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Titre: Entretien Vincent 17 avril PDF

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Entretien avec Vincent Maillard

Pourquoi ce titre Springsteen-sur-Seine?
Les chansons de Bruce Springsteen sont la bande-son du livre. Elles ponctuent
le récit en le colorant, en lui donnant un relief, une tonalité particulière, à la fois
rageuse, rock, mais aussi, dans le même temps, mélancolique, chargée d'une
certaine tristesse. Il y a un souvent ce mélange entre l’énergie et la dépression
dans les chansons de Springsteen que je trouve très intéressant. Ce mélange
m'a semblé en accord avec le récit, le propos et la trajectoire des personnages.
Springsteen exprime de manière poétique les difficultés quotidiennes, ou plus
profondes, des classes populaires dont je parle dans le livre.
Les chansons donnent aussi une cohérence musicale à l'univers géographique
du livre, un univers assez disparate, fait de zones pavillonnaires, de cités,
d’anciens villages devenus des petites villes dortoirs et une population qui, à
l'image de cette géographie, est, elle aussi, très variée et fragmentée.
Springsteen, bien qu’il soit dans un contexte américain, par les histoires qu’il
raconte, et par le public auquel il s’adresse, raconte cette population et ses
difficultés.

Au delà de Springsteen, diriez-vous que vous avez voulu donner une
place particulière à la musique dans le livre?
Le personnage principal est musicien, batteur, et fan de Springsteen. Pour lui
c’est la seule échappatoire dans sa vie. D’une certaine façon, il ne vit que par la
musique. La musique qu’il joue avec son groupe Les Thénardiers, et celle de
Springsteen, apportent de l’énergie, des coups d’éclat, de l’amusement, un
peu de fun et de couleur dans cette grisaille et cette résignation de la grande
banlieue.

Vous avez voulu ancrer cette histoire dans un territoire particulier, qui
n’est ni la banlieue des grandes cités, ni la ville, mais une zone
périphérique peu connue.
Oui, l’univers du roman est celui de la grande périphérie, cette zone grise,
entre la ville et la campagne, au bout des lignes de transports en commun, ces
endroits trop souvent défigurés par les zones commerciales et industrielles.
Avec ces fameux ronds-points successifs et ces reliques de centres-villes qui
font des efforts pour ne pas sombrer. Cet univers est celui d'une majorité de
Français. Une majorité invisible, en grande partie populaire: des ouvriers, des
employés, des jeunes précaires ou des retraités qui ont fui les centres des
grandes villes à cause du prix des logements et fui également les cités du
logement social pour cause de surreprésentation d'une population d'origine
étrangère. Ces "territoires" comme disent les politiques, sont souvent décrits
comme mis à l'écart des évolutions du monde moderne, "mondialisé" etc., ce
qui est une absurdité lorsqu'on parle d'une majorité…
Antoine et Callista, les personnages principaux, sont, comme les autres,
façonnés par cette géographie. Discrets, anonymes, mais sous tension. Sous le
couvercle des regards qui fuient, des embouteillages, des couleurs de ciment,
des rues vides dès le soleil couché, ces espaces sont comme une cocotte
minute sur le feu dont la soupape de sécurité est bloquée.

Vous êtes né en banlieue aux Mureaux, puis vous êtes retourné vivre à
quelques kilomètres de là il y a quelques années. Springsteen sur
Seine se nourrit-il de votre expérience?
Nécessairement. Lorsqu'on habite quelque part, on s’imprègne des lieux, et
c'est un bon début pour les raconter. Cela ne veut pas dire que l'on ne peut
pas en parler quand on n'y habite pas, ni même que mon point de vue serait
nécessairement plus juste. Il s'agit d'un roman, et non d'un essai sociologique.
Mais disons que cela, sans doute, nourrit le récit "de l'intérieur". J'ai aussi vécu
ailleurs, à Paris, puis à la campagne pendant plusieurs années. J’ai exercé un

métier, journaliste, qui m’a fait beaucoup voyager. Et je crois que c’est
justement à cause de ces différentes expériences que je m'efforce de saisir
quelque chose qui est assez insaisissable dans ces endroits-là, mélangés,
indécis, un peu flous. Quelque chose qui leur est particulier et qui
malheureusement n’est pas très enthousiasmant, car dans ces zones les gens
vivent de manière très cloisonnée, avec un déclin des accès aux services publics
et aux activités culturelles, peu d’endroits où les gens peuvent se rencontrer.
Bien entendu, là comme ailleurs, les généralisations sont périlleuses et il y a
dans ces zones des vies heureuses, de belles histoires, de beaux endroits, mais
ce sont des résistances à une tendance pesante. Donc oui, bien sûr, le livre est
nourri par ces endroits que je connais bien.

A l’origine vous n’êtes pas écrivain. Springsteen-sur-Seine est votre
premier livre.
Oui, je suis passé du journalisme en image - j’étais journaliste caméraman - à
une écriture pour l’image, puisque j’écris des scénarios. J'imagine – ou
j'espère?...- qu'il y a une démarche commune dans mes expériences
successives, journalisme, réalisation de documentaires, écriture de scénarios, ce
roman: celle de raconter le monde dans lequel on vit, d'essayer de le
comprendre. Que ce soit en images ou en mots. Et puis il y a cette recherche
du rythme interne propre à chaque récit. Que je travaille sur un livre ou un film,
il y a toujours une affaire de rythme. Et ce n'est évidemment pas sans rapport
avec le fait que le personnage principal du livre, Antoine, soit batteur. Il y a une
résonance entre rythmer une histoire, rythmer un film, rythmer des images ou
des mots, et la musique.

