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0123
international
Mardi 17 juin 2014
La justice s’acharne sur les jeunes révolutionnaires tunisiens
Trois ans et demi après la chute du régime de Ben Ali, plus de 130procès impliquant des dizaines de participants aux manifestations sont en cours
documentation
0 123
Reportage
Thala, Menzel Bouzaiane,
Ksibet (Tunisie)
Envoyée spéciale
S
afouane Bouaziz avait 27 ans
quand, le 24 décembre 2010,
ce mince jeune homme a lancé le célèbre slogan du soulèvement tunisien « Achaab yourid
iskat annidham» (le peuple veut la
chute du gouvernement). Il sera
confrontéaux juges mardi 17juin, à
Sidi Bouzid, berçeau de la révolution. Le même jour, à Kasserine,
autre chef-lieu emblématique du
« printemps arabe », un verdict
devrait être prononcé contre Issam
Amri, frère de Mohamed, 18 ans,
tué par balle à Thala le 8 janvier
2011. Trois ans et demi après la chu-
député Mohamed Brahmi.
« J’aurais pu y participer, j’aurais
aimé même, je l’ai dit au juge, mais
je n’y étais pas », assure le jeune
homme. Comme Issam et bien
d’autre, Safouane a participé à toutes les manifestations d’avant et
aprèslarévolution,notammentcelles de février2011, qui ont fait tomber le premier gouvernement de la
transition. Aujourd’hui, ces jeunes
se sentent «harcelés » par des policiers qui, selon eux, « ne pensent
qu’à se venger » et « produisent des
PV falsifiés et de faux témoignages». En réaction, sur le mur en face
du poste de la garde nationale de
Menzel Bouzaiane, une main a
écrit: «Vous revenez, on revient. »
A Ksibet, près de Monastir, ce
sont 24 jeunes qui sont confrontés
à la justice après l’incendie d’un
postedepolicedanslanuitquiasuivi l’assassinat, le 6 février 2013, de
l’opposant Chokri Belaïd. Aussitôt
interpellés, sept d’entre eux ont été
placésendétentionprovisoire pendant sept à treize mois. Dix-neuf
autres ont été laissés en liberté,
dont cinq considérés en fuite. Leur
procès est prévu le 10juillet.
Tous reconnaissent des jets de
pierre contre des gaz lacrymogènes
mais accusent la police d’avoir délibérément mis le feu à leur local
pour les mettre en cause. « Les flics
nous détestent parce qu’en 2011,
nous avons participé à la révolution. Ils veulent leur revanche, assure Mohamed Ben Ouannès Lagha,
29 ans, l’un des recherchés. Quand
ils ont disparu, c’est pourtant nous
qui avons gardé la ville et la municipalité pour la protéger. » Mohamed
Ali Mezhoud, 25 ans, qui s’était présenté spontanément à la police, a
passé treize mois en détention provisoire. « Je veux faire la paix mais
pour la police, être amis, cela veut
dire devenir leur indicateur, comme
avant », témoigne-t-il.
« Sous pression » comme ils
disent, ces jeunes de la révolution
ne sont pas les seuls à avoir des
démêlés avec la justice. Tous les
mouvements sociaux sont désormais dans le viseur des autorités. Il
y a peu, Nidhal Ouerfelli, porteparole du gouvernement, a insisté
sur le besoin de stabilité du pays.
«Aucun sit-in ne sera toléré et la loi
à ce sujet sera appliquée sévèrement », a-t-il déclaré le 4 mai à propos du bassin minier. Dans le
hameau d’El Berka, au bout de cette
régiondéshéritéeprochedela frontière algérienne, quinze familles en
conflit avec la Compagnie générale
des phosphates, désespèrent.
Après un sit-in mouvementé avec
la police, dont les habitants contestent la version selon leur porteparole Badreddine Ben Ali Souidi,
un agriculteur, treize hommes ont
été condamnés le 21 mai en leur
absence par le tribunal de Gafsa à
dix ans de prison. p
1
Dans les villes de
la révolution, rien n’a
changé. Le chômage et
la misère prolifèrent,
les routes sont
toujours défoncées
tedurégime deZine El-Abidine Ben
Ali, plus de 130 procès, impliquant
desdizainesdejeunes quiontparticipé à la révolution tunisienne,
sont en cours.
