Le dossier Sérocytol (première partie) .pdf


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Auteur: François-Xavier Chaboche

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François-Xavier Chaboche

Le dossier Sérocytol
La liberté thérapeutique est-elle un mythe ?
[texte de 1980]

Avec la coopération [pour la seconde partie] de
MM. les docteurs J.B. (Belgique), P. Bicard (France), R.J.B. (France), Jean
Daniel (France), Didier Del1eur (Suisse), Faucon (France), Jacob (France),
Robert Kohler (Suisse), M. Lagrange (France), Jean Lesage (France), Michaud (France), R. Nebel (Suisse), Henry Picard (France), J.R. (France), A.
Schmits (Belgique), P. Tubéry (France), V. (France) ;
Mme T. Burger (Suisse), M. P. Mingard (Suisse), biologistes ;
M. le professeur Nardella (Italie). immunologue ;
M. le professeur J.-C. Etter (Suisse), galénicien, directeur de l’École de
pharmacie de Lausanne ;
M. le docteur Jean Thomas (1902-1977), ancien professeur
d’anatomopathologie à l’université de Carthagène, ancien chef de laboratoire du Sacred Heart Hospital de Shanghai, créateur de la sérothérapie
tissulaire spécifique.

1

Cet ouvrage est dédié
en témoignage de reconnaissance, à tous ceux
qui, médecins et hommes de cœur,
d’hier et d’aujourd’hui,
ont dû faire face à l’adversité pour venir en aide
à l’humanité souffrante.

2

PREMIÈRE PARTIE

« L’histoire de la médecine peut être
définie comme l’embryologie spirituelle
de l’art de guérir. »
Jacques Poulet

« Ce qui ne me détruit pas me rend plus fort. »
Frédéric Nietzsche

3

1.
La médecine, pour quoi faire ?
Depuis l’aube des temps, l’humanité s’est toujours préoccupée de son bien-être. C’est même, pour ainsi dire, à travers
ses activités multiples et son histoire mouvementée, sa préoccupation essentielle et unique. Il y a là une interrogation et un
défi. Une interrogation sur la condition humaine, qui fait
l’objet de toute l’histoire des philosophies et des religions. Un
défi contre la fatalité, contre l’adversité et contre la souffrance.
La souffrance est toujours vécue comme intolérable. Sinon, on n’en parlerait pas tant. Elle est vécue comme rupture
d’un équilibre et d’une unité qui sont plus ou moins confusément sentis comme devant être la norme d’un état d’être perdu,
mais qu’on aspire à retrouver. D’où une lutte et un combat,
colossaux, pour y trouver des réponses satisfaisantes et efficaces. De nombreuses voies, entre la révolte prométhéenne et
la méditation monastique, ont été choisies. La médecine en est
une, fondamentale.
La médecine – celle du passé comme celle d’aujourd’hui
et cela à travers les peuples et les traditions dans leur diversité
– est la rencontre de deux dynamismes, aussi importants l’un
que l’autre :
– le dynamisme de la connaissance. Élémentaire ou
élaborée, la connaissance des lois naturelles est le résultat
d’une patiente observation et d’une curiosité humaine toujours
en éveil. À l’origine liée à la nécessité de survie, la connaissance pragmatique est devenue science, c’est-à-dire qu’elle
tend à une représentation cohérente du monde : en comprenant
les tenants et les aboutissants, le processus et le mécanisme du

4

phénomène, l’esprit humain, détaché des contingences, peut
alors intervenir pour modifier le phénomène, c’est-à-dire maîtriser la nature. Ainsi la technologie moderne est
l’aboutissement d’une maîtrise de plus en plus poussée, de plus
en plus serrée, dans la connaissance et la transformation du
monde matériel. La question, bien sûr, reste posée : maîtrise de
la matière, oui, mais pour quoi faire ? Là interviennent des
choix d’ordre moral ou éthique ;
– le dynamisme de la compassion (ou de la reconnaissance du bien commun). Face à la souffrance d’autrui deux
attitudes sont possibles : l’indifférence et le repli sur soi (ou
bien le dégoût et la fuite) ; la compréhension et le désir de venir en aide. Dans certains types de sociétés, dites « primitives », où chaque membre du clan fait partie de la collectivité,
l’« autre » est considéré comme une partie de soi-même.
L’ethnologie et l’anthropologie nous ont appris que l’exercice
de la médecine (ou de la médecine-sorcellerie) jouait, dans ces
sociétés, un rôle social prépondérant au service de la cohérence
de la collectivité. Dans nos sociétés, dites "civilisées", la médecine joue un rôle social non négligeable mais orienté vers
l’individu, considéré comme distinct et unique. Quoi qu’il en
soit, le désir (ou la nécessité) de venir en aide peut être – et a
souvent été – une motivation déterminante dans le choix d’une
carrière de santé. Ce n’est évidemment pas la seule motivation
possible : l’esprit de lucre ou le goût du pouvoir ne sont pas
toujours étrangers à une « vocation » médicale.
Il y a, en effet, dans l’exercice médical, une ambiguïté.
Le but d’une thérapeutique consiste théoriquement à rétablir
l’intégrité du malade. Mais cette thérapeutique s’exerce dans
un rapport de dépendance du patient à l’égard du médecin.
Ainsi intervient la confiance. Le médecin est gérant de cette

5

confiance que lui accorde son client. Il ne faut pas perdre de
vue que l’objectif d’un acte médical est de faire en sorte que
l’individu qui fait appel au médecin soit de nouveau en mesure
de se passer de lui. D’où la nécessité d’un certain désintéressement du médecin, notion essentielle pour la qualité de
l’acte thérapeutique, (Nous parlons ici, bien sûr, de ce qui
devrait être un idéal.)
Notre époque n’est pas moins exempte de souffrances
qu’une autre. Malgré – ou parallèlement – aux « progrès » de la
civilisation la plupart des maux connus de l’humanité continuent à sévir. Certes, ces progrès, notamment dans le domaine
médical, ont abouti à des résultats. On a ainsi « éradiqué » la
variole. Cette maladie n’existe plus qu’à l’état latent dans deux
ou trois éprouvettes de laboratoire. On peut aussi « raccommoder » un membre coupé du corps – ou transplanter un organe
déficient et lui rendre toutes ses fonctions. Nous ne dresserons
pas la liste de toutes les victoires de la médecine de notre
époque. Elle est considérable. Mais le travail qui reste à faire
est, semble-t-il, plus considérable encore : on n’a pas encore
« éradiqué » la violence, ni les troubles psychiques, ni le rhume
de cerveau, ni la malveillance chronique, ni les injustices sociales pathogènes, ni la sous-alimentation des deux tiers de
l’humanité, ni la suralimentation pléthorique du troisième
tiers... Il n’est pas besoin de schématiser à l’extrême pour
mettre en évidence le chemin qui reste à parcourir. Non, notre
époque n’est pas, à l’égard de la souffrance, différente d’une
autre. Les problèmes ont simplement changé de nature. Ils se
sont déplacés, en se compliquant. De nouvelles maladies, dites
de « civilisation », sont apparues. L’environnement naturel de
l’humanité, et l’humanité elle même, sont menacés dans leurs
forces vives.

6

Simultanément, on assiste à deux phénomènes, dont les
implications ne sont pas encore bien mesurées :
1. – Le « droit à la santé » est revendiqué, dans les pays
riches comme dans les pays en développement, au même titre
que les droits civiques, les libertés, les « droits de l’homme »
etc. Le droit à la santé est devenu un problème politique et un
problème débattu jusqu’au plus haut niveau international.
L’Organisation mondiale de la santé – émanation de l’O.N.U. –
a été amenée, en plusieurs étapes, à définir une véritable charte
des droits à la santé. Il faut souligner l’importance de ces déclarations d’une organisation internationale donnant valeur juridique – pour la première fois dans l’Histoire – à une définition
positive de la santé.
En effet, la santé n’était considérée naguère que dans son
aspect négatif : l’absence de maladie. La médecine était bien en
peine de donner une définition de la santé, puisque sa préoccupation première était la maladie : « La santé est un état précaire
qui ne présage rien de bon », disait le bon Dr Knock...
Les déclarations d’intention des instances internationales
sont rarement suivies d’effets immédiats. Mais elles marquent
une étape de la prise de conscience collective, même si d’autres
droits fondamentaux reconnus aux individus par la communauté terrienne continuent à être, çà et là, allègrement bafoués. On
continue à dépenser plus d’argent et d’efforts à détruire les
individus qu’à les « restaurer » et à les aider. Mais ce n’est évidemment pas une raison pour attendre « que les autres commencent » pour méditer et mettre en pratique des recommandations de bon sens.
Le droit à la santé implique non seulement, pour
l’individu, le droit de recevoir des soins curatifs ou préventifs,

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mais éventuellement le droit de se prendre en charge lui-même
et de choisir le type de soins qu’il souhaite recevoir.
2. – On arrive donc à la notion de soins. Apparemment,
le problème d’un malade est simple : dans sa détresse, il veut
être aidé. En pratique, les choses sont plus complexes, car il
existe autant de méthodes de soin que de visions de l’homme.
À la limite, autant de médecins, autant de visions, autant de
méthodes. Dans cette extrême diversité de théories, d’écoles,
de méthodes thérapeutiques, on distingue cependant quelques
grandes lignes, qui se partagent entre deux tendances principales.
La première a suivi le développement de la science contemporaine, avec une spécialisation de plus en plus poussée,
une analyse de plus en plus fine des phénomènes, une technologie de plus en plus sophistiquée, des interventions de plus en
plus parcellaires, mais où les notions de synthèse, de cohérence, d’équilibre et d’harmonie sont toujours plus absentes.
Cette tendance, liée et conjuguée aux impératifs, servitudes et
pesanteurs économiques, a donné naissance au système médical tel que nous le connaissons aujourd’hui.
La seconde est une tentative pour retrouver la notion
d’intégrité globale de l’être humain, dans toutes ses dimensions. Ce n’est pas la voie la plus facile : c’est elle qui, dans le
contexte actuel, exige le plus d’efforts.
Rappelons le schéma dans lequel s’inscrit le processus
d’un acte médical.
L’individu. Celui-ci vient consulter parce qu’il se sent
mal. Qu’elle soit légère ou aiguë, sa souffrance est ressentie
comme une atteinte à son bien-être. C’est par la souffrance,

