Le 99ème jour .pdf
À propos / Télécharger Aperçu
Nom original: Le 99ème jour.pdf
Ce document au format PDF 1.4 a été généré par Writer / ilovepdf.com, et a été envoyé sur fichier-pdf.fr le 18/08/2018 à 11:04, depuis l'adresse IP 86.243.x.x.
La présente page de téléchargement du fichier a été vue 49224 fois.
Taille du document: 713 Ko (18 pages).
Confidentialité: fichier public
Aperçu du document
Le 99ème jour
9 mai 2016,
Je me souviens de cette froide matinee de mai ou je l'attendais, emmitouflee dans mon manteau bleu, a l'arret de tramway Homme de fer. Il etait tot et mes yeux
avaient encore du mal a s'adapter aux premieres lueurs du soleil. Je tenais fermement un sachet avec des croissants, je savais qu'elle n'aurait rien mange. Apres
quelques minutes a observer les passants, une silhouette frele vetue d'une veste longue et d'une echarpe epaisse apparait. Ma grande sœur m'embrasse, puis nous
rentrons toutes les deux dans le tram. Je ne sais pas dans quelle direction nous allons, je n'ai jamais ete au bout de cette ligne B. A l'interieur nous ne parlons pas
beaucoup, elle regarde defiler les vieilles maisons a colombages a mesure que le tram avance.
« On sort ici ». Une fois dehors elle fouille dans son sac. « On a cinq minutes de marche, ce n'est pas loin. » me dit-elle tandis qu'elle allume une cigarette et la porte
a ses levres. Ellle marche vite, elle me dit qu'elle a peur de rater le rende--vous. J'essaie de la rassurer u il nous reste encore vingt minutes, mais elle m'ecoute a peine.
Nous arrivons devant un grand batiment, sur l'entree on peut y lire CMCO : Centre Méico-chirurgical Obstetrique. À l'interieur, une femme nous guide vers la salle
d'attente. Nous devons prendre un ticket, j'ai l'impression d'etre aux impots ou a la gare attendant notre tour avant que notre numero s'affiche. Toutes les chaises sont
prises ou presque, on arrive finalement a trouver deux sieges cote a cote. Je deteste les salles d'attente, tout le monde feigne de ne pas se voir, respectant une certaine
obligation a parler tout bas, a ne pas communiquer. Ma sœur me serre fort la main, elle me dit qu'elle croit qu'au premier rende--vous je n'ai pas le droit de venir
avec elle, mais que je viendrais au second. Je lui reponds que je l'attendrais. J'observe les gens autour de nous, plusieurs femmes sont assises seules dans un coin de
cette salle. Ma sœur fouille dans son sac a la recherche de son telephone portable, elle l'allume, et regarde la notification qui vient d’apparaitre sur son ecran. Ses
yeux se remplissent de larmes, elle me tend le telephone et me dit u « Tu peux m'enlever ce truc, je sais pas comment on les supprime ». Sur l'ecran, on y voit une
alerte d'une application de grossesse qui lui indique « Aujourd'hui c'est ton 99eme jour de future maman ».
Je repense tout a coup a l'annonce qu'elle m'avait faite deux mois auparavant. C'etait sur le quai de la gare de Selestat, nous rentrions sur Strasbourg apres un repas de
famille ou elle n'avait pas bu une seule goutte d'alcool de toute la soiree. J'avais compris sans meme qu'elle ne me le dise. Dans le train, elle m'avait montree sa toute
premiere echographie. Ellle m'apprenait alors que le corps du fœtus se construit entierement autour du cœur et que c'est le premier organe qui apparait. Sur cette
image completement abstraite a mes yeux on y voyait deux X qui delimitaient un corps encore non forme.
« Tu vois entre les deux croix, le point lumineux ? Elt bien c'est son cœur ».
Une femme en blouse blanche appelle le nom de ma sœur. Ellle se leve et se dirige vers le bureau qui porte la lettre qui correspond a son ticket. Au fur et a mesure que
l'attente se fait ressentir, je remarque une etrange choregraphie se tenir sous mes yeux. Les tickets s’enchainent, les chaises se remplissent, les noms des appelees defilent,
elles prennent leurs affaires et entrent dans des cabinets. Au loin on entend des medecins discuter, des infirmieres rirent, et de nouvelles femmes prennent la place de
celles qui sont parties comme un manege bien huile. Je comprends peu a peu que toutes ces femmes ne sont pas la pour la meme raison, certaines vont bientot accoucher,
d'autres sont ici pour y mettre un terme. J'observe une jeune femme maigre, elle semble agitee. J'ai l'impression que c'est la premiere fois qu'elle vient dans cet endroit si
etrange, elle a l'air mal a l'aise comme moi, ne tenant pas en place et relisant chaque papier qu'elle a pose sur ses genoux. Poourtant comme toutes les autres, elle se plie a
cette mecanique qu'a instauree le personnel. Ellle prend son ticket, attend, on l'appelle, elle rentre dans un bureau.