AlorsquelaTunisievientdemettreenplacele9juin, l’InstanceVérité et Dignité chargée de recenser et
d’indemniser les victimes des régimes Bourguiba et Ben Ali depuis le
1er juillet 1955, les poursuites judiciairessemultiplientcontrecesjeunes,accusésdeviolences etd’incendie contre des postes de police.
Sous la pression des familles qui
ont mené une grève de la faim, l’Assemblée nationale constituante a
voté, le 2 juin, une loi d’amnistie
Safouane Bouaziz, 30 ans, figure de la contestation anti-Ben Ali en 2010-2011, montre deux de ses quatre convocations
que lui a adressées la justice, le 13 juin à son domicile de Menzel Bouzaiane, dans le centre de la Tunisie. NICOLAS FAUQUÉ POUR « LE MONDE »
pour la période du 17 décembre
2010, date du début du soulèvement, au 28 février 2011. Or, les
affrontements se sont poursuivis
bien après. Mises en lumière par
l’arrestation le 13 mai du blogueur
Azyz Amami – relaxé depuis – et
l’un des principaux animateurs de
l’appel «Moi aussi j’ai brûlé un poste de police », ces poursuites ne
retiennent l’attention d’aucun parti. « Leur cause n’est plus une cause
nationale, dénonce Charfeddine El
Kellil, l’avocat des jeunes qui sillonne le pays pour les défendre. Il y
aura encore d’autres procès pour
que ces gens-là se taisent parce que
le système veut tourner la page. »
« L’amnistie est rédigée en termes
flous qui laissent toutes les interprétations au juge, ajoute-t-il. Pour
moi, l’Instance Vérité et Dignité est
une machine à clore le débat.»
Dans les villes de la révolution,
AQMI revendique une attaque et menace
POUR LA PREMIÈRE FOIS depuis
le changement de régime en 2011,
Al-Qaida au Maghreb islamique
(AQMI) revendique une action en
Tunisie. Dans un communiqué
publié vendredi 13 juin sur son
site Al-Andalous, l’organisation
djihadiste s’attribue l’attaque du
domicile du ministre de l’intérieur, Lotfi Ben Jeddou, à Kasserine, au centre du pays, non loin de
la frontière algérienne. Dans la
nuit du 27 au 28 mai, un commando armé avait ouvert le feu pendant de longues minutes. Quatre
policiers en faction étaient morts.
Le ministre, ancien procureur de
la ville, ne se trouvait alors pas
chez lui, mais à Tunis.
« Un groupe de lions de Kairouan [ville sainte de l’islam en
Tunisie] est parti pour couper la
tête du criminel Lotfi Ben Jeddou
chez lui (…), et Dieu leur a permis
de tuer un nombre de ses gardes
personnels et d’en blesser d’autres
et de leur prendre leurs armes »,
clame AQMI dans son communiqué, ajoutant : « Si ce criminel l’a
échappé belle cette fois, il n’en
réchappera pas la prochaine. »
« Lions de l’islam »
Pour la première fois aussi,
AQMI admet des liens directs avec
les djihadistes pourchassés
depuis des mois par l’armée sur le
mont Chaambi, qui surplombe
Kasserine. Plus d’une vingtaine de
militaires y ont été tués depuis
2012. « L’armée tunisienne a mené
des opérations militaires contre
nos militants du mont Chaambi,
ce qui a obligé les lions de l’islam à
frapper une colonne militaire »,
affirme AQMI, tout en dénonçant
«une campagne aveugle d’arrestations contre nos jeunes » et le classement parmi les groupes terroristes de la formation islamiste radicale Ansar Al-Charia. Et AQMI
menace : « Entrer en guerre ouverte contre l’islam et ses partisans
pour plaire aux Etats-Unis, à la
France et à l’Algérie, se paye cher. »
Rached Ghannouchi, le président du parti islamiste Ennahda
au pouvoir après la révolution de
2011 jusqu’en janvier, a annulé, le
13 juin, un déplacement à Jendouba après avoir reçu des menaces
de mort. La veille, le ministère de
l’intérieur avait annoncé la mort
de « deux terroristes », tués dans la
ville par la garde nationale. p
I. M.
au centre de la Tunisie, rien n’a
changé. Le chômage et la misère
prolifèrent, les routes sont toujours défoncées. Et les relations
entre les jeunes et la police, loin
d’emprunter le chemin de la réconciliation, se sont encore dégradées.