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aspect subjectif du symptôme, que la maladie se révèle. Donc,
l’acte médical commence par la demande du « patient »
(= « souffrant »).
La rencontre patient-médecin. Ici intervient l’aspect
humain, intersubjectif. C’est le lieu du « colloque singulier »,
psychodrame à l’échelle du cabinet médical ou de la consultation hospitalière.
L’examen. Pour répondre à la demande du patient, le
médecin doit savoir « de quoi il retourne ». Il doit découvrir et
révéler l’étiologie (l’origine) des troubles (symptômes, syndrome) dont souffre son client. D’où interrogation et exploration. La façon dont le médecin procède dans sa recherche dépend de sa formation et de sa sensibilité propres. À ce niveau
déjà se manifestent les deux grandes tendances dont nous parlons. La tradition hippocratique, encore vivante, met l’accent
sur l’observation du malade, observation du corps mais également des conditions de vie : environnement, alimentation, etc.
Si le médecin fait davantage confiance à la technologie
qu’à ses propres moyens et à sa propre intuition, il aura tendance à faire davantage appel aux examens de laboratoire, de
plus en plus sophistiqués (et de plus en plus coûteux). Bien sûr,
entre ces deux tendances un équilibre peut et doit s’établir. Le
bon médecin utilise avec bon sens la technologie lorsqu’elle
peut venir en aide à l’élaboration de son diagnostic, mais non
pour la remplacer.
Le diagnostic. C’est l’« instant crucial », selon
l’expression de Bacon, père de la science moderne. Tous les
éléments d’appréciation ayant été pesés et comparés, une conclusion s’impose. À ce moment, la maladie est nommée, ce qui

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ne veut pas toujours dire cernée, ni totalement comprise. Et la
tentation est grande, parce que c’est une facilité, de se contenter d’avoir défini un syndrome (ensemble de symptômes) en lui
donnant un nom connu, parce que l’on pourra alors lui appliquer automatiquement une thérapeutique correspondante connue. La tentation est grande de prendre en considération la maladie et d’oublier le malade... Car si les symptômes sont connus, définis, répertoriés, catalogués, cela ne veut pas dire que
l’on connaît le malade. Or jamais deux patients n’ont eu la
même maladie, dans son développement, et jamais ils n’ont
réagi de la même façon à une même thérapeutique. Chaque
« cas » est un microcosme médical, chaque « cas » est unique,
totalement, définitivement.
La thérapeutique. Là encore, elle dépend de la formation du médecin et de l’idée qu’il se fait de la médecine.
Pour les uns, le but de toute thérapeutique est, dans la
mesure du possible, de rétablir, de restituer l’intégrité cellulaire, organique et fonctionnelle, voire psychologique, par laquelle s’exprime ce qu’on appelle la santé (ou homéostasie).
Les méthodes utilisées alors seront davantage d’ordre biologique : intervention au niveau de l’alimentation (diététique),
apport des substances lacunaires, nécessaires au rétablissement
harmonieux du métabolisme (exemple : oligothérapie), intervention au niveau du schéma corporel (manipulations) et au
niveau de la circulation énergétique (acupuncture), renforcement des défenses naturelles de l’organisme (homéopathie,
immunologie), etc. L’organisme vivant est considéré ici dans
sa globalité et son équilibre.
Pour les autres, s’ils n’ont qu’une vue mécaniste et fractionnée du fonctionnement d’un organisme, leur première préoccupation sera d’« assommer » le symptôme, le faire dispa-

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raître à tout prix, quitte à faire réapparaître d’autres (analogues
ou dérivés) ailleurs puisque les causes profondes auront été
ignorées. Ici, c’est le règne de l’artifice, et le malade aura vite
fait de devenir un cobaye de laboratoire dont le destin global ne
préoccupe nullement le technicien médical, exclusivement intéressé par le « cas ».
À ce propos, citons le Pr Escande (dans Paris-Match du
20 avril 1979) : « Lorsqu’un médecin a passé un quart d’heure
avec son malade, il sait presque toujours si son patient est atteint d’une maladie chronique contre laquelle il ne pourra rien
ou pas grand chose ; si au contraire il s’agit d’une maladie
brève, assurée de guérir toute seule ; si, enfin, il s’agit d’une
affection grave nécessitant le grand jeu scientifique, pour être
cernée, puis réduite. »
C’est une « sommité » de la médecine moderne qui le
dit : face à la maladie, il n’y a rien à faire ou bien, si le « cas »
est suffisamment « intéressant », on fait intervenir la machinerie lourde de la technologie médicale.
Autre aveu, cette fois d’un « mandarin » d’outreAtlantique, le Pr Raymond Vande Wiele1 : « Le but de la médecine n’est pas de rendre les gens heureux. La santé n’est pas
un “sentiment de bien-être” comme cela a été déclaré […] à
l’O.M.S. » Sur le droit à la santé, il affirme : « Je voudrais bien
qu’on l’eût, mais la médecine ou la science n’ont pas les
moyens de le donner. » (Le Monde, 24 juin 1979).
La seule justification que pourrait plaider une telle médecine de l’impuissance, c’est une ignorance profonde. Mais est1

Le Pr Vande Wiele s'est rendu célèbre, pour avoir interrompu, de son
propre chef, une expérience de fécondation in vitro, menée par l'un de ses
collaborateurs à l'université Columbia de New-York, en 1973, cinq ans
avant la réussite de Steptoe et Edwards.

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il légitime de se complaire dans l’ignorance, par commodité ou
par intérêt, lorsqu’on se targue de prendre en charge la souffrance humaine ?
Sur la médecine contemporaine, il a déjà été beaucoup dit
et beaucoup écrit. Notre propos ici n’est pas de réécrire ce qui a
déjà été présenté, en mieux, par d’autres. Nous souhaitons simplement rappeler quelques faits.
La recherche moderne biomédicale, liée au développement technologique, a poussé l’analyse des processus biologiques et métaboliques à un point jamais atteint. Mais les mécanismes de la vie sont beaucoup plus insaisissables et complexes en leur essence que les lois mécaniques et thermodynamiques qui régissent les machines. La vie est une négation des
lois de la thermodynamique. Par définition, elle n’est possible
qu’in vivo, et insaisissable in vitro. Néanmoins, on en explore
les manifestations. Les données connues sont de plus en plus
nombreuses et, simultanément, se compliquent de plus en plus.
Ce phénomène n’est d’ailleurs pas seulement propre à la seule
recherche biomédicale : c’est le fait scientifique de notre
temps.
En contrepartie d’une connaissance théorique très élaborée, apparaissent trois écueils.
1. – La spécialisation à outrance, rendue nécessaire par
le volume des données et par les processus de la recherche.
Même des cerveaux exceptionnels ne peuvent plus assimiler la
globalité du savoir humain. (D’autant que les cerveaux sont
conditionnés au départ par une formation partielle et partiale.)
Ce qui a pour conséquence, inattendue et dramatique, que nul
ne peut plus se prononcer sur un sujet sans être à peu près sûr
de se tromper.

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On arrive à ce paradoxe : plus on sait de choses – dans
l’optique de la spécialisation – plus on a de chances de tomber
dans l’erreur, puisqu’un grand savoir dans un domaine implique une grande ignorance dans d’autres domaines, même
voisins. Toutes choses étant impliquées et interdépendantes,
seule une vue synthétique des choses (ou une sagesse intuitive)
pourrait faire sortir les sciences de cette ornière. Une telle synthèse exigerait, non la suppression des spécialités, mais une
ouverture d’esprit. (Elle existe, sans doute, cette synthèse, à
l’état embryonnaire et se constitue peu à peu dans l’inconscient
collectif de la communauté scientifique.) Phénomène moderne,
la spécialisation fermée aboutit donc à des impasses, si elle
n’est pas compensée par une vision globale. Déjà, en 1869,
Jules Michelet évoquait « ces spécialités [qui] ont toujours
quelque chose d’un peu artificiel qui prétend éclaircir, et pourtant peut donner de faux profils, nous tromper sur l’ensemble,
en dérober l’Harmonie supérieure ».
Dans le domaine médical, le problème est le même. Et il
n’est pas non plus nouveau. En 1937, le Pr H.L. Eason déclarait devant les étudiants du Royal Free Hospital de Londres :
« À moins qu’un spécialiste ne tienne son esprit ouvert largement à la philosophie de l’art médical, il en vient inévitablement à considérer tous les cas pathologiques du point de vue de
sa spécialité. Et plus que tous les autres le médecin qui se spécialise dans l’application d’un traitement doit se montrer sceptique envers sa spécialité sinon il regardera sa spécialité
comme une panacée et deviendra tout pareil au charlatan. »
(The Times, 20 oct. 1937).
Et René Dumesnil, en 1938 : « On ne nie pas que la spécialisation soit une nécessité. […] Il est sûr […] que cette nécessité n’est pas sans péril pour l’esprit. […] Quel est le bon
médecin ? Celui qui se trompe le moins. Quel est celui qui a

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moins de chance de se tromper ? Celui dont l’horizon est le
moins borné. »
2. – Une technologie toujours plus complexe. Certes, le
développement des techniques est passionnant pour les chercheurs, et apporte plus de confort dans la vie quotidienne. Mais
c’est aussi le règne des apprentis-sorciers.
Combien de médecins et de techniciens ont payé par de
graves brûlures leur ignorance des effets des rayons X dans les
premiers temps de leur expérimentation ? Ce n’est qu’un détail,
me rétorquera-t-on, qui appartient au passé et ne saurait masquer les immenses services rendus par la radiologie, notamment dans la régression spectaculaire de la tuberculose.
D’autant qu’une fois les inconvénients d’une technique connus,
on trouve leur remède et toutes les précautions sont prises. Soit.
Mais en attendant de connaître tous les effets secondaires d’une
technique – qu’elle soit chimique ou physique –, combien de
malades, combien de morts, combien d’altérations génétiques
irrémédiables ? Le fait est que, dans le domaine technologique,
mettant en œuvre des moyens de plus en plus puissants, on agit
le plus souvent avant de savoir. Quand on sait, c’est trop tard
pour les victimes. Quant aux moyens employés pour remédier
aux premiers inconvénients, ils se révèlent parfois, à la longue,
pires que le mal initial.
Prenons encore un exemple. On pratique aujourd’hui des
examens aux ultrasons2, réputés inoffensifs, notamment en
gynécologie-obstétrique. Mais que sait-on des effets des ultrasons sur le fœtus ? À peu près rien. Ce qu’on sait, par contre,
c’est que les ultrasons ne sont pas sans effet, puisqu’on com2

Note de 2017 : l’édition originale du livre parlait par erreur
d’« infrasons ». Nous avons donc ici corrigé en conséquence.