Observant cette ronde incessante, ma sœur sort enfin de ce fameux cabinet. Je me leve et on nous transfere dans une deuxieme salle d'attente. Au bout de trois heures
interminables on nous appelle enfin pour entrer dans un nouveau bureau. Elt puis rien. Trou noir. J'ai beau essayer de toutes mes forces de me rappeler ce qu 'il s'est passe
dans cette piece, mes souvenirs restent flous. Je me rappelle exactement de ce que nous avons fait avant et apres et pourtant je suis incapable d'evoquer concretement ce
que j'ai pu vivre durant ce laps de temps. Depuis deux ans je n'ai plus jamais aborde ce sujet avec ma sœur. Aujourd'hui j'ai besoin de savoir, cette necessite de revenir
dans ce bureau a ses cotes.
...
« Tu te souviens lorsque je t'ai accompagne au CMCO ? Le moment ou l'on est entre dans le bureau ? Je n'arrive pas a me souvenir de ce que l'on t'a dit ou de que
l'on t'a fait. Je ne comprends pas pourquoi c'est impossible de me souvenir. »
Ma sœur : Je pense que pour toi ca a ete eetrêêent violent. Et pour te proteger, ton cerveau a cô̂e ́ecíe ́ oublier. Tu te souviens ́u ̂ôent ́ans le couloir
où je t ai ́it « Sosso si c est trop pour toi tu ̂e le ́is ?»i Moi c est ́ifferent j ai quelque chose ́e plus traûatique, c est-̀-́ire que je ̂e souviens ́e ́etails très
precis qui tournent en boucle ́ans ̂a tete.
« Elst-ce que tu veux bien me parler de ton entree dans le premier bureau ? »
Je pense que si tu veue que je revienne l̀-́essus, je ́ois rêonter trois ̂ois en arrière. J avais reńez-vous chez la gynecologue pour les trois ̂ois, ce qui est
nor̂al : les trois ̂ois c est le ̂ôent où tu ́is ̀ la securite sociale que tu es enceinte, c est la ́ate où les chances ́e faire une fausse couche sont beaucoup plus
faibles. C est un peu l aboutissêent, on va te ́ire que tu as reussi ̀ tenir trois ̂ois en etant enceinte, on va te ́ire qu il est l̀, qu il a cette taille, que tu vas voir sa
presence autrêent que par un sîple point qui clignote. J avais ̀ la fois peur que ca se concretise et en ̂êe têps c est l̀ toute l âbivalence que ́ avoir ce
́esir ́ enfant. Je ̂ installe sur sa table je lui parle ́e ̂a grossesse. Peńant qu on ́iscute je côpreńs qu il y a un problè̂e avec l echographie parce qu elle va
appuyer plus fort. Elle le cherche, et puis elle fait une tete bizarre et s arrete ́e parler. Je lui ́êańe s il y a un truc qui ne va pas ? Je lui ́is qu elle ̂e fait peur.
Elle ̂e repoń qu il y a l’œuf, ̂ais qu il n y a plus rien ̀ l interieur. On appelle ca un œuf clair, ca sous-enteń que l êbryon n est plus l̀. C est un sentîent que je
vais revivre après, un sentîent ́e ́echirêent cô̂e ca, qu on ̂ arrache quelque chose, on ̂ arrache un reve, une projection, une place que j avais cô̂ence ̀
faire, quelque chose ́e très visceral en fait.
Et jusqu ̀ la fin je n arrive pas ̀ y croire, je ̂e ́is que ce n est pas possible, je ne côpreńs rien. Je ̂e sens trôpee par ̂on corps. Je ne realise pas en fait, et jusqu au
̂ôent ́e payer je lui ́êańe encore : - Mais vous etes sûre ?
- Écoutez vous allez aller au CMCO, ils vont verifier.
Tout le week-eń je l ai passe ̀ ne rien côpreńre, j ai refûe cô̂e une ̂aláe. Il y a un vrai sentîent ́e solitúe parce que ́ un coup tu ne te sens plus avec
quelqu un en toi, alors que tu l as porte, tu te reveillais le ̂atin avec, tu t eńor̂ais le soir avec. Parfois tu n avais pas envie qu il soit l̀, ̂ais c etait l̀ et tu n avais pas le
choie.
« C'est durant cette periode que tu m'as appelee pour me demander de t'accompagner au CMCO »
Oui c etait l̀. On y est alle, tôt le ̂atin.