« Avant la révolution, je n’avais
jamais connu la prison, depuis, j’y
suis allé six fois », soupire Issam
Amri, 32 ans.
Au chômage quand il n’effectue
pas quelques travaux agricoles, il a
suivi mois après mois les vingt-six
audiences des tribunaux militaires
chargés d’enquêter sur les
319mortset3069 blessésdela révolution. Il a assisté la rage au cœur à
la libération de la quasi-totalité des
anciens dignitaires du régime Ben
Ali. Le dernier, Ali Seriati, ex-directeur de la garde présidentielle est
sorti le 17 mai. Condamné à vingt
ansdeprisonàTunis,l’ex-responsable sécuritaire, qui a bénéficié d’un
non-lieu dans l’affaire des martyrs
deKasserine,a vu sa peineréduiteà
trois ans et le chef d’accusation
requalifiéen«non-assistance àpersonne en danger ».
La même décision a été appliquée au responsable de la sécurité
de Thala, petite commune proche
de Kasserine, où six jeunes ont été
tués en janvier 2011. Alors quand
un autre de ses frères, Khaled, a de
nouveau été interpellé en mai par
la police, Issam est allé le chercher
et une bagarre a éclaté. Poursuivi
pour «outrage à fonctionnaire, diffamation, ébriété manifeste et
atteinte aux bonnes mœurs », il est
aussi concerné avec 23 autres jeunes, dans un dossier en cours d’instruction, pour l’attaque d’un poste
de police le 25 novembre 2011.
« Après la révolution, on a cru que
quelque chose allait changer, qu’il y
aurait une rupture, mais c’est tout
le contraire, constate avec amertume Helmi Cheniti, frère de l’un des
«Avant la révolution,
je n’avais jamais
connu la prison,
depuis, j’y suis allé
six fois»
Issam Amri
frère de l’un des « martyrs »
de Thala
« martyrs» de Thala. Quand je serai
mort, je laisserai une boîte aux lettres sur ma tombe pour que l’on me
tienne au courant de la justice. »
A soixante kilomètres de Sidi
Bouzid, à Menzel Bouzaiane,
Safouane Bouaziz, chômeur, est
poursuivi dans quatre affaires,
pour « atteinte au drapeau, menaces contre fonctionnaire, atteinte
aux bonnes moeurs, association de
malfaiteurs », ainsi que pour l’incendie d’un poste de police après
l’assassinat, le 25 juillet 2013, du
Isabelle Mandraud
La réélection du président colombien sauve le processus de paix avec les guérillas
Juan Manuel Santos a obtenu la majorité des voix, dimanche 15juin, face à son adversaire, Oscar Ivan Zuluaga, opposant aux pourparlers
Bogota
Correspondante
P
artisan de négocier la paix
avec les guérillas de son pays,
le président colombien Juan
Manuel Santos (centre droit) a été
réélu dimanche 15 juin avec
50,95 % des voix, contre 45 % pour
OscarIvanZuluaga,virulentdétracteur des pourparlers de paix en
cours. Le vote blanc, que le système
électoral colombien fait apparaître
dans les résultats définitifs, a
recueilli 4,03 % des suffrages. En
baisse par rapport au premier tour,
l’abstentiona encore atteint 52,11%.
Les matchs de la Coupe du monde de football faisaient craindre
une participation encore plus faible. La victoire de la Colombie,
samedi, aurait-elle contribué à
dynamiser les électeurs ? Au siège
de campagne de Juan Manuel San-
tos, dimanche soir, personne n’en
doutait. « La paix a remporté le
match du jour », s’est réjoui Diego
Tovar, étudiant de 24 ans. « La
paix, la paix, nous voulons la
paix », ont scandé les centaines de
sympathisants venus fêter la victoire de leur candidat.