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mence à les utiliser en cancérologie, à l’instar de la radiothérapie...
Dans le domaine chimique, je ne ferai pas d’allusion à la
thalidomide : on me reprocherait encore la critique facile, dans
un combat d’arrière-garde. Par contre, puisque nous sommes
encore sur ce sujet en pleine bataille d’experts [en 1980], disons deux mots des œstrogènes (utilisés en contraception). Déclarés péremptoirement inoffensifs par les uns, les autres font
valoir que c’est l’ensemble du système psycho-endocrinien qui
se trouve artificiellement perturbé et avancent des effets secondaires notables dans le domaine cardio-vasculaire et en cancérologie, entre autres. Quant aux effets génétiques à long terme
des œstrogènes, il faudra attendre plusieurs générations pour,
éventuellement, les constater...
Les techniques, en soi, sont neutres. Elles peuvent rendre
d’incontestables services : le nier serait ridicule. Mais tout dépend de l’esprit dans lequel on les met en œuvre.
En 1920, Charles Nicolle, prix Nobel de médecine, prophétisait : « Le jour où le médecin n’aurait plus qu’à mettre en
mouvement des rouages et des machines, la médecine serait
plus dangereuse qu’utile. » Citons encore Dumesnil : « Aujourd’hui n’est-ce pas, la médecine est une science. Elle dispose de moyens sûrs, précis. Un médecin qui sait son métier est
comme un mécanicien qui sait le sien. […] Erreur détestable,
fruit, comme beaucoup d’autres erreurs de cette disparition de
l’esprit de finesse […]. » Et ce commentaire d’un praticien
britannique, le Dr Guirdham : « Il est un peu affolant qu’un
nombre considérable de personnes possédant une certaine culture et une certaine intelligence préfère la compagnie de praticiens non orthodoxes à la nôtre. C’est de notre faute jusqu’à un
certain point. Nous avons soumis pendant trop longtemps nos

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patients au régime du matérialisme dont les mécanismes sont si
métalliques que leur estomac ne peut plus le supporter.3 »
3. – Dans une science de laboratoire, la vie proprement
dite est insensiblement évacuée. La réalité vécue des êtres
humains ne peut être cernée ni sous le scalpel ni sous le microscope. Mais qu’à cela ne tienne, grâce aux sciences statistiques, le globe terrestre devient un immense laboratoire dont
nul ne peut échapper. La technocratie – médicale notamment –
ne s’intéresse pas à l’individu en tant que tel. À l’Est comme à
l’Ouest, elle se donne pour mission de gérer la « masse ».
La technocratie ne gère qu’un fantôme irréel : l’homo
statisticus, ni matériel ni spirituel... Dans un tel contexte, toutes
les décisions d’intérêt général sont prises sur le conseil
d’experts. Or, qu’est-ce qu’un expert ? C’est un spécialiste
(voir § 1), c’est à dire, très souvent et pour une large part, un
ignorant. (Ce qui amène, par syllogisme, à une conclusion pessimiste : plus la science se développe, plus le monde serait mené par des ignorants...)
Ce qui précède ne signifie pas qu’il n’existe pas quelques
scientifiques dignes de ce nom, conscients de leurs limites et de
leurs responsabilités, c’est-à-dire ayant l’esprit ouvert et un
« cœur » qui fonctionne encore... Notre propos n’est pas de
mettre en exergue l’exception heureuse, mais de mettre en évidence les pesanteurs ambiantes. Nous savons qu’il existe
d’autres voies et que la science authentique ne saurait être
comparée à ses caricatures.
Dans le domaine médical – en parlant de ce qui se passe
dans et pour la masse – à quoi assiste-t-on ? À une gabegie
sans précédent. Prenons une « précaution oratoire » : s’il est
3

Les facteurs cosmiques de la maladie, Fayard, 1974.

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vrai, selon l’adage, que « la critique est aisée, mais l’art difficile », il n’y a pas d’art digne de ce nom sans autocritique,
c’est-à-dire sans une certaine aspiration vers la perfection. Et
lorsque les tenants d’un art oublient de se poser des questions,
c’est fatalement de l’extérieur que viennent les rappels à
l’ordre.
Rappelons pour mémoire les travaux de chercheurs
comme Gunther Schwab4, Ivan Illich5, et bien d’autres, qui
tendent à démontrer de façon rigoureuse et convaincante que le
système médical actuel, tel qu’il se développe à travers le
globe, est non seulement inefficace, mais également pathogène.
Un corollaire s’impose : la médecine se révèle inutilement coûteuse.
Nous ne reviendrons pas sur ces analyses, supposées
connues, concernant les « abus thérapeutiques » : elles sortiraient par leur volume du cadre de cet ouvrage.
Ce ne sont pas seulement des chercheurs « marginaux »
qui parviennent à de telles conclusions. N’est-ce pas le médecin-chef de la Caisse nationale d’assurance-maladie, le Pr JeanCharles Sournia, qui faisait paraître en 1977 un livre intitulé
Ces malades qu’on fabrique, dans lequel il affirme que « notre
système de soin est inadapté à notre société » ? Quelques mois
plus tard, le Pr Sournia fut nommé directeur de la Santé, auprès
du ministre alors en exercice, Mme Veil... (magnifique promotion d’un « dangereux contestataire »... ).
Mais que la médecine soit inefficace ou pathogène, cela
n’émeut pas tellement les pouvoirs publics. Ce qui les émeut
4

La danse avec le diable [1963 au Vieux Colombier, 1969 au Courrier du
Livre], Les dernières cartes du diable [1968, au Courrier du Livre].
5

Némésis médicale : l’expropriation de la santé [1975, Le Seuil].

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beaucoup plus, c’est qu’elle soit coûteuse... Dès lors on ne reculera devant aucun sacrifice, tout en essayant de ménager de
puissants intérêts financiers.
Ce n’est pas le lieu ici de faire une analyse détaillée des
rapports entre l’argent (donc le pouvoir économique, et partant,
politique) et le système de santé. Mais ce rapport conditionne
bien des choses.
Il faut bien parler des industries pharmaceutiques.
L’objectif essentiel de toute entreprise moderne est d’être rentable. Dès lors, la fabrication et la diffusion des médicaments –
devenues une industrie et un négoce – n’échappent pas à cet
impératif. Il faut faire de l’argent, donc vendre du médicament6. De l’aveu même de leurs dirigeants, ces entreprises ne
sont pas des organisations philanthropiques.
Il faudrait bien aussi parler de l’irrésistible succès financier de certains « grands patrons » de la médecine. Et de leurs
rapports avec les industries pharmaceutiques, notamment en ce
qui concerne l’expérimentation de nouveaux médicaments et le
protocole d’obtention du visa et de l’autorisation de mise sur le
marché (A.M.M.) : nous aurons l’occasion d’y revenir.
Lorsqu’un médicament est mis sur le marché les médecins sont pris d’assaut par les visiteurs médicaux qui, nécessairement, pour « vanter » leurs produits, apportent une « information » à sens unique : celle qui est fournie par le laboratoire.
Quant à la presse médicale spécialisée elle est, pour l’essentiel,
financée par la publicité des industries pharmaceutique et, la
survie financière d’un organe de presse dépendant du bon vou6

Lire à ce sujet : Les trusts du médicament, de Charles Levinson (1974, Le
Seuil) et La mafia du médicament, de Jean Chenut, Jean Claude, Alain Vigier, Louis Dupuis et un collectif syndical des industries chimiques (1977,
Éditions Sociales, coll. « Notre Temps »).

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loir des annonceurs, il n’est pas question d’apporter une contreinformation qui puisse les peiner...
Quoi qu’il en soit, en fin de compte, c’est le médecin qui
prescrit les médicaments, souvent avec beaucoup de conscience et de bonne foi, en fonction de ce qu’il a appris, et aussi,
de ce qu’il a compris de lui-même... Puis, si le patient est assuré social, ce sont les Caisses qui remboursent tout ou partie du
traitement. Ce sont donc, en dernière analyse, les finances publiques, alimentées par le cotisant social, qui entretiennent les
industries du médicament. Or le budget de la Sécurité sociale,
en France, est supérieur à l’ensemble des autres dépenses publiques.
Maintenant citons deux chiffres, semblables, donnés à
deux ans d’intervalle :
Le journal Le Monde, 1er octobre 1976, titre : « Un débat
public aux Entretiens de Bichat : 40% des malades ne suivent
pas les prescriptions de leur médecin. »
Le Monde, 19 mai 1979 : « 40% des médicaments sont
gaspillés. Un rapport présenté au ministre de la Santé préconise
des mesures pour leur meilleur usage. »
Il y a donc les médicaments prescrits au cabinet médical.
Mais il y a aussi l’ensemble des dépenses – considérables – en
milieu hospitalier. En France comme ailleurs (le record étant
sans doute détenu par les États-Unis), on n’a jamais autant dépensé pour la santé. Et cela d’une part en pure perte, les techniques de soins mises en œuvre se révélant soit inefficaces soit
dangereuses, et d’autre part en gaspillage gratuit, si l’on ose
dire. Reste apparemment un tout petit pourcentage de dépenses
utilisées à bon escient. En mai 1978, au IVe Congrès de
l’industrie pharmaceutique européenne, Elie Shenour, président
de la société de Biosystems, affirmait que « plusieurs études
ont montré que 85 % des patients guérissent, qu’ils reçoivent
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ou non des soins médicaux – et que 15% seulement tirent un
réel bénéfice du traitement » .
Les pouvoirs publics, et c’est une donnée de notre civilisation, ne se préoccupent d’un problème que lorsqu’il
s’exprime sous forme de paramètres économiques. Les problèmes d’un malade en particulier ne les intéressent pas. L’État
ne s’intéresse pas non plus aux implications philosophiques
d’un système de santé. Mais il gère des fonds considérables et
se comporte à la façon d’une entreprise comme une autre, soucieuse avant tout de l’équilibre de son budget. La dimension
humaine n’apparaît pas dans un bilan de gestion. La notion de
"service public" se trouve alors réduite à une peau de chagrin.
Pour justifier ses choix économiques, l’État ne recule devant
aucun moyen, y compris celui d’une information déformée.
Par exemple, en France, on ressort régulièrement le
« serpent de mer » du déficit de la Sécurité sociale. Il y a régulièrement un « trou » de quelques milliards dans ses caisses.
Mais si l’on calcule les charges qui n’ont rien à voir avec la
santé (prestations diverses) additionnées du montant des dettes
des entreprises (arriéré de cotisations impayées), il n’y a pas, il
n’y a jamais eu de déficit de la Sécurité sociale7, si ce n’est
dans la rubrique des « créances douteuses ». Sans parler du
gaspillage pur et simple des médicaments remboursés mais non
consommés.
Cette mise au point étant faite, quel est le raisonnement
des dirigeants ? « Puisqu’il y a déficit de l’organisme chargé de
couvrir les frais de santé, c’est que l’on dépense trop... »
C’est ainsi, qu’en France, l’État a été amené à décider
7

[Note de 2017 : cette affirmation mériterait aujourd’hui d’être nuancée…
F.-X. C.]