« Je me souviens qu'on a pris un ticket. »
Oui on a pris un ticket, et ́onc tu cliques sur le truc et tu as un ticket ́e boucher qui sort quoi, avec une lettre et au-́essus ́es portes – je sais plus il ́evait y avoir 6-8
portes – tu as la lettre qui est affichee. Je suis rentree l̀-́éans et tu te retrouves avec une secretaire ̂éicale. C est un eńroit horrible parce que son bureau ́onnait sur
́ autres bureaue ́errière et ́onc c etait ouvert tu enteńais tout ce qui se passait autour ́e toi et tout le ̂ońe pouvait t enteńre. Et puis c est tout petit c est ́es cages ̀
lapin, ́es boe en fait.
« Tu as dû tout lui raconter ? »
Oui. Elle ̂’a accueillie ́irectêent avec cette phrase « Vous venez pour une IVG ? »i, ca a ete hyper ́ur pour ̂oi. Parce qu en fait elle a suppose quelque chose qui ̂ a
fait eetrêêent violence. C etait hyper ̂alároit en fait. Ça ́evait etre sa phrase ́e repetition quań chaque fê̂e entre ́ans son trou ̀ rat. Tu as ́ès le ́ebut
l îpression qu on te viole ton intîite parce que tu ́ois tout ́ire ̀ une nana qui va pas t’ausculter, qui n est pas ̂éecin, qui ne va pas t aíer. Et ́u coup ca a un côte
hyper îpersonnel. Je ̂e souviens que ̂a gyneco ̂ avait ́onne ́es lettres, et j’etais contente ́e les avoir parce que je ̂e ́isais que je n aurais pas besoin ́ en parler. Et
cette secretaire ̂e les preń, en ̂e ́isant qu elle va les ́onner au ̂éecin. Je ̂e sens ́ un coup très ̂al sans ces bouts ́e papier parce que c est ̂a voie en fait, c est la
voie ́e ̂a gyneco qui ̂e per̂et ́e ne pas en parler car que je suis pas sûre ́ etre capable ́e le faire.
« Elst-ce que tu avais l'impression qu'elle repetait une liste de questions predefinies ? »
Ah oui, elle te regaŕe pas, elle ecrit ́ans un oŕinateur, tu lui parles et elle rentre les ́onnees. Elle ̂âche le travail ́u ̂éecin pour qu il ait ́irectêent les infor̂ations.
Et elle a pris ̂es courriers ouais… et ̂a photo ́e l echographique, voil̀ c est assez rapíe ca ́ure 5 ̂inutes. Il n y a pas ́ êpathie clairêent, c est juste une prise
́ infor̂ations tu vois, ̂ais ce n est pas n îporte quelles infor̂ations.
« Qu'est-ce qu'il s'est passe au second rende--vous ? »
Il y a une interne qui nous accueille ̂ais en fait elle ne peut pas cô̂encer sans sa collègue, ́onc on atteń encore et c est finalêent l autre qui va preńre le relais. Tu
as l îpression ́e voir plein ́e gens qui te servent ̀ rien. Je leur ́is que tout est ́ans les lettres, ̂ais elles n ont pas eu les infor̂ations, puisque la secretaire a oublie ́e
́onner ̂es courriers. C etait insupportable. J ai ́û tout repeter une nouvelle fois.
3
3
Au fur et a mesure que ma sœur me parle j'ai l'impression que mon cerveau se libere du brouillard qu'il a place sur mes souvenirs. Le visage des deux internes commence a
me parvenir. La scene se rejoue dans ma tete au fur et a mesure que sa parole evolue.
Elles ont eu ́es ̂ots très ́urs, et ́es ̂ots ̂éicalêent très nuls. Elles ̂ ont ́it : « Et bien on va tout enlever cô̂e ca vous pourrez vite tout recô̂encer, parce que
c est bien vous etes pleine ́ hor̂ones »i. Cô̂e si c etait rien en fait. J etais juste une ̂achine ̀ bebe. J ai vraîent eu l îpression qu elles ne côprenaient pas, qu elles
n enteńaient pas ̂a ́ouleur et je pense qu elles se protegeaient ́errière leurs ter̂es ̂éicaue.