Les résultats définitifs ont été
donnés moins d’une heure après
la fermeture des bureaux de vote.
Dehors, les klaxons de la capitale
fêtaient avec entrain le triomphe,
qu’il soit sportif ou politique.
Au pouvoir depuis 2010, Juan
Manuel Santos a misé tout son
capital politique sur les négociations de paix engagées avec les Forces armées révolutionnaires de
Colombie (FARC) fin 2012. Les FARC
comptent aujourd’hui 8 000 hommes en armes, moitié moins qu’il y
a douze ans. Cinq jours avant le
deuxième tour du scrutin, le prési-
dent Santos annonçait l’ouverture
de pourparlers officiels avec la
deuxième guérilla du pays, l’Armée de libération nationale (ELN).
Les combattants « elenos » sont
environ 1 200, de source officielle.
« Le plus pur des traîtres »
Juan Manuel Santos a remercié
les 7,8 millions de Colombiens
ayant voté pour lui (sur un total de
33 millions d’électeurs potentiels)
et« qui ontdécidé de troquerla peur
pour l’espoir ». Le président réélu a
reconnuquelespourparlers avec la
guérilla « ne sont pas faciles et ne le
seront pas ». «Il y aura toujours des
d’obstacles et des ennemis. Mais il
n’y aura pas d’impunité et la paix
sera juste », a-t-il poursuivi.
Au cours de la campagne, Oscar
Ivan Zuluaga a défendu « une paix
sans impunité », en menaçant de
rompre le processus de paix si les
FARC n’acceptaient pas ses conditions. Inconnu du public il y a encoresixmois,M. Zuluagaaétépropulsésurlascènepolitiqueparl’ex-président Alvaro Uribe (2002-2010),
qui s’était juré d’en découdre avec
les FARC. Faute de pouvoir briguer
un troisième mandat, M. Uribe a
décidé de créer son parti (le Centre
démocratique)et delancer son candidat. D’un naturel affable,
M. Zuluaga a opté pour une fin de
campagne agressive qui ne semble
pas lui avoir profité dans les urnes.
« L’unité a triomphé. C’est le
moment de travailler pour la justice sociale, de nous regrouper
autour d’un objectif commun, la
paix », a lancé le président réélu.
L’unité ? A écouter les perdants
du jour, il est permis d’en douter.
Certes, Oscar Ivan Zuluaga a reconnu sa défaite et félicité « par devoir
démocratique » le président réélu.
Mais au siège de la campagne la
déception est lourde. La mine triste, les « zuluaguistes » considèrent
que la course à la présidence
contre un président en poste est
« trop inégale » et ils s’inquiètent
de voir le pays tomber à terme aux
mains des communistes.
Les accusations contre le chef de
l’Etat ont de quoi faire sourire. Fils
de très bonne famille, élevé dans
les allées du pouvoir, Juan Manuel
Santos, 62 ans, est considéré comme un pur représentant de l’oligarchie colombienne. Ancien
ministre de la défense d’Alvaro Uribe, M.Santos s’en est démarqué dès
son arrivée au pouvoir, ce qui lui
vaut d’être considéré comme « le
plus pur des traîtres» par les uribistesquil’avaient élu il ya quatreans.
« Paradoxalement, Santos doit
aujourd’hui sa réélection à la gauche », explique la députée du Parti
Vert Angela Maria Robledo. Très
critique de la politique économique néolibérale du président et de
ses pratiques clientélistes, elle a
appelé à « voter pour la paix » :
« Santos doit maintenant entreprendre les grandes réformes – en
matière d’éducation, de santé et de
justice – sans lesquelles il n’y a pas
de paix possible. En clair, il se doit
d’appliquer un programme de gauche. Nous allons le lui rappeler tous
les jours. »
Alvaro Uribea prononcé dimanche soir un discours très dur. Refusant de reconnaître le résultat des
élections, il a accusé M. Santos
d’avoir corrompu le scrutin. Selon
l’analyste Ramiro Bejarano, M. Uribe, désormais sénateur, « veut faire savoir que c’est lui le chef de l’opposition et renvoyer M. Zuluaga au placard ». p
Marie Delcas

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