20

autoritairement l’abaissement du coût de la santé. S’agit-il là de
l’idée monstrueuse d’un gestionnaire inhumain, ou bien de
l’aveu du constat d’échec d’un système de santé ? La question
reste posée.
Toujours est-il que dans le domaine économique, comme
dans le domaine médical – et l’analogie est significative – on
se contente de remèdes symptomatiques sans se préoccuper du
fond du problème, qui imposerait de revenir à une politique
de santé de bon sens.
Ainsi, dans un premier temps8, on a rayé des centaines de
médicaments de la liste des produits remboursables. Il
s’agissait, surtout, de médicaments dits « de confort » comme
les laxatifs (comme si un bon drainage intestinal n’était pas une
nécessité médicale de première importance !). Les dernières
mesures décidées sont : plafonnement autoritaire des dépenses
hospitalières, limitation des revenus des médecins, cotisations
sociales augmentées, remboursements limités : autant de « replâtrages » qui ne changent rien aux structures du système,
mais qui vont l’asphyxier à plus ou moins brève échéance.
La publicité des industries pharmaceutiques subira une
taxation supplémentaire (c’est le moins que l’on pouvait décemment faire) : mesure dérisoire, alors qu’il faudrait repenser
la question dans l’optique d’un « service public » au bénéfice
des malades.
La santé trop coûteuse ? Certes, mais à qui la faute ?
Qu’attend-on pour encourager officiellement une recherche sur
la prévention et les thérapeutiques légères – les moyens lourds
devant être réservés aux cas graves – méthodes qui auraient
davantage pour objectif le maintien de la santé plutôt que son
8

[Note de 2017 : Rappelons que ce texte date de 1990…]

21

rétablissement à grand frais ? La population – et les finances
publiques – n’y gagneraient-ils pas en fin de compte ?
La situation en France, comme ailleurs sans doute, est
nouée de telle façon que, plus on veut le réduire, plus on resserre le nœud. Jusqu’au jour où une cassure irrémédiable se
produira.
On pose la question : qui va payer ? Mais on oublie les
questions, autrement essentielles : Qu’est-ce que la santé ?
Qu’est-ce que la maladie ? Qu’est-ce qu’un thérapeute ? La
médecine, pour quoi faire ?

22

2.
« Restitutio ad integrum »
Revenons donc un peu aux notions d’étiologie et de thérapeutique, car c’est de l’idée que l’on se fait de la santé et des
origines de la maladie que dépendra l’idée que l’on se fait de la
médecine.
Si nous définissons la santé comme l’état normal d’un
individu en harmonie avec lui-même et avec son environnement, nous constatons que cet état se fait de plus en plus rare.
La notion d’harmonie n’est peut-être pas très scientifique. Mais ce terme est emprunté à la musique qui est, dans un
sens, aux mathématiques ce que la médecine est à la biologie :
un art utilisant les données d’une science. Si l’on veut poursuivre l’analogie, les nombres étant l’expression intellectuelle
de rapports d’énergie on pourra définir l’harmonie ou la santé
humaine comme un rapport d’énergies équilibrées sur les plans
biologique, physiologique et psychologique. Le mot technique
en est : homéostasie.
En suivant cette définition, on peut dire que la maladie
apparaît comme une rupture d’harmonie. Qu’est-ce que cela
signifie, et comment une telle rupture peut-elle advenir ?
L’être humain est, du point de vue biologique, comme
tout être vivant, une machine cybernétique où se produisent des
phénomènes d’échanges énergétiques et chimiques complexes,
qui ont la particularité d’agir de façon anti-entropique9 et permettant à l’organisme de croître, de se renouveler et de se re9

L’entropie est la tendance de l’énergie à se dégrader, jusqu’à l’inertie.
L’anti-entropie est la tendance dynamique inverse, contraire à l’entropie.

23

produire. Dans les conditions optimales, l’organisme remplit
parfaitement son rôle fonctionnel : il est d’ailleurs programmé
pour cela. Jusqu’au moment où intervient une perturbation.
Le plus petit dénominateur commun de toute forme vivante, c’est la cellule. La cellule est en biologie ce que l’atome
est en chimie. Elle est le matériau à partir duquel toute vie
s’organise mais il comporte en lui-même toutes les caractéristiques et les potentialités de la vie.
En schématisant à l’extrême, on peut dire que la cellule
est une petite machine vivante (un module cybernétique autoprogrammé),
réceptrice,
porteuse
et
transmetteuse
d’informations (programmes ADN et ARN), susceptible de se
nourrir et de se reproduire, et constituée essentiellement d’eau,
de quelques composés à base de carbone et... d’électricité (qui
est le ciment de sa cohésion physique).
Lorsque des cellules se multiplient et s’organisent entre
elles pour constituer un être vivant, et plus spécifiquement un
organisme animal ou humain, elles se diversifient qualitativement, se spécialisent pour former tissus et organes (spécificité
tissulaire), chacune jouant alors un rôle particulier dans le concert de la vie organique. On remarquera en particulier, dans la
vie animale, le « tissu » que constitue le sang, qui servira de
véhicule et d’agent d’échanges entre toutes les cellules de
l’organisme : d’autres cellules spécialisées, les cellules nerveuses, auront pour fonction de maintenir la cohésion psychomotrice de l’organisme. Ce sont les informations génétiques
contenues au cœur de la cellule qui forgeront les caractères de
l’espèce et de l’individu (spécificité d’espèce et spécificité individuelle).
Tout ce qui advient aux cellules influe sur la vie organique, et tout ce qui se passe au niveau organique se répercute

24

sur la cellule. En soi, la cellule est essentiellement instable,
même si son moule formel semble permanent : petit « paquet
d’énergies » physico-chimiques, elle entretient un courant continuel d’échanges avec son environnement.
De même, et a fortiori, l’organisme – dont la forme paraît stable – est animé d’une perpétuelle activité, où chaque
organe joue son rôle pour la survie dans le milieu ambiant. Car
il n’est pas de vie sans milieu : l’organisme vivant est luimême immergé dans un « bain » physico-chimique, voire psychique, dont il dépend et à l’activité duquel il participe.
Si l’organisme se meut et se nourrit au sein de substances
solides, liquides et gazeuses, la part des rayonnements électromagnétiques dans l’environnement est essentielle, à commencer par celle de la lumière solaire (qui permet la photosynthèse). Et à partir du moment où se développe un début de sensibilité et de conscience, apparaît également la dimension psychique, qui jouera un rôle non négligeable dans les phénomènes de la vie.
Dans un ensemble aussi complexe (esquissé ici en
quelques grandes lignes schématiques et insuffisantes), où tout
semble être régulé dans un parfait équilibre d’ensemble, il est
peut-être statistiquement inévitable qu’apparaissent, ça et là des
perturbations. La perturbation, ce n’est pas seulement
l’événement extérieur, imprévu, qui remet en cause le système
d’autorégulation et de survie d’un organisme donné et met en
jeu ses facultés d’adaptation et de défense, mais c’est aussi
l’accident interne, peut-être inhérent au fonctionnement de
l’organisme (par exemple, le phénomène de vieillissement).
Passons rapidement en revue les principales sources de
perturbation possibles :
– traumatisme physique (choc, amputation) ;

25

– agression chimique (par contact ou ingestion : brûlure,
empoisonnement etc.) ;
– agression biologique (parasitage, infection microbienne) ;
– effets de rayonnements (brûlures, irradiations) ;
– autoperturbation d’origine génétique (vulnérabilité ou
malformation congénitale) ;
– traumatisme psychique (stress) ;
– auto-agression psychique (pensées, sentiments, comportements « négatifs »).
(On sait combien le psychique influe sur le métabolique,
notamment par l’intermédiaire du système neuro-endocrinien,
pouvant entraîner des perturbations fonctionnelles, voire, dans
des cas extrêmes, de véritables lésions.)
Ces différents facteurs de troubles peuvent évidemment
se combiner entre eux, ils déterminent divers degrés de la santé : il est évident, par exemple, qu’un organisme déjà affaibli
supportera moins facilement de nouvelles agressions.
À une agression, de quelque ordre que se soit, sauf s’il a
déjà épuisé toutes ses ressources, l’organisme vivant va réagir
et se défendre. L’agression rompt l’équilibre, l’harmonie organique. Mais elle entraîne en même temps la mise en œuvre
des défenses de l’organisme : le symptôme (signature de la
maladie) est précisément le moyen qu’il utilise pour conserver
ou rétablir son équilibre (exemple notoire : la fièvre). On arrive
à ce paradoxe que, dans un certain sens, les signes de la maladie sont signes de santé. Tant que l’organisme réagit, c’est qu’il
y a de la vie, et tant qu’il y a de la vie, l’organisme se défend...
Dans une vision globale – écologique, dirons-nous – des
phénomènes de la vie, agression et défense sont intriquement
mêlés. Les perturbations font aussi partie d’une harmonie

26

d’ensemble plus vaste. C’est pourquoi, dans une médecine respectueuse de la vie, il faut d’abord comprendre les raisons
d’une perturbation, pour éventuellement en corriger les effets
désagréables – plutôt que de vouloir à tout prix faire disparaître
les symptômes, sans se soucier de savoir d’où ils viennent et
où ils vont...
Ainsi donc, la médecine aura pour objectif d’aider
l’organisme à retrouver son intégrité, son harmonie, là où elles
semblent perturbées, sans perdre de vue que la perturbation
elle-même peut être l’effet de délicats mécanismes
d’autorégulation psycho-physiologiques qu’il convient de
comprendre, de respecter et d’aider.
Le diagnostic ne signifiera donc plus seulement nommer
la maladie, mais en comprendre les causes profondes par la
lecture des signes que constituent les symptômes et qui racontent l’histoire organique du malade. Et la thérapeutique devra
être le « coup de pouce » donné à l’organisme pour s’aider luimême sans introduire de nouvelles perturbations artificielles
(iatrogéniques). Il va de soi que plus le diagnostic sera précis,
clair et pénétrant, plus la thérapeutique s’imposera d’ellemême.
Nous venons de donner ici la définition d’une médecine
de terrain, qui devrait être à la fois une médecine préventive
d’entretien de la santé, et une médecine de soins courants,
réduisant au minimum tout risque d’aggravation des troubles,
voire de crise aiguë, et renforçant progressivement les capacités de défense de l’organisme.
Nous pourrions appeler une telle médecine de terrain une
médecine étiologique, par opposition à une médecine symptomatique, à réserver, comme la traumatologie, aux cas
aigus d’urgence.
L’allopathie (médecine des « contraires ») couramment

