EXODE par Kacem BASFAO


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Exode, ode à Aix, bagatelles éphémères, boniments de bateleur, désamour de l’amour : une tranche de vie est traduite en une poésie découlant d’une vision du monde pour le moins singulière. L’auteur manie tours et détours de la langue et met en partition polyphonique le déplacement, la migration, l’extranéité, les rencontres et les transports amoureux. Des textes graves ou légers hybrident poésie et prose et élaborent un style créatif et récréatif jubilatoire.

Plutôt que d’illustrer les textes, les photographies qui ponctuent le recueil entrent en résonance, par contraste, avec le vécu des lieux évoqués. Elles avivent les émotions qui circulent et les plis que la mémoire convoque.

Nom original: EXODE_Kacem-BASFAO_©_Variations poetiques_c_.pdf
Titre: EXODE
Auteur: Kacem BASFAO
Éditeur: Editions LE TRIMARD
Mots-clés: Poésie; Maroc; Maghreb; France; Migration; Amour; Poèmes; Jeux de mots; vers libre; recueil illustré; variations poétiques;

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Kacem Basfao

EXODE
Variations poétiques

LE TRIMARD
1

Kacem Basfao

EXODE
Variations poétiques
Photographies de l’auteur
Collection Ecritures

LE TRIMARD
2

Editions LE TRIMARD
Aix-en-Provence
Texte et photographies © Kacem BASFAO (2023)
ISNI : 0000 0000 3972 9721
ID VIAF : 1662740
Contact : kacembasfao@yahoo.fr

Partage du fichier autorisé aux conditions suivantes :
Attribution, pas d’utilisation commerciale, pas de
modification.
Edition électronique mise en ligne le 23 mars 2023. 130 pages

ISBN : 978-2-38505-002-3
Dépôt légal : Mars 2023

3

Présentation de l’ouvrage
Exode, ode à Aix, bagatelles éphémères, boniments de
bateleur, désamour de l’amour : une tranche de vie
est traduite en une poésie découlant d’une vision du
monde pour le moins singulière.
L’auteur manie tours et détours de la langue et met
en partition polyphonique le déplacement, la migration, l’extranéité, les rencontres et les transports
amoureux. Des textes graves ou légers hybrident
poésie et prose et élaborent un style créatif et
récréatif jubilatoire.
Plutôt que d’illustrer les textes, les photographies qui
ponctuent le recueil entrent en résonance, par
contraste, avec le vécu des lieux évoqués. Elles
avivent les émotions qui circulent et les plis que la
mémoire convoque.
4

« Ce qui vient au monde pour ne rien
troubler ne mérite ni égards ni patience »
(René Char, « A la Santé du Serpent », VII,
in Fureur et Mystère, Gallimard, 1948).

5

EXORDE
La fée rosse de mon adolescence a agressé l’ogresse féroce
de mon enfance. Je les ai rembarrées toutes deux. Et donc
remis à sa place de formule primaire simpliste l’identité
culturelle. L’originelle dette symbolique inhérente au
hasard de naissance n’éteint pas l’universel devoir envers
l’humaine condition. Même si d’aucuns se leurrent de
souche et s’accrochent aux racines, arbitrairement focalisées sur une étape ou l’autre de leur généalogie, nous
sommes tous produits et acteurs de migration. Sans
exception aucune. De ceux attirés par le vert feuillage de
la canopée, ou de ceux qui reprennent la marche vers des
lieux où l’herbe est plus verte. Et où, pensent-ils, l’air est
plus respirable ou même vivifiant. De branche en
branche, d’espace à espace, cette aventure écrit l’histoire
de l’espèce. Depuis la nuit des temps, les hommes aspirent
à repousser les limites et à passer les frontières érigées qui
insultent leurs rêves et leur accomplissement. Le mouvement est la règle de la traversée ardente qui se termine en
poussière. Pour cela même, où que je sois, j’en suis venu à
m’en tenir, comme boussole, au tronc commun de
l’humain.
6