« Elst-ce que tu veux dire que tu as eu l'impression d'etre simplement une femme de plus qu'elle voyait dans la journee ? »
Oui côplètêent, et puis tu vois quań je te ́is ̂achine ̀ bebe c est ́ans le sens : « C est pas grave je te l enlève tu recô̂ences et puis il y a pleins ́ autres fê̂es qui
atteńent après toi ́onc on se ́epeche quoi. »i
Au ̂ôent ́e l auscultation, je ne voulais rien voir ̂oi. Une ́es ́eue fê̂es ̂ a confir̂e ce que ̂a gynecologue avait vu. J ai ́êańe ̀ etre prise en charge le plus
vite possible. Elle ̂ eeplique alors cô̂ent preńre le ̂éicâent et puis elle ̂e ́it : « Oh vous n avez qu ̀ le preńre ̂aintenant ! »i elle se lève et va chercher un verre
́ eau. Et ̀ ce ̂ôent-l̀ je ̂e ́is : « Mais non, j ai pas envie ́e le preńre tout ́e suite. »i Et elle c etait : « Bon allez on le preń cô̂e ca on en parle plus. »i
Mais ̂oi ̀ travers ce ̂éicâent il y avait toute une sŷbolique aussi. Si ca se trouve je l aurais pris ́ehors avec toi après tout ca, ̂ais non j avais pas le choie, elle ne
̂e l a pas laisse. Moi je croyais que ce ̂éicâent allait ̂e faire enlever l’œuf, parce qu elles ̂ ont ́it que je saignerais ̀ la ̂aison. En fait cette pilule allait preparer
aue ̂éicâents que j allais preńre ̀ l’hôpital le surleńêain ̂ais ca elles ne ̂e l ont pas eeplique. En sortant j avais peur ́e saigner sur le trajet ́u retour. J ai rien
pu ́ire parce qu ̀ ce ̂ôent-l̀ j’etais trop vulnerable pour ́ire quoi que ce soit.
« Tu as d'abord attendu che- toi et ensuite tu est allee a l'hopital de jour c'est bien ça ? Comment ça s'est passe ? »
Ils ̂ ont ̂ise ́ans une châbre avec une autre fê̂e et je ̂e suis reńue côpte très vite qu il n y avait qu un toilette. Une infir̂ière est venue, elle ̂ a ̂ontre le lit et
elle ̂ a ́it : « De toute facon vous ne serez pas couchee, va falloir ̂archer hein ! »i. Elle ̂e ́onne une blouse, un slip filet et une couche enor̂e. Je ̂e sentais
infantilisee. Elle va ensuite ̂e ́onner beaucoup ́e ̂éicâents.
« Ellle te dit a quoi correspond chaque medicament ? »
Non, j ai ́û lui ́êańer. Elle ̂e repoń que ́ans l un ́ eue il y a celui qui va ̂e ́onner ́es contractions et qui va faire sortir l’œuf. Elle ̂e ́it que je vais saigner. Je
pensais que c etait cô̂e quań tu as tes règles ̂ais c est pas ́u tout ca : en fait ̀ un ̂ôent tu vas quań ̂êe eepulser l’œuf ̂ais ca personne ne te le ́it. Alors c est
pas gros, c est pas un accouchêent ̂ais tu le sens passer. Elle va sîplêent ̂e ́ire :« Quań vous aurez très très ̂al, vous allez aue toilettes et vous poussez très très
fort. »i Donc ̀ ce ̂ôent-l̀ tu côpreńs que tu vas souffrir ̂ais tu ne sais pas très bien ce que tu ́ois pousser en realite. Tu te poses plein ́e questions. Mais l infir̂ière
est partie très vite. J ai passe la journee aue toilettes et ̀ ̂archer ́ans les couloirs. J ai eu 3 côprîes, au bout ́u 4 è̂e je ́evais faire un curetage si j’evacuai pas
naturellêent. Le couloir ́e l hôpital etait separe par ́es escaliers, ́ un côte tu avais l̀ où les avortêents se font et ́e l autre côte c etait pour les fecońations in vitro,
pour les fê̂es qui n arrivent pas ̀ avoir ́ enfants. Ça ̂ angoissait, je ̂e ́isais que peut-etre un jour je serais ́e l autre côte ́u couloir.
« L'evacuation « naturelle » ça s'est passee comment ? »
J avais l îpression ́ etre la ́ernière restante, la ́ernière qui n avait pas reussi ̀ evacuer. Je ̂e souviens ́e la fê̂e ́e ̂enage. Elle faisait les châbres, il n y avait
plus personne en fait, j avais l îpression que tout le ̂ońe ̂ atteńait. Il etait 17-18h j’etais l̀ ́epuis 7h ́u ̂atin, et ̀ un ̂ôent je suis allee aue toilettes. J ai pousse
un peu, et j ai senti qu il passait. J ai crie. C est le genre ́e cri que tu ne fais jâais ́ans ta vie. Un cri ́e peur, ́e síeration. Quań je suis sortie ́es toilettes, j ai senti la
sensation ́e víe, j ai eu l îpression qu on ̂ avait arrache un truc.