27

pratiquée fait intervenir l’apport de substances médicamenteuses qui modifient, et parfois bouleversent, le processus physiologique : l’effet de ces substances étant supposé connu, elles
sont utilisables dans des cas précis, d’où leur facilité apparente
d’emploi. Néanmoins, l’allopathie présente au moins deux inconvénients : d’une part les médicaments utilisés présentent,
presque toujours des effets secondaires indésirables et d’autre
part, ils ne participent éventuellement à la restauration de
l’organisme que de façon négative. Dans le meilleur des cas,
après avoir fait face à une crise ils laissent l’organisme dans
l’état où il se trouvait ou même, en général, plutôt affaibli. Ils
ont donc plutôt une action involutive, dans le sens de
l’entropie, contraire au dynamisme propre de la vie. C’est
pourquoi, parallèlement à toute intervention exceptionnelle
allopathique justifiée – ou traumatologique (chirurgie) – une
thérapeutique de terrain à long terme s’impose.
Il est évident que la première thérapeutique de ce type,
quand elle est possible, est le changement du mode de vie du
malade – ce qui implique probablement une forme de psychothérapie et une prise en charge du sujet par lui-même. Au demeurant, aucune thérapeutique n’est efficace à 100 % chez un
malade qui, ne change rien à sa vie. Sans doute rares sont les
sujets capables d’un tel retour sur eux-mêmes, qui rendrait, à la
longue, mutile tout recours au praticien10… En attendant, celuici usera des moyens, biologiques ou physiques, qui sont à sa
disposition pour aider l’organisme à retrouver sa pleine intégrité, ou du moins, une intégrité nécessaire et suffisante au maintien d’une vie normale et satisfaisante.
L’arsenal des moyens thérapeutiques non iatrogènes qui
10

Les ressources de l’être humain, en matière d’autoguérison, sont considérables, bien qu’encore mal explorées par la science.

28

ont pour objectif la restauration biologique, organique et fonctionnelle est déjà considérable,
Le premier moyen est la diététique, selon l’adage
d’Hippocrate : « Que l’aliment soit ta seule médecine », avec
son corollaire : la cure de jeûne, un des rares moyens qui puisse
venir à bout de la plupart des maladies dites incurables (à
commencer par le rhume de cerveau...).
Puis vient l’apport de substances qui viennent compenser
les déficiences cellulaires : sels biochimiques de Schussler,
oligoéléments, etc., qui constituent une forme de micronourriture.
D’autres thérapeutiques agissent, plus subtilement encore, au niveau du fonctionnement énergétique, physicochimique, des cellules et des organes : homéopathie, phytothérapie11, aromathérapie etc. Avec l’homéopathie apparaît déjà la
notion d’une immunothérapie au niveau moléculaire.
En agissant sur le fonctionnement de la cellule, au niveau
de son énergie intrinsèque, on obtient déjà un effet global sur
l’homéostasie. Une autre approche est celle de l’acupuncture,
qui agit sur l’énergie « circulante », avec un effet régulateur sur
les processus physiologiques.
Citons également pour mémoire, l’ensemble des thérapeutiques dites « physiques » : manipulations vertébrales, massages, hydrothérapie, saunas etc.
Enfin les divers types de psychothérapie ont une place de
choix dans la mesure où un nombre croissant de maladies se
révèlent en dernière analyse, d’origine psychique.
Le moins que l’on puisse dire – et nous n’avons pas tout
cité – est que les moyens d’agir, en dehors de l’allopathie, ne
11

La phytothérapie, selon le dosage, peut s’apparenter à l’allopathie comme
à l’homéopathie. On utilise en allopathie des extraits actifs de plantes médicinales.

29

manquent pas, en vue de restaurer l’organisme par la synergie
des fonctions organiques.
Fait curieux, et significatif, contrairement à l’allopathie
qui vise la suppression des symptômes, les thérapeutiques fondamentales qui agissent directement sur le terrain, c’est-à-dire
sur la structure biologique ou psychologique du patient, ont
tendance, dans un premier temps, à faire ressortir à la surface
des symptômes anciens, autant de manifestations d’élimination
d’une maladie qui, même oubliée, n’était pas vraiment guérie...
Qui dit agression, dit défense. Apparaît alors la notion
d’immunité, c’est-à-dire la faculté de l’organisme à se défendre contre les agressions. L’étude et la mise en œuvre des
moyens de défense, innés ou acquis, font l’objet de
l’immunologie, une science en plein devenir.
Depuis les succès des vaccinations de Jenner et surtout
depuis les travaux de Pasteur et de Metchnikoff, les termes
immunité et immunologie avaient pris un sens très particulier :
le principal – sinon unique – agresseur était le « microbe »,
germe ou virus. Ainsi, les phagocytes (globules blancs du sang)
et les anticorps étaient-ils mobilisés dans une guerre totale
contre les microbes, considérés comme responsables de toutes
les maladies infectieuses et contagieuses. D’où le développement d’une stratégie thérapeutique qui s’apparentait à la stratégie tout court : « Sus à l’ennemi ! ». Les vaccins et sérums antimicrobiens ont eu dans nombre de cas, une efficacité incontestable. Néanmoins : une notion nouvelle et récente en biologie tend à remettre en question la responsabilité microbienne :
les microbes seraient peut-être davantage les témoins d’une
maladie plutôt que leurs causes. Il se pourrait que l’efficacité
des thérapeutiques immunologiques et antimicrobiennes ne soit
pas due au mécanisme simple que l’on tenait pour vrai jusqu’à

30

présent. Il se pourrait notamment que l’activité d’un vaccin soit
finalement assez analogue à celle de la thérapie « par le semblable » qu’est l’homéopathie : contre le mal, on inculque le
même mal, soit sous forme de germes non virulents (agissant
au niveau des particules biologiques), soit sous forme diluée
(agissant au niveau moléculaire), pour susciter la défense de
l’organisme : le processus est schématiquement le même, bien
que les doses massives utilisées dans les vaccins rendent leur
usage systématique dangereux.
La réaction immunitaire est un processus encore mal expliqué. Comme reste inexpliquée l’efficacité immunologique
du vaccin B.C.G. en cancérologie bien que l’on connaisse depuis longtemps le phénomène d’antagonisme de maladies qui
peuvent n’avoir aucune ressemblance ni aucun rapport apparent12. Loin d’être toujours « agresseurs » (ou bien grâce à leur
activité immunostimulante) les microbes sont apparus souvent
comme bienfaisants, voire indispensables à la santé.
Dans la lignée pasteurienne, on a beaucoup étudié le microbe (qui pourtant « n’est rien » disait Claude Bernard) et les
moyens de le détruire (stérilisation, antibiothérapie), mais on a
beaucoup négligé le terrain (qui pourtant « est tout »). Mais
l’importance du terrain n’est pas une idée nouvelle.
Lorsque Pettenkofer, en 1892, et Metchnikoff après lui,
avalent un plein tube à essai de germes de choléra, et continuent à se porter comme des charmes, il est alors évident que le
microbe n’explique pas tout – et, probablement, n’explique-t-il
rien. C’est probablement aussi une fausse idée du microbe qui
12

En 1926, le Dr Cabanès faisait déjà l’inventaire d’un certain nombres
d’antagonismes: paludisme - paralysie, furoncle - diphtérie, vaccine - vérole, pseudogale (dermatoses) - rachitisme, asthme - tuberculose, typhoïde paludisme, phtisie - tuberculose…

31

a permis les excès d’une antibiothérapie à outrance, véritable
hérésie médicale, où la thérapeutique devient plus agressive
que le supposé agresseur : il est possible que l’on découvre un
jour que l’antibiothérapie est plus efficace – dans les cas heureux – par les réactions organiques qu’elle suscite que par
l’action directe de destruction des germes... En témoigne
l’extraordinaire faculté d’adaptation des germes qui résistent à
doses de plus en plus massives d’antibiotiques – de même que,
dans un ordre différent, mais analogue, les insectes s’adaptent
et résistent à une variété et à des doses de plus en plus grandes
de substances chimiques insecticides.
On sait maintenant, de façon claire, que la conception
pasteurienne de l’étiologie, pour importante qu’elle soit dans
l’histoire de la médecine, est loin d’être complète, ni suffisante.
Elle s’inscrit dans une phénoménologie des réponses immunitaires beaucoup plus vaste, dont l’exploration se poursuit aujourd’hui13.
Avec la découverte des groupes sanguins – puis, celle des
« groupes cellulaires » – on est parvenu à la notion de spécificité individuelle, décisive pour les transfusions sanguines et les
13

C’est dans ce contexte que se développent les recherches sur les drogues à
visée immunodépressive ou immunosuppressive – particulièrement utilisées
dans le traitement de maladies dégénératives et dans les allergies (dues à
l’excès [?] de protection immunitaire). Ces drogues ont pour effet d’affaiblir
ou de supprimer certains effets du système de défense de l’organisme, soit
que l’on attribue à ces défenses l’étiologie de la maladie, soit que l’on
veuille permettre à l’organisme de supporter d’autres traitements qui seraient mal tolérés. Mais il y a un danger certain à vouloir donner simultanément des médicaments dangereux en soi et empêcher l’organisme de se
défendre contre eux... La recherche se contente donc, trop souvent, de la
facilité (non dans les moyens mis en œuvre, mais dans la logique) : il est
plus facile de supprimer les défenses immunitaires que de les restaurer.
Notons qu’il existe également des drogues immunostimulantes, aux effets
plus positifs.

