entendre ! Des députés qui ont
été élus grâce à cette ISIE et à son
pilotage de l’opération électorale!!
C’est quand même le comble.
Mais, que voulez-vous ? Libre à
chacun de tirer les conclusions
de ces épiphénomènes ; mais ce
sont des faits qui indiquent bien
l’état d’esprit dans lequel certaines
personnes, certains députés même
travaillent sur le rejet de l’ISIE, ce
qui rejaillit d’ailleurs sur le travail
d’élaboration du projet de la
nouvelle ISIE.
Ce que je peux dire rapidement
de ce projet, c’est que, tel qu’il a
été soumis, il paraît fondé sur une
philosophie qui pose problème
parce qu’il est basé sur « qui va
être ? » dans l’instance, donc sur
les personnes. Du coup, tout le
reste en découle. On a donc une
instance juridique basée d’abord
sur qui va y être, et avec différents
cas de figures. Alors, il y a dans un
premier temps une approche qui
prônait la rupture avec l’ancienne
ISIE. D’ailleurs, cela s’est
matérialisé par la dénomination :
le premier projet gouvernemental
disait « Instance nationale » et non
pas supérieure ; en quelque sorte
on a voulu nationaliser l’instance
comme si l’ISIE était en dehors
de la nation ; il y a eu un débat,
mais les choses sont rentrées dans
l’ordre et maintenant, elle est ISIE.
Bien, mais toujours la question
mise comme préalable : « Qui va
être dans cette ISIE permanente ?
», et après on construit le reste.
Je comprends et j’interprète cette
démarche comme une volonté
d’écarter au maximum l’ISIE
actuelle. Et quand bien même des
membres de l’ISIE actuelle vont
être partiellement présents, la
philosophie de ce projet vise à vider
de sa substance les prérogatives
des membres de l’instance. Je
m’explique : l’ISIE, dans ce projet,
est composée d’un conseil et d’une
direction générale administrative
et financière. Le projet ne définit
aucune prérogative pour le conseil.
Quelles seraient les prérogatives
du président ? Il se contente de
convoquer les réunions, d’être le
représentant légal de l’instance
et de faire l’ordonnateur des
dépenses. A part cela, rien ! Par
contre, pour le directeur exécutif,
on a une liste interminable de
prérogatives. En fait le projet lui
donne l’ensemble des prérogatives
qui sont celles du conseil et
du président. Et comme la
philosophie du projet est toujours
fondée sur le « Qui va être ? », il
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Interview +
faut bien qu’on contrôle ceux qui
vont être. Le président délègue au
directeur exécutif les prérogatives
que la loi a définies pour le
directeur exécutif. Mais qui est
responsable ? Le responsable, c’est
le président. Donc le directeur
exécutif peut faire ce qu’il veut et
c’est le président qui assume. Et
comme il y a des « abrutis » qui
veulent être absolument à l’ISIE,
on va leur mettre un système de
contrôle hybride de telle façon qu’il
ne fonctionne pas normalement.
Et puis, il y a d’autres éléments,
quant au pouvoir réglementaire,
et bien d’autres questions…
un calendrier à mettre en place,
ce qui relève de la compétence de
l’ISIE. Puis, outre le calendrier, il
s’agira de prendre en considération
les préalables au fonctionnement
de l’ISIE : le recrutement, la
formation et tout ce qui se
rapporte à ce fonctionnement. Le
temps nécessaire à ces préalables
est incompressible. En tenant
compte de tout cela, il faut un
minimum de 8 à 10 mois. Mais
la loi électorale n’existe pas encore,
ce qui rend la date aléatoire. On
ne peut donc que donner un ordre
de grandeur à partir de notre
modeste expérience.
En fait, cette construction
va donner une ISIE qui, non
seulement, n’est pas indépendante
; mais qui est ingérable et qui
va donner une administration
électorale,
purement
bureaucratique,
totalement
incontrôlable par le conseil de
l’ISIE.
Outre le préalable législatif qu’est
le code électoral, il faut la garantie
d’un environnement juridique
sécurisé, sécurisé sur le financement
politique, sur les médias, sur
les droits fondamentaux et
les libertés publiques comme
la liberté d’expression et de
réunion, et sécurisé d’un point
de vue sécuritaire. Tout cela peut
influencer la date. Il faut donc
créer les conditions pour un bon
déroulement des élections. C’est
pourquoi un délai de 8 à 10 mois
me paraît probable et encore il faut
travailler dur, plus dur qu’avant,
parce que plusieurs éléments ont
changé.
La question est de savoir si
c’est de cela que le pays a besoin
maintenant et de se demander
à qui profite une ISIE affaiblie,
non indépendante et ingérable.
Pour ma part, je crains fort qu’on
va dans la mauvaise direction ;
j’espère me tromper, je l’espère de
tout mon cœur.
Quelle est la date la plus plausible
à votre avis pour les prochaines
élections ?
> On va dire qu’il y a deux
éléments à souligner : d’abord,
la date sera déterminée par la
Constitution. Pour cette étape de
transition, cela découle du code
électoral, ce dernier étant de la
seule compétence du législateur.
Lequel code doit se traduire par
Tr i b u n e p o u r t o u s
• N°1
Il importe de signaler par exemple
que désormais, le gouvernement
est élu, certes par l’ANC, et est
directement concerné par l’issue
des élections. Comment trouver
avec lui l’équation viable pour
des élections sans influence, tout
en sachant qu’il est concerné
? L’administration a changé
; c’est sans doute légitime,
mais comment, alors, garantir
l’indépendance de l’action du
personnel de l’ISIE ? Comment
va travailler une petite équipe
de 5 ou 6 personnes dans une
circonscription ou une des régions
de la Tunisie ? Et si l’échiquier
politique a changé, comment
sauvegarder l’indépendance de
l’ISIE face aux pressions des
comités de ceux-ci ou de ceux-là,
de l’administration locale, etc. ?
Tout cela va impacter le travail
et la prestation de l’ISIE. Et donc
si nous disons que nous aimons
vraiment la Tunisie, que nous
voulons vraiment la démocratie
et des élections libres conformes
aux standards internationaux,
notre intérêt est que l’ISIE soit
indépendante, opérationnelle et
forte. Parce que nos attentes sont
fortes, il nous faut une ISIE forte
et non une ISIE qui va servir pour
certains de bouc émissaire, pour
des choses qui peuvent être très
dangereuses et très graves pour le
pays. Ce n’est pas une ISIE audessus de la loi, mais une ISIE
respectueuse de la loi et en même
temps aussi forte que le sont les
attentes des Tunisiens, et les défis
à relever, notamment en matière
d’indépendance ; l’essentiel est que
cette ISIE organise des élections
dont les résultats ne seront pas
contestés. Quels que soient les
résultats par ailleurs.
Au cas où vous ne seriez pas
reconduit à la tête de l’ISIE,
comment envisageriez-vous votre
avenir politique ?
> (réponse éludée).
Quel est le dernier mot de cet
entretien ?
> Garder confiance.
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