« Tu sais d'ou vient cette negligence de la part du personnel medical ? »
J ai l îpression que si personne ne ̂ a rien eeplique c est parce que ces gens font ca tout le têps et ils ne prennent ̂êe plus le têps pour la pers onne, pour leur ́ire
ce qui va se passer. Il y a un truc très ̂achinal. Tu as l îpression que tu ́ois te ́epecher. On oublie la question ́e l intîite. J aurais aîe qu on ̂e prepare qu on
̂ eeplique cô̂ent ca allait se passer, ce qui allait ̂ arriver. J aurais aîe qu on prenne en côpte ̂a ́ouleur. Mais tout le ̂ońe te ́onne l îpression que c est
anóin. Et puis c etait pas juste trois ̂ois, ca faisait ́eue ans que je ̂e preparais ̀ etre enceinte. Il avait cô̂ence ̀ preńre ́e la place psychiquêent pour ̂oi et cette
place elle est ̀ la hauteur ́e ce víe. C est pour ca que les gens côprennent pas toujours. « Oh ca va, ca ne faisait que trois ̂ois... »i, ̂ais non. J ai eu le sentîent ́e
n etre qu un corps qui ́oit evacuer quelque chose. Ma question ̀ ̂oi ̂aintenant c est ́e savoir cô̂ent repeter le ́esir ́ enfant, parce que l’evenêent etait ́ur ̂ais la
prise en charge a ete ́ une telle violence. Je ̂e ́êańe cô̂ent je peue repeter quelque chose qui ̂ a fait tellêent ́e ̂al…
...
Sur le chemin du retour mes emotions sont lourdes a porter. Je n’avais vecu cette histoire que de l’exterieur. Je me rend compte maintenant de la souffrance que ma sœur a
subit, et du temps que cela lui prend pour s'en remettre. Je suis aussi dans l'incomprehension totale, je me demande comment il est possible de traiter quelqu'un de cette
maniere avec si peu d'indulgence, si peu d'empathie, si peu de bienveillance ? Elt pourquoi sa gynecologue s’en est-elle remise au CMCO en la laissant desemparee, sans la
guider ou lui expliquer quoi que ce soit ?
J’ouvre delicatement l’enveloppe qu’elle m’a remis, elle contient tous les papiers administratifs de cette periode, elle a tout garde. Une feuille toute chiffonnee retient mon
attention. Eln bas on peut y lire « Retour a domicile en bonne sante », je trouve cela presque ironique. C’est donc ça ? C’est le corps qui importe ? Que fait-on des
sentiments ? Du processus de deuil ? De la douleur psychologique ? Poersonne ne nous prepare a cette perte. On atteste que le corps se porte bien et pourtant on sort de
l’hopital brisee, seule face a soi-meme. Je suis triste et en colere, j’enrage de savoir qu’elle a ete traite de cette maniere.
Je repense a cette ronde incessante des patientes, a ce sentiment de repetition des entretiens, a cette lassitude du personnel soignant... Elst-ce les raisons de cette indifference
face a la souffrance de ma sœur ? Je veux comprendre. Je veux partir de son experience pour rencontrer d'autres femmes. Je veux mettre en contraste differents regards pour
savoir si ma sœur est un cas isole.
Deux femmes, Camille et Laura. Ellles acceptent de me parler de leur interruption volontaire de grossesse. L’une l’a vecue par voie instrumentale, l’autre par voie
medicamenteuse. L’une est allee au CHU de Strasbourg, l’autre s’est rendue au CMCO, deux centres qui pratiquent l’IVG. Deux regards differents, deux temoignages
uniques. Je suis bien consciente qu’une interruption volontaire, n'est pas du tout la meme experience qu'a vecue ma sœur. Mais pourtant les methodes ont ete les memes
pour toutes, elles ont pris les memes cachets, elles ont ete prises en charge par le meme service.
« Quand est-ce que tu a appris que tu etais enceinte ? »
Laura : Et bien c est tout recent, c etait le 2 fevrier ́ernier. J avais un retaŕ ́e règle ́e ́ie jours alors que
́ habitúe je suis hyper regulière, j avais ́es nausees, je ̂e sentais pas bien, je ̂e suis ́it qu il y avait un truc qui
clochait, ́onc j ai fait un test ́e grossesse pour etre sûre.
Camille : C etait y a ́eue ans ̂aintenant. J ai appris que j’etais enceinte un peu taŕ. A l epoque je ne prenais pas la
pilule en fait, et c est vrai que je ne faisais pas vraîent gaffe ̀ la repetition ́e ̂es cycles.