32

transplantations d’organes. Mais d’autre part, le problème du
rejet des greffes a notamment confirmé le fait que toute cellule
est un antigène en puissance, c’est-à-dire susceptible, à
l’instar des microbes, de susciter l’anticorps correspondant. Et,
inversement, l’anticorps, qu’il soit produit de l’organisme ou
introduit de l’extérieur, agit directement sur l’antigène correspondant (cellule-cible).
L’immunologie apparaît devoir être considérée à l’avenir
comme une science globale des défenses de l’organisme au
niveau cellulaire. Cette science devrait même peut-être
s’élargir aux problèmes de nutrition et à l’ensemble des
échanges physico-chimiques entre l’être vivant et son environnement, y compris l’environnement des rayonnements électromagnétiques.
Sur la nutrition, on connaît déjà l’importance du lait maternel des premiers jours, qui contient des anticorps utiles à la
défense organique de l’enfant. Outre le fait que l’alimentation
est globalement et étroitement liée aux problèmes de la survie
biologique et de l’adaptation au milieu, on pourrait aller plus
loin : l’ingestion d’aliments, dans un certain sens, est analogue
à une agression d’éléments extérieurs. L’organisme en assimile
une part, mais en élimine la plus grande part. Et les substances
organiques ingérées ne sont pas biologiquement « neutres » :
elles transmettent à l’organisme récepteur des traces de mémoire organique macromoléculaire14, aussi bien d’ailleurs
14

Ce fait fut notamment mis en évidence par les expériences conduites sur
les vers Tigrina, par Witerbeer, Jennings, Mc Connel. Les planaires cannibales ayant absorbé leurs congénères acquéraient du même coup les comportements acquis de ces dernières. On évoque ici, irrésistiblement, le comportement cannibale dans certaines tribus primitives, où les organes d’un
défunt étaient absorbés pour « en acquérir la force ». Ceci est à rapprocher
encore de diverses recettes magiques médiévales, où entrent des ingrédients
organiques, animaux ou humains, réputés renforcer des fonctions corres-

33

qu’une mémoire physico-chimique micromoléculaire, voire
électronique. Or, on sait que les mécanismes immunologiques
sont étroitement liés à la « mémoire » cellulaire (inscrite notamment dans son code ARN-ADN).
Quant aux rayonnements électromagnétiques, leur influence, notamment mutagène, sur les ARN-ADN étant de plus
en plus évidente, ils jouent certainement un rôle, non seulement
dans l’ensemble des processus métaboliques en général (voir,
notamment, l’importance de la lumière solaire), mais sur les
processus immunologiques en particulier. Les ondes hertziennes et les rayonnements ionisants (même diffus), qui se
répandent toujours plus dans notre environnement moderne,
ont certainement des effets plus ou moins méconnus sur les
êtres vivants. Comment les organismes se défendent-ils contre
de telles agressions : voilà une voie de recherche encore inexplorée – mais sans doute essentielle – pour les immunologues.
Un mot encore, sur le sang. Remarquons l’importance
primordiale du sang qui est (avec la lymphe) le véhicule de
toutes les substances qui entrent en jeu dans les processus biologiques, et donc dans les processus immunologiques : les sérums, comme les vaccins, sont tirés du sang et il est probable
qu’il en sera de même dans l’avenir (car il est peu probable que
l’on fabrique des microbes ou des anticorps synthétiques avant
que l’on sache « créer » la vie... ). Il est curieux de constater
que, dans le domaine de la recherche immunologique, on ne
pondantes chez l’ingérant. Les sorciers avaient-ils donc une connaissance
empirique de l’immunostimulation spécifique ? Par ailleurs, sur un registre
supérieur, dans la mesure où les substances ingérées par l’alimentation se
révèleraient avoir des effets spécifiques sur tel organe ou groupe d’organes,
se trouverait alors confirmée l’intuition de l’ancienne théorie des « signatures » et « correspondances » dans la médecine spagyrique.

34

cherche rien d’autre qu’à reconstituer ce que les anciens alchimistes et spagyristes appelaient « médecine universelle » ou
« sérum de longévité » et qu’ils pensaient pouvoir obtenir soit
par extraction de principes « vitaux » du sang – auxquels ils
accordaient un pouvoir régénérateur – soit par une transformation qualitative du plasma sanguin.
Les voies de la recherche, en science comme en médecine, prennent parfois d’étranges détours. Il arrive parfois,
qu’après bien des errements, l’on revienne à des notions connues depuis longtemps, exprimées dans certaines philosophies
antiques, ou conformes à une sorte de sagesse naturelle intuitive15. « Chassez le naturel, il revient au galop. » Même la recherche la plus sophistiquée n’échappe pas à cet adage.
J’en prendrai pour exemple, dans le domaine biologique,
la redécouverte des rythmes – notion essentielle chez Hippocrate, comme dans les médecines chinoise ou ayurvédique. Une
nouvelle science est née : la chronobiologie, avec, pour application pratique en médecine, une chronopharmacologie (qui
montre notamment comment un même médicament peut avoir
des effets différents, même contradictoires, selon l’heure de la
journée où il est absorbé par un même malade).
De même, toujours dans le domaine pharmacologique, on
redécouvre que des substances fabriquées en laboratoire (molécules de synthèse) ne sont pas aussi bien tolérées et assimilées
par l’organisme vivant que s’il s’agit des mêmes substances
fabriquées par la nature : et l’on en vient, en laboratoire, à vouloir imiter les processus biologique de fabrication des molécules...
15

Cette nouvelle tendance n'étonnera pas à l'heure où les physiciens euxmêmes, sans crier gare, se redécouvrent métaphysiciens par la seule vertu
de la logique mathématique...

35

Ainsi on assiste insensiblement à une remise en question
de toutes sortes de notion que l’on croyait acquises. Et simultanément, la recherche s’ouvre sur de plus vastes horizons.
J’en prends pour témoin et pour exemple, les travaux du
e
IV Congrès de l’industrie pharmaceutique européenne qui eut
lieu en 1978, reflétés par un article du journal Le Matin (23 mai
1978), sous le titre : « L’industrie pharmaceutique à la recherche de son second souffle. Les nouveaux médicaments de
la révolution biologique ».
Cet article exposait ce constat : 1. les maladies infectieuses sont quasiment vaincues (du moins en théorie, et peu à
peu en pratique) ; 2. on ne sait pas guérir les maladies dégénératives (faute d’en connaître mieux le mécanisme) ; 3. les médicaments sont inutiles (voire nuisibles) dans 85 % des cas.
Est-ce un constat d’échec ? La pharmacologie aurait-elle
atteint une impasse ? L’échec, s’il existe pour une part, n’est
pas avoué. Mais l’impasse semble devoir et pouvoir être surmontée.
Le Pr Claude Dreux, qui enseigne [en 1980] la biochimie
à l’université René-Descartes de Paris, expliquait au Matin :
« Une révolution biologique est en route. De nouvelles techniques nous permettent d’atteindre le niveau cellulaire ou moléculaire et de découvrir les mécanismes intimes de la maladie.
L’avenir est aux médicaments faits sur mesure, copiés sur les
substances-mêmes du corps humain, dirigés sur les cellules qui
en ont besoin. Des médicaments qui seront à la fois plus efficaces, plus spécifiques et qui provoqueront donc moins d’effets
secondaires désagréables ou dangereux. (C’est nous qui soulignons). « [...] La compréhension de plus en plus poussée des
phénomènes chimiques de l’organisme doit permettre de mieux
corriger leurs dérèglements. La découverte des récepteurs, ces
structures moléculaires qui diffèrent selon les cellules et fixent

36

certaines substances, nous fait envisager des médicaments spécifiques, dirigés vers les cellules-cibles, Enfin, les progrès de
l’immunologie permettront d’inciter l’organisme à se défendre
lui-même contre les agressions. » (C’est toujours nous qui soulignons.)
L’auteur de l’article, Marie-Ange d’Adler, conclut :
« Pour mettre au point ces médicaments “sur mesure”, il faudra
une bonne dose de recherche et de génie biologique : la seule
voie qui s’ouvre à l’industrie pharmaceutique est une porte
étroite. » On ne saurait mieux dire.
Avec un petit effort supplémentaire, on associera les notions de « remède biologique », de « substances spécifiques »
(« faites sur mesure », « copiées sur celles du corps humain »,
« dirigées vers des cellules-cible »), et d’« immunologie ». On
aura alors inventé une immunologie tissulaire spécifique à base
de molécules biologiques.
Mais au fait! L’immunologie tissulaire spécifique – qui
pourrait bien devenir le nec plus ultra de la recherche pharmacologique envisagée pour demain ou après-demain – n’existe-telle pas depuis quarante ans ? La sérocytologie du Dr Jean
Thomas ne répond-elle pas à cette définition ? Alors comment
se fait-il que ses travaux ainsi que ceux d’autres chercheurs
ayant œuvré dans le même sens, restent ignorés du monde médical ?
Comme la plupart des pionniers, le Dr Thomas aura sans
doute eu tort d’avoir eu raison trop tôt – et surtout, faute impardonnable, raison contre les dogmes et la hiérarchie scientifiques en place à l’époque de ses découvertes.

37

3.
Le feu aux poudres...
Maintenant que le lecteur a eu l’indulgence de
suivre jusqu’ici les développements qui précèdent – et
qui vont trouver dans le présent chapitre leur justification
– qu’il me permette une légère digression.
Je ne suis ni médecin ni scientifique. Je ne suis que
citoyen d’un pays jadis réputé pour être celui de la liberté, philosophe amateur, écrivain et journaliste professionnel, ayant réfléchi, par métier mais aussi par nécessité privée, sur les problèmes de la médecine. (Je laisse aux
« vrais » scientifiques, aux « vrais » médecins et aux
« vrais » philosophes le soin d’apprécier si les réflexions
d’un béotien peuvent avoir quelque valeur...)
Je suis aussi, comme tout un chacun, un « consommateur ». Et je n’aime pas que des professionnels du
consumérisme (ou des politiciens) viennent me dire ce
qui est bon pour moi. Et je n’aime pas que l’on veuille
faire mon bonheur malgré moi, en usant d’arguments qui
vont à l’encontre de ce que j’estime être mon bien et mon
intérêt.
Circonstance aggravante, je me fais, naïvement
sans doute, une certaine idée du rôle de la presse – une
idée constamment démentie par les faits, ce qui ne
m’empêche pas de persévérer...
Il me semble que le rôle du journaliste devrait consister d’abord à s’informer lui-même (tâche souvent ingrate), à transmettre l’information (petite ou grande) le
plus honnêtement possible, à réfléchir sur les événements
et parfois même, à créer les événements (exemple : le