Vos personnages sont des héros anonymes et discrets, diriez-vous que
Springsteen-sur-Seine est l’histoire de gens ordinaires qui vivent des
situations extraordinaires?
Oui, précisément, j’ai voulu que les personnages soient parfaitement ordinaires
parce que c’est ce qui caractérise les populations de ces endroits-là. Ce sont
des gens qui sont oubliés depuis longtemps par les media, par les politiques, y
compris par les fictions, parce qu’ils n’ont rien qui achoppe. Ils n’ont rien sur
quoi on puisse bâtir immédiatement une fiction. En général, les médias et les
fictions préfèrent s’intéresser aux gens qui ont, ou vivent, des situations
d’emblée extraordinaires, par leurs caractères, leurs métiers, leurs vies
aventureuses, ou alors à des gens qui vivent des difficultés terribles, la misère
noire, l’exclusion, la maladie... Du coup les gens qui sont dans des petites vies
anonymes échappent souvent aux fictions, par définition pour ainsi dire. Mon
but était donc en effet de partir de gens qui, au départ, non seulement n’ont

rien de très particulier, mais en plus ont décidé de se conformer à ce modèle là,
ce modèle de tranquillité, d’anonymat, d’ambition bridée.

Justement une des idées qui traverse aussi le livre c’est que les héros,
du fait de leurs origines géographique et sociale, s’empêchent d’avoir
de l’ambition, de réussir, de sortir. Comme s’il y avait non pas un
plafond de verre mais des murs de verre autour d’eux.
Effectivement Antoine et Callista sont contraints et enfermés par la géographie
dont on a parlé. Surtout pour ce qui concerne Antoine, car pour Callista c’est
plus une question de timidité, quelque chose qui relève plus de sa
personnalité, de la psychologie. Chez Antoine, s'y ajoute une contrainte
familiale. Il est né dans un milieu ouvrier, modeste, et pèse sur lui une sorte de
fidélité à cette origine qui en effet l’empêche, ou lui interdit, de manière
inconsciente, de réussir. Lui qui est un excellent musicien aurait pu déjà, à l’âge
qu’il a, faire carrière, mais en fait il continue de vivre une petite vie de
réparateur d’ascenseurs parce qu’il s’interdit, sans le savoir, de réussir.

Pour raconter cette histoire vous avez choisi une forme qui
s’apparente au polar. Avez-vous choisi volontairement une forme
assez populaire?
C’est un roman avec une intrigue qui s’inscrit dans une forme proche du roman
noir, avec des éléments qui évoquent le thriller, puisqu’il y a des ascenseurs qui
tombent et des gens qui meurent... mais l'idée était surtout d'établir un lien
entre la vie tout à fait anonyme de ces personnages et les superstructures
politiques, institutionnelles du pays. Je raconte une corruption politique à
l’échelle locale, ce qui n’est pas seulement un alibi ou une astuce pour mener
l’intrigue, mais explique aussi l’abandon de ces zones géographiques et la
résignation de ses habitants. Le pouvoir, depuis presque quarante ans,
appartient de plus en plus à la finance, soit directement, soit par l'intermédiaire
des gens qui acceptent ce pouvoir de l'argent, adhèrent à l'idée que le marché,
la concurrence, la victoire des plus forts puissent réguler une société. Dans mon
histoire, les hommes de pouvoir, Walras et Ayad, adhèrent à ces idées.
Jusqu'au bout, au delà des lois républicaines. Ils sont deux voyous. L'un est
plus présentable que l'autre, officiel, reconnu, mais ils sont comme les deux
faces d'une même médaille.
Bien entendu, cette dérive explique aussi la situation de tous les gens qui, en
bas, ont de plus en plus de difficultés. La plupart, s'y résignent. Comme s'ils
avaient, eux aussi, fini par accepter que ces idées étaient incontournables, qu'il
n'y avait "pas le choix". Même sans être - comme Antoine et Callista - dans des
situations précaires, ils baignent, nous baignons, dans ce discours martelé du

"il n'y a pas le choix". Un discours qui ne permet plus le débat, la
contradiction, la dialectique, qui ne fait qu'exacerber les tensions. Jusqu'à ce
qu'elles explosent... C'est une dimension politique affirmée au livre.

Ce roman sort quelques semaines après le début du mouvement des
gilets jaunes. Difficile de ne pas y voir une certaine forme de
résonance.
Le livre a été achevé au moment où ce mouvement débutait. Un peu par
hasard, mais pas seulement. Ce qui n’est pas du hasard, c’est la réaction de
cette population depuis si longtemps oubliée et dénigrée, ces classes bassesmoyennes dont la situation se dégrade depuis des décennies. Pour l’instant on
ne sait pas du tout comment ça va finir, mais de toute façon, que ce problème
trouve une solution maintenant ou pas, il restera entier, et il explosera de
nouveau si la situation ne change pas. Donc évidemment il y a résonance, parce
que le terreau des gilets jaunes ce sont ces lieux dont je parle dans le livre.
Bien sûr il n’y avait pas d’anticipation de ces événements, néanmoins, ce que je
décris, chez Antoine et Callista, c’est la transformation d'une résignation en une
décision de se battre et de s'émanciper.


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