« Tu avais du retard ? »
Camille : Oui, ̂ais je n etais pas sûre et je ̂e suis ́it : « Bizarre, on verra ́ans un ̂ois. »i Ce qui est totalêent
́ebile, ̂ais je ne pensais vraîent pas que ca pouvait ̂ arriver. J ai finalêent achete un test ́e grossesse. Il etait
positif ́irect, j ai ̂êe pas atteńu 5 secońes. J ai vraîent panique car j etais certaine que ce n etait pas le
̂ôent et que je n en avais pas envie. Le leńêain je suis allee au CHU. Une secretaire a pris ̂es cooŕonnees, les
raisons ́e ̂a visite... cô̂e quań tu vas chez le ̂éecin, ca ̂ a rassure. Dans la salle ́ attente il y avait ́ autres
filles et je ̂e suis ́is « Bon je ne suis pas la seule ̀ qui c est arrive »i. J ai ete recue par une gynecologue. Elle ̂ a
posee une serie ́e questions, c etait très for̂el : pourquoi j etais l̀, quel ̂oyen ́e contraception j utilisais, ́e quań
́atait ̂on ́ernier rapport... Puis elle ̂ a fait une echographie pour voir si j etais bien enceinte et ́e côbien ́e
sêaines. J ai pas voulu regaŕer. Elle ̂ a alors ́it que j etais ̀ un stáe trop avance et que je ne pouvais pas
preńre la voie ̂éicâenteuse, c etait trop taŕ, je ́evais faire la ̂ethóe instrûentale, une aspiration.
« Comment c'est passe le premier rende--vous ? »
Laura : Je suit allee au CMCO le leńêain, j ai pris un ticket et j ai vu une secretaire en prêier. Elle ̂ a ́êańe
pourquoi j etais l̀, et puis elle ̂ a envoye ́ans le couloir rose ́e gynecologie. Une interne et une eeterne ̂ ont
recue. L eeterne ne parlait pas très bien francais ̂ais bon elle a plus fait ́e la figuration. C etait vraîent l interne
qui s occupait ́e ̂oi. Elle ̂ a fait une echographie, elle ̂ a posee pleins ́e questions et après elle ̂ a eeplique les
́ifferentes ́êarches. J avais le choie entre ̂éicâenteuse ou chirurgicale, ̂oi je savais ́ej̀ que je voulais
preńre les ̂éicâents. Elle ̂ a ́onnee pleins ́e papiers, on a parle ́e contraception et puis elle ̂ a eepliquee
cô̂ent allait se passer l hôpital ́e jour. C etait assez rapíe, j y suis retournee ́eue jours avant l intervention pour
preńre le prêier ̂éicâent.
Camille : « J ai tout gaŕe ̂êe le bracelet qu ils ̂ avaient ̂is. J aurais ́û le jeter ̂ais je sais pas, il avait quelque chose ́e… c est cô̂e ceue qu on ̂et sur un
nouveau ne. Je ̂e suis juste ́it que c’etait îportant ́e le gaŕer, ́e ̂e ́ire que ca a eeiste en fait, ̂êe si je pense que je ne vais jâais oublie. »i
« Ça t'as fait peur la methode instrumentale ? »
Camille : Oui beaucoup parce que ca voulait ́ire intervention ̂éicale et anesthesie locale. Je lui ai
́is :« l aspiration, ̂oi j ai peur ́e ne pas etre bien. »i. Elle ̂’ausculte avec le speculû sur sa table – c etait la
prêière fois que j avais un eeâen gynecologique – et l̀ je tôbe ́ans les pô̂es. Quań je ̂e reveille elle ̂e
́it : « Bon bah, effectivêent, je pense qu on va faire une anesthesie generale. »i. Après elle j ai vu une psychologue,
qui ̂ a repose les ̂êes questions et puis ́ autres plus intîes, les rapports que j avais avec ̂on copain, pourquoi
je ne voulais pas le gaŕer... puis j ai vu l’anesthesiste. En fait les questions et les reńez-vous s’enchaînaient. Je
retournais ́ans la salle ́ attente et je retrouvais ́ autres filles qui venaient ́ arriver. A la fin ́e la ̂atinee, on ̂ a
́onne un ̂éicâent ̀ preńre après la sêaine ́e refleeion obligatoire, le ̂atin ́e l intervention en fait.
« Poourquoi est ce que tu as prefere la voie medicamenteuse ? »
Laura : Ĥ̂… ca ̀ l air ̂oins barbare, j ai jâais ete sous anesthesie ́e toute ̂a vie alors ca ̂ angoissait
enor̂êent. Et puis la voie instrûentale, l avantage c est que tu ne le sens pas passer ́ans un sens ̂ais je trouve
qu il y a un côte « trop facile »i. Je suis pas specialêent ̂asochiste ̂ais ́isons que quań tu as ̂al ca te rêet les
íees en place quań ̂êe. Dans ̂on cas c etait une betise, alors je ̂e suis ́it : « T as fait une connerie
t assûes. »i Pour ̂oi je ̂eritais un peu ́ en chier pour passer ̀ autre chose.