Le déplacement et le dégagement sont plus état d’esprit
que démarche physique. Ces textes ressourcés à bien des
horizons passent outre toute assignation à résidence et
toute géographie identitaire idéologiquement ou administrativement délimitées.
Champs labourés et semés de signes et de sons, ces chants,
revêches ou légers, sont composés d’émotions et de
motions, d’attraction spéculaire des mots et de musique
de la langue. Leur écriture palimpseste est traces de cuir
tanné par la vie et de méfiance envers l’attirance piégeuse
de la facilité. Cet écrit a conscience aiguë que les textes
dont il se compose ont besoin de tout ce qui fait un
lecteur averti pour se décharger et dégager sens et
potentialités.
Se tente ici une écriture créative et récréative, rigoureuse,
où le badinage avec la langue n’est pas approximation
mais expérimentation expressive. Le dessein est de jouer
de tours et détours de la langue et d’en combiner le relief
analogique et la polysémie pour signifier et pour pointer
une densité éprouvée. Ce qui implique s’attacher à éviter
l’écueil de la systématicité du jeu de mots divertissement
forcé et improductif. Je me défie en effet trop de l’ivresse
solipsiste de la forme pour lâcher bride à la tentation
autarcique qui ferme le texte à l’épreuve de l’appréciation
collective.
En ce temps où ça se bouscule sans vergogne au portillon
des lettres, je n’aspire guère à en être. L’autopromotion et
7

la sollicitation de lecture ne sont ni mon délire ni ma
manie. Editer, c’est lancer une bouteille à la mer. J’ai
choisi d’offrir en accès libre mes ouvrages, par privilège
de pouvoir me passer des trois sous qui pourraient me
revenir en droit d’auteur ainsi que du savoir faire, pas
toujours impeccable, d’une maison d’édition à but
lucratif. Cela m’impose d’être foncièrement artisan et
m’offre la rare opportunité d’assumer totalement, hors de
tout circuit marchand et en toute liberté, la folle témérité
d’écrire.
Ecrivain ne peut, c’est du moins mon ressenti et mon
choix, constituer a priori un métier, une fonction ou un
titre, c’est une qualité que l’on ne devrait pas s’octroyer,
sauf à prendre le risque du ridicule. Toi seul lecteur as la
légitimité de recourir ou non, en toute légèreté ou en
connaissance de cause, à ce qualificatif.

8

Kacem Basfao. Portrait. 2019. © A. Moukhtari.

9

EXODE

10

Aix actes et Aix actions
Aix cosmopolite : qui ne démesure pas son désir de la
mesure du monde s’englue désespéré.
Aix les chapelles : à chacune ses rituels. Mouvances où ça
pinacle, mots de passe, cénacles où ça pinaille.
Aix les bars : à chacun sa faune et sa flore. Erre et bois un
verre sur la terre lasse des terrasses. Si tu as foi dans le
Vert, l’éclaté, le sacré Livre ouvert, le maquillage,
l’homme au sexe alité, l’Orient (côté « qui te ment doux »),
ramasse : t’as gagné ton lot des Deux Magots provençaux,
ton cercle aux Deux G., ta table au Cintra ou ta chaise au
Mondial délaissé depuis qu’il a changé de peau, car
l’imbibé ne reconnaissant plus l’odeur de sa mère
allaitante est allé voir ailleurs.
Aix les bains : à minuit les rires en cascade connaissent
par cœur le parcours des fontaines, et sur la Place des
cardeurs des mains lestes arrosent la conversation.
Aix la folle, la transformiste a ses piliers qui font la
mode… et qui font les bars pour donner le change.
Lorsque le rouge est exsangue, ils portent le noir (couleur
d’hémoglobine sèche) ou le rose (lorsque, délavé, le
11

gonfalon rouge sang se fait ruban en représentation).
Mais ne leur dites pas que ce sont des bleus, et qui plus
est tendres girouettes : ils riront jaune et vous
rétorqueront que le vent souffle dans votre caboche, ces
cabotins. Autour d’un pot, ces feux follets croisent le fer
avec la réalité de leurs désirs. Souvent des sirs dont les dés
sont pipés… et pas par eux, désespérés. Le rôle du
bouffon est écrit par le Prince : Il a octroyé une année aux
fées ministres.
Les folles mouvances qui laissent bien aises ses
arrières réaniment ses déceptions : le pet des ratés
anime ces réceptions.
L’étudiant émigré prépare sa bière : ses idées haut
logées, il ne lui reste plus qu’à se prendre un bock
et à boire la tasse jusqu’à l’hallali.
Les décidants ont dissidé : le mat haut hissé en 68
n’est plus valeur refuge. Le Pivot littéraire de la
télévision a ouvert la lucarne aux nouveaux « amis
de l’intérieur ».
La « chienlit » faisait la sourde oreille aux cris des
goulags, les « nouveaux philosophes » ne la font
pas à la clé des chants doux du succès : la télé est si
reine ! Son champ porte si haut….. et si loin ! Pour
ne pas prendre de veste, ils ont tourné la leur à
temps. Les Pros, les « t’as rien ! » sont devenus
filousophes.
12