38

Watergate) selon l’idée qu’il se fait, en toute sincérité, du
bien public.
Le journaliste a ceci de commun avec les scientifiques qu’il est censé contribuer à la recherche et à
l’expression de la vérité, dans tous les aspects qui lui sont
accessibles. Il intervient donc dans l’élaboration globale
de la vie culturelle et sociale de la civilisation. C’est dire
combien il devrait, plus que tout autre, faire preuve de
scrupules, de droiture et d’honnêteté intellectuelle. Car
c’est précisément au niveau de la transmission d’une information que le jeu peut être faussé, la vérité biaisée,
avec les conséquences incalculables que cela entraîne.
On passe d’autant plus facilement de l’information à la
déformation que les « consommateurs » de médias en
sont, pour la plupart, réduits à absorber ce qu’on leur
présente, sans grandes possibilités de contrôle et
d’appréciation.
Mais j’en viens aux faits qui ont motivé ce livre.
Il y a plus de dix ans, j’ai fait connaissance avec la
sérocytothérapie – dont j’ai moi-même expérimenté les
bienfaits – par l’intermédiaire de mon ami le regretté
Dr Pierre Egg. Le temps est passé, la vie a suivi son
cours. Puis, le destin m’ayant propulsé dans la sphère du
journalisme médical, il m’était venu l’idée, vers noël
1977, de préparer une série d’articles sur cette thérapeutique méconnue, qui me paraissait mériter une plus
grande notoriété. En prenant contact avec le Laboratoire
de Sérocytologie de Lausanne, je ne savais pas, à cette
époque, que j’avais mis les pieds dans une poudrière...
qui devait exploser seize mois plus tard.
Mes articles n’étaient pas encore parus lorsque le
feu fut mis aux poudres par la revue 50 millions de con-

39

sommateurs dans un retentissant brûlot, sous le titre
« Les escrocs du Sérocytol » – aussitôt repris par toute la
presse écrite et parlée, à grand fracas, comme si une sorte
de psychose collective s’était emparée des médias – tous
les journalistes fonçant tête baissée dans les accusations
contre le Sérocytol et ses prescripteurs, sans procéder à la
moindre vérification d’usage... On avait l’impression
qu’un mot d’ordre avait été donné : il fallait à tout prix
créer, dans le grand public, une image du Sérocytol qui
soit définitivement associée à l’escroquerie. On ne lésina
pas sur les moyens. Le journal La Suisse (22 mars 1979)
devait remarquer : « La campagne lancée contre le Sérocytol [...] est un bon exemple de l’orchestration accélérée
que permet l’audiovisuel dans un pays centralisé. »
Moi qui voulais faire connaître la sérocytologie,
j’étais gâté. Tout le monde en parlait. Mais, malheureusement, uniquement pour démolir. Il n’y eut que des témoins à charge. Les témoins à décharge ne furent pas
invités à la télévision et, lors d’une émission radio en
direct sur le sujet, on censura tous les appels d’auditeurs
qui voulaient présenter des arguments sérieux en faveur
de cette thérapeutique.
Le tissu de mensonges fut tellement bien serré qu’il
ne restait plus, pour ceux que la vérité préoccupe, que le
découragement ou la tâche harassante d’une réfutation
systématique. Comme on ne pouvait pas se taire, il a fallu
se mettre à l’œuvre...
Rien ne ressemble plus à la vérité qu’un mensonge
habilement construit. Heureusement, il y a toujours une
faille quelque part et, dans le cas présent, la faille était
énorme : elle résidait dans l’ignorance profonde des accusateurs du Sérocytol, qui ne s’étaient même pas donné

40

la peine d’étudier la question à fond et ne savaient pas de
quoi ils parlaient. Car s’ils avaient su, ils auraient tenu un
tout autre langage.
À dire vrai, leur prose n’aurait mérité qu’un grand
éclat de rire – et un prompt oubli – si l’« affaire » n’avait
pris de telles proportions. Désormais, l’ « affaire Sérocytol » appartient à l’Histoire, et en particulier à l’histoire
de la recherche biomédicale. Elle présente, au-delà des
contingences de l’actualité immédiate, des aspects tellement exemplaires, qu’ils méritent qu’on s’y arrête un
peu.
Donc, le mensuel 50 millions de consommateurs,
organe de l’Institut national de consommation (INC),
profitant de l’inauguration, devant toute la presse, des
nouveaux locaux modernes de l’INC, en présence de son
ministre de tutelle16, présente son centième numéro
(d’avril 1979), le premier d’une nouvelle série. Dans ce
numéro, un article « vedette » : « Les escrocs du Sérocytol », signé d’un certain Hubert Schilling, avec pour
complément une diatribe signée du professeur agrégé
Jean-Paul Escande : « Nous demandons des comptes ».
Eh bien ! ces comptes, nous les tenons à sa disposition...

16

Au cours de cette cérémonie, à l’usage de la grande presse, le
ministre de l’Économie, M. Monory, rend un hommage à l’INC,
« maillon indispensable » à l’édification d’une « société de responsabilité ». On a, à l’INC, une curieuse notion de la responsabilité :
plusieurs de ses administrateurs, représentants d’associations de
consommateurs, n’étaient même pas au courant du contenu de ce n°
100... Responsabilité sans concertation des responsables ? Cela
s’appelle abus de confiance.

41

« Les escrocs du Sérocytol »
« Contrebande, fraude, charlatanisme. Incroyable
escroquerie à la santé. C’est la “spécialité” d’un médicament anticancer, fabriqué en Suisse et dont la vente n’est
pas autorisée en France. Preuves à l’appui, “50” dénonce
le scandale. »
Le ton est donné, dès l’introduction, qui ne comporte pas moins de deux erreurs :
1. Le Sérocytol n’est pas un médicament anticancer, pour la bonne raison que ce n’est pas un médicament mais une méthode thérapeutique, fondée sur
l’utilisation de divers types de sérums tissulaires spécifiques, non seulement en fonction de la maladie mais
surtout en fonction des organes mis en cause dans
l’étiologie de cette maladie.
2. Cinq sortes de Sérocytols sont vendus légalement en France et remboursés pas la Sécurité sociale
[en 1980], sous un autre nom : les Spécytons.
Selon l’article, le Sérocytol « soigne toutes les maladies » – « toutes, y compris le cancer », laissant entendre, dans un premier temps, qu’un seul produit est
utilisé pour soigner toutes les affections. Si le rédacteur
de l’article avait eu un peu plus de culture, il n’aurait pas
manqué de faire allusion à la « thériaque », remède universel qui, de Néron à Claude Bernard, figurait jadis dans
toutes les pharmacopées. Il est facile de mettre les rieurs
de son côté en évoquant un médicament miracle qui
soigne toutes les maladies. Mais il n’est pas honnête
d’omettre d’expliquer de quoi il s’agit.
« Pour ·bien comprendre l’affaire, poursuit « 50 »,
il faut savoir que ce médicament ne peut être importé en

42

France. Car le laboratoire suisse17 qui le fabrique n’a jamais sollicité l’autorisation de mise sur le marché
[A.M.M.] nécessaire. [...] Tout laisse croire que si pareille demande avait été faite... elle aurait été refusée. »
Le rédacteur pèche ici soit par ignorance, soit par
omission volontaire. Le créateur de la sérocytologie, le
Dr Jean Thomas – avant de s’exiler en Suisse, suite à
divers avatars, pour y poursuivre son œuvre – a créé en
France les premiers Sérocytols (les Spécytons), en collaboration avec le pharmacien Michel Robilliart, dès 1949,
le plus légalement du monde. Aujourd’hui [en 1980],
cinq spécialités sont vendues et remboursées : « cerveaumoelle », « cartilage parathyroïde », « histamine », « visioglobine » et « embryoglobine »18.
Lorsque le Dr Thomas a quitté la France pour créer
en Suisse, en association avec la société Repurol’s, un
laboratoire de Sérocytologie, il passa en 1958 un contrat
de non-concurrence avec Robilliart : les Spécytons ne
seraient pas vendus en Suisse et les Sérocytols fabriqués
17

Le rédacteur de l’article n’a pas osé pousser la dérision jusqu’à
parler d’officine [au sens péjoratif] au lieu de laboratoire. Il a eu tort,
car il faut être logique : un laboratoire qui fabrique un « pseudomédicament » ne saurait être qu’un « pseudolaboratoire ».
18

On a prétendu, depuis, qu’on ne pouvait comparer Sérocytol et
Spécyton, le procédé de fabrication étant différent. Dans les Spécytons, il existe deux procédés de fabrication : le « cerveau-moelle »
représente un plasma complet ; les autres produits sont fractionnés
(désalbuminisés), seules les gammaglobulines étant conservées. Les
Sérocytols sont des sérums entiers (le Laboratoire de Sérocytologie
met actuellement au point des sérums également désalbuminisés,
afin de ne conserver que les seuls produits actifs). Dans les deux cas,
le principe du sérum tissulaire est le même, et créé par le même
homme, le Dr Thomas.

43

en Suisse ne seraient pas vendus en France. (De plus, les
laboratoires Robilliart continuaient à verser des royalties
au Dr Thomas, créateur des Spécytons19).
Ainsi, et c’est un simple point de droit commercial,
le Laboratoire de Sérocytologie n’avait pas à demander
l’A.M.M. en France, puisqu’il n’était pas censé y distribuer sa production.
Pour mieux jeter le discrédit sur l’inventeur des Sérocytols, le rédacteur de « 50 » rappelle que le
Dr Thomas est « diplômé de médecine de la faculté... de
Carthagène, en Colombie. Un titre qui ne lui donne aucun
droit d’équivalence l’autorisant à exercer en France, ni
comme médecin, ni comme pharmacien ». Et de rappeler
les poursuites judiciaires dont il fut l’objet en France, en
1968 et 1970 « pour exercice illégal de la médecine et de
la pharmacie ». « 50 » oublie de préciser que le
Dr Thomas occupa la chaire d’anatomo-pathologie de
l’université de Carthagène et qu’il fut nommé plus tard
chef du laboratoire du Sacred Heart Hospital à Shanghai,
ce qui démontrerait à l’évidence son incompétence, n’estce pas...
La question du diplôme et des droits reconnus par
la loi française n’ont rien à voir avec la compétence
scientifique. Déjà, la Révolution française guillotinait
Lavoisier parce que « la République n’a pas besoin de
savants ».
Il est vrai que les médecins ayant des diplômes
étrangers n’ont pas le droit – sauf convention spéciale –
d’exercer en France. Mais cela n’empêche pas le
Dr Thomas, comme citoyen français, d’être mobilisé lors
19

Toutes les pièces justificatives concernant nos affirmations sont
évidemment disponibles sur demande.