« Cette semaine d'attente s'est passee comment ? »
Camille : Ça ̂ a paru inter̂inable. Le ̂atin ́e l intervention j ai pas hesite une secońe : pour ̂oi c etait
vraîent ́ecíe, je ne voulais pas le gaŕer. A l hôpital, on ̂ a ̂ise ́ans une châbre toute seule. Une infir̂ière
est venue et elle ̂ a ́it qu on etait cinq aujouŕ hui et qu on allait passer les unes après les autres. Mais je n en ai
croise aucune. J etais la ́ernière, je suis passee vers les 11h. Ils ̂ ont ́onne une blouse, un bracelet
́ íentification et un cal̂ant pour que je sois plus zen. J etais effectivêent très stressee. Puis ils ̂ ont ê̂ene
allongee sur un lit, l infir̂ière avait ̂is les papiers sur ̂a poitrine, ca faisait un peu : « Allez on envoie la
suivante ! »i. On ̂ a eńor̂ie, et après ca tout etait fini. Au reveil, j avais hyper ̂al au ventre.
« Tu as hesite a prendre le medicament ? »
Laura : Non pas ́u tout, je savais ce que je voulais, j etais ́ecíe, je ne voulais pas ́ enfant et pas ̀ ̂on âge. Deue
jours après je suis alle ̀ l hôpital ́e jour ̀ sept heures ́u ̂atin. J etais crevee j avais fini le travail la veille ̀ ́eue
heures ́u ̂atin, je crois que j avais ́û ́or̂ir quatre heures avant ́ y aller. On ̂ a ê̂ene jusqu ̀ ̂a châbre, il y
avait ́ej̀ une autre fê̂e qui etait l̀, et un hô̂e l accôpagnait. J etais hyper genee ́e ́evoir partager ̂a
châbre, et puis elle pleurait tout le têps.
« La femme a cote de toi venait pour la meme raison ? »
Laura : Oui enfin je pense, en tout cas elle prenait les ̂êes ̂éicâents que ̂oi. C etait vraîent ́ur cette
cohabitation ́e sept heures. Je sais que chacun le vit ́ifferê̂ent, ̂ais ̂oi je suis quelqu un ́e très fière, je ̂ontre
pas ̂es êotions et la voir pleurer ̀ côte ́e ̂oi c etait vraîent ́ifficile. L infir̂ière est arrivee très vite pour ̂e
́onner les ̂éicâents. Ça j ai beaucoup apprecie, ́e ne pas atteńre ́es heures, c etait vraîent rapíe. Elle ̂e
́onne le côprîe pour l eepulsion et un autre pour êpecher les nausees. Ça n a pas ̂arche parce que j ai vôi
trois quarts ́ heures après. J ai fait la forte peńant une ou ́eue heures ̂ais après je n en pouvais plus. C etait bien
pire que ́es règles, j ai eu tellêent ̂al, je l ai vraîent senti passe.
« Tu as attendu combien de temps avant que le medicament te permette d'expulser ? »
Laura : Au bout ́e cinq heures. Je ̂e suis forcee ̀ beaucoup ̂archer, je ̂e suis baláee ́ans les etages, j ai passe
pas ̂al ́e têps aue toilettes ́u troisiè̂e etage ́ ailleurs parce que je voulais pas que tout le ̂ońe ̂e voit vôir
́ans ̂a châbre. Et puis bouger ̂e per̂ettait ́e ne pas trop reflechir aussi. Je voulais en finir vite pour pas que ca
s eternise. Parfois je croisais ́es filles cô̂e ̂oi qui faisait ́es allez et retours ́ans les couloirs. C etait bizarre au
́ebut et puis après ca ̂ a rassuree je ̂e suis ́it que j etais pas la seule ̀ etre ́ans la galère, qu on etait toutes ́ans
la ̂êe situation au final. Après trois heures ́e ̂arche je suis retournee ́ans ̂a châbre et j ai reussi ̀
̂ eńor̂ir. La ́ouleur etait tellêent forte que ca ̂ epuisait en fait. L eepulsion elle s est faite ̀ ̂on reveil quań
je ̂e suis ̂ise en position ́ebout. J ai vu ́u sang partout sur ̂oi ́ont un enor̂e caillot. A la fin on ̂ a refait une
echographie pour voir si tout etait bien parti, l interne n etait pas sûre alors elle a ́û appeler ́ autres personnes pour
venir voir. Ça a pris trois quarts ́ heures ̂ais en gros ̀ ̂íi c etait bon. Je suis restee jusque 14h pour ̂e reposer et
surtout parce que je saignais encore enor̂êent.