Les Deux Garçons tiennent le haut du pavé, de celui
enterré depuis Mai. La marge du Cintra se serre la
ceinture : là, seul le houblon nourrit la soif de dignité de
l’élite migrante. Après tours et détours, retour en catimini
de certains au giron Mondialiste, gardien des cours bien
bas du Cours Mirabeau, sur le trottoir duquel ne cesse de
courir la Scène.
Aix vadrouille : salut à vous paumés du petit matin, vous
êtes le sel de la ville, sa vie conflictuelle. Pour les troquets
en mal de respectabilité et leurs roquets de garde en vous
se concentre tout le sale de la terre : Aix racaille.
Aix canaille : l’hostie est un tranquillisant et confesse ôte
à l’hôte le souci des devoirs millénaires édictés pour que
vive le convive.
Aix tradition : ses fontaines sont sur Aix posées. Aix îles,
Aix primé des touristes expansifs, ruissellement d’hôtels à
particule. Sur la table des bistrots, mirant les platanes
malades, la muse gueule à l’heure du sommeil des justes.
Babel provinciale. En cette Rome antique cité l’espoir est
cosmopolite.

(Aix-en-Provence, 1981)*

* Ce recueil intègre cinq textes, localisés et datés, dont l’écriture
première remonte à près d’un demi-siècle. Ils évoquent le contexte
épanouissant mais aussi l’atmosphère de xénophobie et de meurtre
raciste qui ont marqué le jeune observateur curieux de découvrir le
monde nouveau où il a débarqué pour poursuivre ses études.
13

Café Les Deux Garçons (classé monument historique),
Aix-en-Provence, 2019 © K.B.

14

Sous à venir de France
L. M. N., le sors en est jeté !
L., au fin fond de mes désirs
Voix, impossible possession
Des raisons de l’amour : mixité utopique
M., ligne mince obturant mes plaisirs
Voie, territoire et bâton du berger
Les flaques de ma sève forment la Méditerranée
Vois ! Des espoirs déserts de vie désirent
Dans le maquis de ma mémoire
La francisque a entaillé le tronc
Entre feuilles et racines
Le squelette et la chair
Le provisoire perdure
Des airs de vie sont parqués en cités de transit
N., l’étau de l’hospitalité
Le seuil d’intolérance est à tue et à toi
Avec l’hostilité
Les maures serrent la louche à la mort
15

Quand bien même ils s’en sortent le ressort est cassé
Et l’amer se morfond au tréfonds de soi
Elle. Aime. Haine.
(Aix-en-Provence, 1977, année du « million Stoléru »)

16

Aquisextain graffiti
La rue meurt.
La rumeur est son cancer.
Les murs ne parlent plus d’espoir… ils dégoulinent de
vindicte.
La plupart le cèlent et pourtant la différence est leur
noire bébête : on mijote au bicot-nègre sa place dans
la diaspora des déportés… on l’importe, on
l’exporte… on l’exploite, on l’expulse.
Des flots de paroles fielleux giclent incendiaires au
passage de l’Autre : lorsqu’ils ne sont pas encore
parvenus à la bouche, ils sont dans le regard
implacables et palpables.
Pour les chauvins belliqueux, les crouilles grouillent. La
marge s’ébauche dans l’indifférence de rigueur : le gueux
rit de l’autre et la fripouille s’attaque à lui. A coups de
trique elle le traque.
Le maure meurt dans la rue. Les passants le piétinent au
passage : S’arrêter ? A quoi bon ! L’est trépassé… ou
sûrement un poivrot cuvant sa cuite. Encore un qui ne
vaut pas un rot de repu.
17

Pour peu que sa raie les éborgne, ils lorgnent à côté :
les vitrines sont plus belles et le toutou plus alerte.
Ni vu ni connu, ils continuent leur chemin : Nus
face à leur vacuité, lâches… de mèche avec le
xénophobe, leur adiaphorie a tué cet homme du
dehors.
Les murs de la ville ne sont plus en colère ; ils ne créent
plus, ils insultent, renvoient et menacent de mort.
Les mûres de mai sont délaissées pour les pêches. Il en
pleut, qu’on soit dans le coup ou pas, de celles manifestes
où le matraquage manu militari le dispute au festival
estival d’opéra couru par les esthètes. Nenni, la saison des
marrons est révolue : Si le dissemblable arpente la rue, il
récolte des pruneaux.
La rumeur meurt puis renaît. Sur le Cours Mirabeau
coule la haine.
L’heure murale l’étale noir sur blanc : le blanc raciste, ce
con vaincu par ses fantasmes écrit en humeurs peccantes
sur le Noir, l’Arabe, le Juif après quelques blancs secs pris
au barbare du coin.
LA RUE ME HEURTE.