44

de la Seconde Guerre mondiale ni d’être détaché au Valde-Grâce où personne n’est venu contester ses capacités
médicales. Puis, sous l’Occupation, le Dr Ronchèse le fit
entrer dans son laboratoire de Marseille. C’est là que
Thomas reprend ses travaux qui aboutiront à la sérocytothérapie.
Michel Robilliart qui, lui, est pharmacien en exercice légal, ne conteste pas au Dr Thomas sa compétence
de chercheur dans la discipline biomédicale. Un chercheur n’a pas besoin de diplôme officiel pour chercher et
trouver… La façon dont l’Administration réagit aux découvertes réalisées par un « non-diplômé » de l’État,
c’est une autre affaire...
Quant aux poursuites contre le Dr Thomas, sur
l’instigation de l’Ordre des médecins20, elles n’ont en
rien porté sur un débat scientifique et l’on ne peut rien en
déduire sur la valeur de ses recherches. Affaire purement
administrative et légale.
Il est donc expliqué, dans l’article de « 50 », que,
malgré les poursuites, les Sérocytols ont été introduits
frauduleusement en France de 1963 à 1978... en oubliant
de préciser que les Spécytons, quant à eux, continuaient à
être prescrits le plus légalement du monde. En oubliant
de préciser aussi, et c’est un point capital, que la gamme
des Sérocytols développée en Suisse par le Dr Thomas,
présente, dans sa diversité, de telles possibilités thérapeutiques et une telle souplesse de prescription, que la
gamme des Spécytons était, comparativement, devenue
20

Créé sous le régime de Vichy, l’Ordre des médecins est contesté
de l’intérieur par un nombre croissant de médecins qui ne se sentent
pas « représentés » par cet organisme dont ils dépendent administrativement pour avoir le droit d’exercer.

45

insuffisante. Ce qui a donc amené de nombreux médecins
français à prescrire des Sérocytols, davantage préoccupés
qu’ils étaient de l’intérêt de leurs malades que des problèmes douaniers. Au demeurant, comme le précise
« 50 », le ministère de la Santé a toujours accordé
l’autorisation d’importation exceptionnelle de Sérocytols
« pour raisons humanitaires » lorsqu’elle était sollicitée.
Quoi qu’il en soit, le produit étant introuvable en France,
les médecins conseillent à leurs patients de s’adresser aux
pharmacies suisses, leur donnant à titre indicatif les noms
de pharmacies, à Genève. Il faut ici préciser qu’un pharmacien suisse est obligé, par la loi et par son code de
déontologie, de fournir tout médicament prescrit par un
médecin – fût-il français – sous peine de se voir poursuivre pour « non-assistance à personne en danger » et
pour « obstruction commerciale ».
À dire vrai, aucun médicament n’est « interdit » en
France. Un médecin peut, sous sa responsabilité, prescrire ce qu’il veut. Certains médicaments sont « reconnus » par le ministère de la Santé, ce qui signifie qu’il en
garantit l’efficacité en tant que médicament. Un remède
« non reconnu » peut l’être un jour, et, inversement, certaines spécialités peuvent disparaître du Codex parce
qu’elles ne sont plus agréées.
S’il y a spéculation sur la demande en Sérocytols et
fraude sur les règlements douaniers, c’est une autre question, et on ne peut en rendre responsable le laboratoire de
Lausanne, qui n’est que producteur, et non diffuseur. Au
demeurant, les intermédiaires ne sont pas non plus responsables du fait que la gamme des Spécytons, autorisés,
soit insuffisante à la demande.
Et pour être juste, il faut en outre faire remarquer

46

que le trafic de médicaments entre la France et la Suisse
est à double sens : les médecins suisses savent aussi reconnaître les « bonnes » spécialités françaises, même si
elles n’ont pas reçu de visa dans leur pays. Et le nombre
de médicaments français introduits illégalement en
Suisse est beaucoup plus important que dans le sens contraire.
Se fondant sur quelques cas isolés peut-être réels
(je n’ai pas vérifié) « 50 » ose écrire que « …les commissions touchées par les prescripteurs [de Sérocytol]
s’élèvent à 50 % », accusant du même coup tous les médecins français pratiquant la sérocytothérapie de compérage coupable. Outre le fait que cette accusation est absurde d’un point de vue comptable et même commercial
– car que resterait-il comme marge bénéficiaire aux intermédiaires et au laboratoire ? – elle est gratuite et sans
preuve. (Par contre, il arrive au Laboratoire de Sérocytologie d’accorder aux médecins, une ristourne de 40 % sur
les Sérocytols destinés à leur usage personnel. Ceci ne
peut se comparer aux distributions massives
d’échantillons gratuits par les grands laboratoires –
échantillons parfois revendus par certains médecins...)
Les Sérocytols sont donc introduits en France par la
poste, ou par des passeurs. Le fait est incontestable. Des
Sérocytols sont parfois saisis par les douaniers. Et la Direction générale des enquêtes douanières révèle, par le
truchement de « 50 », qu’en deux. ans, 5 millions de
francs sont passés d’un compte bancaire français à un
compte suisse au nom de Grosclaude.
Sur ce, « 50 » enchaîne sur un commentaire pour le
moins tiré par les cheveux : « Une affaire qui marche

47

fort, car ce demi-milliard d’anciens francs ne doit représenter qu’une petite partie des sommes touchées par le
Laboratoire de sérocytologie S.A. à Lausanne, l’exlaboratoire Repurol’s S.A. Une affaire qui rapporte gros
au fabricant, qui coûte cher au patient... et qui pourrait
bien constituer pour un certain nombre de médecins une
source de revenus fort appréciable et non déclarés. »
« Qui rapporte gros au fabricant » ?
On peut s’indigner qu’un laboratoire pharmaceutique fasse de « super-bénéfices ». Auquel cas il faudrait
également dénoncer les « super-bénéfices » des industries
pharmaceutiques françaises, ceux de la SANOFI par
exemple, filiale d’ELF-ERAP, deuxième groupe pharmaceutique français (cf. Le Monde du 14 juillet 1979) et
propriétaire actuel des Laboratoires Robilliart, fabricants
des « Sérocytols »... français.
Pourquoi « 50 » ne s’interroge-t-il pas sur les
comptes exacts du Laboratoire de Sérocytologie ? Il aurait peut-être appris que – outre le traitement de 35 salariés, l’entretien d’une ferme modèle pour l’élevage
d’animaux de laboratoire (chevaux, chèvres, lapins etc.,
...au demeurant en pleine santé et jamais sacrifiés
puisqu’on n’utilise que des prélèvements de leur sang),
les frais de fonctionnement du laboratoire proprement dit
– d’énormes sommes y sont investies pour la recherche.
Le bilan fait du laboratoire une affaire honnête et viable,
sans plus.
« Qui coûte cher au patient » ?
Le problème du coût est un faux problème, dans la
mesure où il n’est pas posé correctement.

48

La médecine contemporaine est chère. Les médicaments en général sont chers (et il est prouvé par ailleurs que les industries pharmaceutiques font largement
la culbute sur le prix des matières premières). Bien sûr, la
Sécurité sociale rembourse un certain nombre de médicaments autorisés en France (mais pas tous). De toute
façon, il reste le « ticket modérateur » qui n’est pas négligeable.
Remarquons qu’on ne peut reprocher aux Sérocytols de coûter cher à la Sécurité sociale, puisqu’elle ne les
rembourse pas... Mais ils pourraient, par contre, lui faire
économiser beaucoup d’argent.
Par ailleurs, si des malades sont prêts à quelques
sacrifices pour leur santé, qui pourra le leur reprocher ?
Enfin, comme le rappelle non sans humour et réalisme un médecin d’Aubière, « on a oublié de dire que si
les Sérocytols étaient chers en France21, c’était parce que
notre franc ne valait pas grand chose ! »
« Pour un certain nombre de médecins, une
source de revenus fort appréciable et non déclarés » ?
Le rédacteur ne s’embarrasse pas de scrupules pour
accuser, nommément et sans preuve, tel et tel médecin de
compérage et dichotomie, qui sont des infractions à
l’article 21 de l’ancien code de déontologie médicale. À
quoi, innocemment, Josée Doyère, dans Le Monde du
22 mars 1979, surenchérit : « L’Ordre des médecins […]
ne ferait-il pas bien de s’intéresser – tout en les recensant
– à ceux qui se livrent à un trafic que l’on peut croire
21

La boîte de trois suppositoires coûte 14,50 francs suisses, soit
environ 38 francs français. On est encore loin des affirmations délirantes du magazine espagnol Cambio qui parle de 200 $ l’ampoule !

49

fructueux ? Le Pr Escande espère que le Conseil de
l’Ordre va intervenir. Espérons-le avec lui. »
Délation, chasse aux sorcières... On connaît cet engrenage tragique, propre aux totalitarismes de tous bords.
Un tel processus est inconcevable dans nos sociétés « libérales ». C’est pourquoi d’ailleurs, M. Alain Peyrefitte,
ministre de la Justice, dans le Nouvel Observateur du 28
mai 1979 intervenait solennellement : « Je ne veux pas
évoquer Sylla qui faisait écrire sur les murs de Rome le
nom de ceux qu’il souhaitait voir assassiner. Mais il faut
se souvenir qu’aujourd’hui, nommer, c’est déjà menacer. » Le garde des Sceaux a émis cette opinion dans
l’exercice de ses fonctions, comme garant d’une certaine
idée de la justice. Malheureusement, il ne faut pas rêver,
il s’agissait d’une tout autre « affaire », non moins scandaleuse, que celle qui nous occupe. M. Peyrefitte, garant
du respect de la liberté individuelle et soucieux de la réputation des honnêtes gens, n’a pas rappelé à l’ordre la
revue « 50 », organe de l’INC
L’INC, organisme d’État, n’a pas craint, en
l’occurrence, de jeter des noms en pâture à l’opprobre
publique...
Comme 50 millions de consommateurs ne pouvait
pas argumenter sans le moindre commencement de
preuve, il a inventé deux types de preuves : la première
en mettant en avant un cas isolé et douteux, la seconde en
faisant appel à l’« argument d’autorité » – notion scolastique qui n’a aucune valeur scientifique.
Pour les besoins de son enquête, « 50 » a donc
monté un scénario : on écrit aux Pharmacies Grosclaude
de Genève pour demander le « produit miracle anticancéreux ». Grosclaude répond, avec beaucoup de bon sens :

50


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