« Elst-ce que tu as assiste a l'IVG de la femme qui etait dans le lit d'a cote ? »
Laura : Bah toute la partie où on n en pouvait plus, on l a un peu vecue ensêble oui, ̂êe si on se parlait pas
vraîent. Mais pour elle ca avait l air beaucoup plus ́ur. Quań je suis partie ̀ 14h elle reprenait un ̂éicâent
pour la troisiè̂e fois, elle n avait toujours pas eepulse et elle souffrait encore enor̂êent. A la fin je lui ai ́it bon
courage, ̂ais on n a pas parle ́e la journee. Je pense que c etait ́û au fait qu il y avait son ̂ec aussi. Je côpreńs
tout ̀ fait que tu veuilles avoir quelqu un avec toi ̂ais pour ̂oi c etait vraîent ́erangeant.
« Le personnel avait l'air correct, tu t'es sentie consideree ? »
Camille : Les infir̂iers ont ete très bien, je ne ̂e suis jâais sentie jugee ́e faire ce que je faisais. Une
anesthesie generale c etait une operation plus louŕe ̂ais quelque part c etait rassurant ́e les laisser s occuper ́e
̂oi. J avais pas envie ́e voir, j avais pas envie ́ etre l̀, je voulais juste oublier. Je pense que ca aurait ete
beaucoup plus ́ur si j avais eu ̀ subir tout ca eveillee. Mais je ̂e suis sentie bien encáree, et ce côte procéurier
ca ̂ a rassure, je ̂e ́isais qu eue faisait un truc habituel, et que finalêent je n etais pas la seule ̀ ̂e faire
avorter.
Laura : J ai vraîent aîe la prise en charge. Tout etait clair, les infir̂ières et les internes etaient vraîent ̀ ̂on
ecoute. Tout etait organise et je ̂e suis jâais sentie peŕue. Après ce que j ai apprecie aussi c est que c e tait que ́es
jeunes fê̂es qui avaient ̀ peu près ̂on âge. Bon après le ̂éical c est toujours un peu eepéitif, ca je le
côpreńs ̂ais non je trouvais que ca allait, ca aurait pu etre pire. Ils voient tellêent ́e trucs graves, qu en fait ils
ne sont pas l̀ pour te chouchouter, ils ne prennent pas vraîent ́e pincettes ̂ais ca je peue côpreńre.
...
Eln reecoutant mes enregistrements, je me rend compte que je pose tres peu de questions. Le flux de parole n'est presque jamais interrompu et je ressens une volonte forte de
la part de ces femmes a me livrer leurs temoignages. Comme si j'avais developpe pour elles un lieu et un temps qui leur permettent de parler librement. Comme si elles
avaient besoin de se delivrer d'un secret cache. Dans ces recits intimes qu'elle m'offre genereusement, j'essaye d'intervenir le moins possible. To utes m'ont avouee n'en avoir
presque jamais parle a personne. Je suis confuse d'etre celle a qui on se livre, de devenir l'unique confidente pour certaines. Leurs precieux temoignages me permettent d'y
voir plus clair. Je me rend compte que chaque vecu est different. Je suis rassuree qu'on puisse vivre une IVG sans que cela reste un traumatisme. Je retrouve des similitudes
dans les deux temoignages notamment au niveau de la prise en charge. Toutes m’ont parle de ce cote routinier, procedurier, expeditif du personnel soignant.
Lorsque Laura me parle de cette femme, qui pleure dans le lit d’a cote, je ne peux m’empecher d'y voir ma sœur. Laura ne saura jamais si cette femme vivait une
interruption volontaire ou non, elle ne se posera meme pas la question, et c’est normal. Normal parce que dans ce centre j’ai l’impression qu’on melange tout, les femmes,
les raisons de leurs venues et leurs souffrances. On prend en charge de la meme maniere une femme qui souhaite avorter, qu’une femme qui ne peut pas garder son bebe. Si
ces femmes ont bien vecu leur prise en charge dans le cadre d'un avortement souhaite, qu’en est-il de ma sœur ? Je ne trouve toujours pas de reponse aux raisons de cette
negligence. De plus le temoignage de Camille me pousse a me demander s’il ne serait pas preferable d’etre endormie pour pouvoir supporter une IVG ? Elst ce que
l’anesthesie generale peut etre une solution ?
Toutes ces questions ont tourne en boucle dans ma tete durant une semaine. A force de me les repeter, je prends conscience qu'il me faut passer de l’autre cote. Il faut que je
me confronte au personnel soignant. Les experiences personnelles sont trop diverses les unes des autres, et chacune, de part sa propre subjectivite vit le moment
differemment. Poourtant pour l’equipe medicale, une IVG c’est la routine, c’est des gestes, des mots qu’on repetent inlassablement. L’ecoute est-elle la meme a chaque fois ?
Aussi attentive ? Bienveillante ? J’en doute encore. Je decide donc de me confronter a nouveau au CMCO.
...
La suite de mon travail est encore en preparation, j’espere pouvoir continuer ce projet dans les prochains mois a venir.