(Aix-en-Provence, juillet 1978)

18

Un raton disert
D’aventure, un raton depuis dix ans le mors aux dents
disait, à qui veut bien l’entendre au bistrot, être exploité
dix heures par jour.
De sortie, un fait d’hiver agresse ce réprouvé. Ni une ni
deux, poison sans bavure, la bave raciste a produit un
cadavre. Ça n’a pas fait de une : ce bavard disant ses
motifs d’éprouvé est un homme maure. Mort et enterré
dans un entrefilet fosse commune, entassé entre chiens
écrasés et vélos volés.
Ce bicot bouc émissaire n’avait pas le melon. Il rasait les
murs. Ce raton diseur était laveur de vitres.
Aucun espoir ce jour. En ce pays de « justice », le Noir est
noirci et le Blanc blanchi. Le crime est à couvert : le
criminel ne sera pas pincé et, au cas où, la défense
illégitime est à découvert pour tutoyer la mort et rebattre
les cartes. Les maures ne digèrent pas le fiel ni les
pruneaux ni le sang déversé, habitués qu’ils sont à tendre
le lait et les dattes fourrées à l’étranger reçu. L’amertume
de ce miel floué est là taraudant le barbare au pays des
tartares.
(Aix-en-Provence, 26 juillet 1981)
19

Aix-en-Provence, Cours Mirabeau © K.B.

20

Fallace
Liberté, Egalité, Fraternité.
Si tu t’imagines
Etranger étrange
Que les suppôts de la satanique Souche
Supposés anges sans mélange
T’envisageront
D’eux-mêmes
Comme l’un des leurs
Tu te leurres
Il n’est jamais l’heure
Pour ceux-là
De donner corps
A la devise des frontons
Impose-toi
En te posant comme Un
De l’humaine communauté
Accepte-toi composite
Comme tout être
Et emmouscaille ce monde

21

Mortifères errements
Carnaval est fini
Tombent les masques
D’argousins mal bâtés
Dont le tutoiement quotidien
Humiliant et mortel
Sert d’amadou
Aux armes et aux mots d’assassins
Seule l’innocence des victimes
De barbares ignares
Terroristes de l’heure
Traverse le miroir médiatique
Le dispositif journalistique
Tait les méfaits
Des brimades verbales
Il s’engage et charge
La rage de la terreur enrôlée
Mais décharge
En les passant sous silence
Les dérives mortifères de la force publique
22

Têtes de saints décapités, cathédrale Saint-Martin de Bonn. 2014. © K. B.

23

Les noms
Relégués par le passeport inutile
et écartés par le visa impossible à décrocher
les désœuvrés qui tiennent les murs
et les désespérés prêts à brûler leurs vaisseaux
sont captifs de leur terre de naissance
Ces prisonniers initiés au droit naturel à la mobilité
enjambent l’horizon au risque de leur vie
Pour ces outrecuidants ce n’est pas s’opposer
mais une lapalissade
que de prendre la mer
et de passer les palissades
Ce n’est qu’appliquer le droit intangible de l’humain
à la Terre
où l’être qui se met en mouvement
accomplit l’aventure térébrante de l’espèce
Epreuve embrayée par la nécessité de survie
ou la curiosité de l’exploration
Les itinérants régulièrement embarqués
et revenus par choix de l’autre monde
et de ses artifices
ne sont pas bien fondés
24

à dire aux candidats au départ clandestin
qu’ils acheminent leurs espoirs perçants
vers des pays cannibales
et l’enfer étranger
Immigré / expatrié
Ex ou in ça change tout mais dans le paradoxe
Les vagues d’émigrés-immigrés du Sud au Nord
deviennent par tour de passe-passe interlope
vogue d’expatriés au Sud venant du Nord
Ruée vers l’or où chez eux c’est chez l’autre
ou du moins investissement étranger coté à la bourse
d’un déséquilibre de représentation immonde
qui ne calcule pas la violence de l’affaire
Inégalité d’échanges et de traitement
où les uns subissent des qualificatifs imposés du dehors
et les autres par abus de position
se qualifient d’eux-mêmes
et inventent une asymétrie méliorative
qui maquille et escamote spécieusement
le statut commun de migrant
Emigré / immigré
Champ lexical où le choix du préfixe pointe
la mise en relief du courage héroïque de l’aventurier
qui s’arrache pour renaître
ou la croyance en une invasion
soubassement du fantasme du grand remplacement
où se rejoue furtivement
un rappel de conceptions nauséabondes
25

de sinistre mémoire
« espace vital » « vermines parasites » et « pureté »
où l’identité cultuelle se substitue dans les mots à la race
Cette traversée extrémiste du miroir
a une visée démente
neutraliser la pérégrination et le métissage
c’est-à-dire imaginer pouvoir porter un coup d’arrêt
à la marche des hommes
Ordre immémorial du monde !

26

Déplacements
Les migrants de l’heure
s’orientent à l’étoile polaire
Ils ne sont plus portés
par le rêve du retour
étayé de parcimonie
sur salaires encaissés
pour emballer les siens
se dédommager des années de labeur
et d’accumulation de peine
afin d’oublier les bouges habités
et les travaux forcés
En retour de rémunération
ces nouveaux exilés volontaires
veulent vivre sans pression
et consommer à loisir
Ils n’acceptent plus l’humilité
ni d’être humiliés
Leur placement
est dorénavant
d’ici et maintenant

27

Amoudou
Amoudou appel amazigh de la route et d’ailleurs

Mode de vie aisée ou simple espoir de sursis du précaire
Odyssée nourrie de la rudesse du présent et des monts
Une aventure amadouée pour changer la donne et d’air
Dessinant la ville comme éden
Où les hommes des terres arides s’imaginent
Un avenir prometteur comme nouvel horizon

28

Linceul en étendard
Dis, toi qui toujours bouges, où en es-tu ? Où te mènent
tes détours ?
Mon instabilité ne se nourrit plus d’espaces lointains. J’ai
sué sang et eau pour l’exténuer. Mon bouge dorénavant
me suffit. La route érode et je rode en complète déroute,
sec dans mon havresac de peau tannée par les déplacements. Mon suaire.
Je m’enferre.
Sans m’en faire, j’ai erré de déserts urbains en déserts
humains. Fatigué, à présent je me fixe. Je me claquemure
et m’enterre.
Seul, merveilleusement. Solitaire, par besoin de recueillement, m’astreignant à vivre uniquement, simplement,
totalement et sans diversion. Concentration face à soi qui
dispense de vouloir et décharge de la pression sociale.
Relié conscient et même parfois m’immergeant, sans écart
et sans être écartelé. Connecté certes, mais absorbé
néanmoins par la douleur du sentiment inéluctable de la
séparation.
29

L’écot des chants des migrants du besoin : des airs équivoques. Au bled, ils pensent Eldorado parce que le navire
chavire et, loin de chez eux, évoquent le « pays » avec
nostalgie. Piège à transhumance : pour s’en tirer, se tirer
d’où l’on est.
Le croire est se fourvoyer.
Attiré par l’Ailleurs, sans cesse entre deux chaises, ni d’ici
ni de là-bas. Autrement dit en moi l’Autre mendie à l’envi
la réclusion solidaire. Comment s’en convaincre puisque
ça crève les yeux.
L’un seul et sans domicile fixe : Errance est contraire de
délivrance.
L’autre fourvoyé, enfoncé, depuis belle lurette abusé par
les discours sur la vie que vous lui avez inculqués dès
l’enfance sans lui demander avis : Se bouger, se mouvoir
pour accumuler… et vivre plus tard.
Et, plus tard, c’est trop tard.
Dans l’attente, le squelette se morfond au tréfonds de soi.
La tente du nomade est le signe patent de l’éphémère
passage. No man’s land.

30

On s’enferre ou s’enterre. Au milieu de la foule, à mille
lieues de la foule : on se retrouve implacablement au seuil
de soi-même et, en dernier lieu, pauvre hère sous terre.
Las, je me terre là. Sain survivant ni saint ni martyr.

31

Aix-en-Provence. La fontaine de la Rotonde. © K.B.

32

AIX ODE

33

Estivales aixoises
Le blanc aspirant au bistre et cinabre
les chairs des Nord s’en viennent
s’étourdir aux braises provençales
et aux cigales reines
des garrigues pastorales
Rang d’oignons suant
randonnées escalades scalaires
où l’oublieux se risque à aller
du silex biface au laser chirurgien
qui lacèrent les carnes
Siestes sirènes du lâcher prise caniculaire
à l’ombre d’une rare verdure
divertie par des ciels éblouis
et des cieux santonniers
La fraîcheur apéritive coutumière
parachève le fouet des embruns de l’écume marine
et les journées cultivées
de croisés croisés au carrefour de mondes assoiffés
d’un passé prestigieux
34

Festival opéré en tenues de soirée et flûtes champenoises
où la scène qui s’exhibe est sur les gradins
Société graduée qui se gargarise d’élitistes impressions
pendant que la lie de rouge baignée
s'enchante de flûte de pan bagnat
Nuits interminables parenthèses
Rotonde sous l’astre noctambule
où la foule indigène
s’emplit les mirettes des lumières du bouquet final
avant de se claquemurer
pour s’oublier dans le somme qui divise
après l’expression des chaleurs pressantes

35

De saison
Eclat des couleurs fauves
Histoire qui parlemente avec la tectonique
des roches de Bibémus aux ocres de Roussillon
relevés du vert sombre des pins alépins
Fractale des souvenirs
d’estudiantins déjeuners sur l’herbe
tatoués sur les berges de la Torse et de l’Arc
Rosé dégoulinant de rosée
Ombre et soleil dardant ses nitescences
à travers la frondaison roussie
des platanes affectés du chancre coloré
reluquant la foule dévêtue
qui fait les trottoirs du Cours
et les m’as-tu-vu des terrasses
Pastaga de glaçons allongé
siroté au pied de l’ancien beffroi
En accompagnement
olivettes niçoises
filet d’eau des fontaines
et Mistral provençal
36

Le vent et le Maître
chantre d’une langue et de traditions
sourcées de latin vulgaire
et de troubadours andalous

37

Roussillon en Provence, La vallée des ocres. © K.B.

38

Aix surexposée
Ville minuscule
exposition majuscule
Le roi René a réussi son coup capital
sa capitale télégénique
apparaît plus que de raison
aux fenêtres métropolitaines
ouvertes au désir de savoir et aux ragots télévisés
Aix aimante les reportages
même sur des sujets qui paraissent improbables
à qui habite la sudiste cité
Elle sait s’accrocher
une fois la table desservie
aux restes magnifiques des repas
que l’histoire lui a
à toutes époques servis
Multipolaire elle est impossible à englober
Si elle surexpose à poison son Cours
et ses atours
elle sait celer ses jardins secrets
et jusqu’à ses facettes les moins reluisantes.
Sa mémoire est sélective
39

ses ors portés recèlent à foison ombres et ténèbres
qu’elle fait mine d’oublier
Exemplaires ses Dupont Lajoie limonadiers
de La Belle Epoque ou du Grillon
ou la mort de l’Amour sur la conscience
de gauches parents de gauche
et de l’ordre moral
Ici Love Story s’est tourné en Mourir d’aimer
Au siècle prétendu cartésien
déjà
pour parer aux feux du désir
la part obscure des fontaines
a allumé le bûcher
Aix tous risques
ses touristes n’en savent rien

40

Secrets d’Aix
Le magistère de la Cour s’entretient entre soi
Il s’arrange des arrêts notifiés aux barons des cellules
Les bourgeois se calfeutrent et amassent les mas
L’université soigne le polissage
des facettes de diamants
issus des quatre coins du monde
La cité des Gazelles enchante les natures libérées
Célestes créatures terrestres
féminines masculines
les houris délestées de ces us et pressions sociétales
Vénus du fond des âges
tombées des colonnes d’Hercule
et des atlantes du tribunal du commerce palpitant
transportent les jours et les nuits
Les genres ne s’effeuillent plus
sous le sceau du secret
Nul besoin de se prendre aux rets du Texte massacré
ni de s’éprendre à mort de l’attrape-nigaud édénique
Poussière ou cendres la faim d’infini se dissout

41

Aix-en-Provence, Atlantes, Cours Mirabeau © K.B.

42

Souvenir, souvenirs
C’était l’automne. Je venais de quitter le soleil africain
pour des études supérieures de lettres. L’aleph de ma vie
perdu de vue, éperdu en terre encore inconnue, la liberté,
l’esprit et la plastique d’Alya m’ont été un humus de
transplantation et de germination. Une saison aux
sensations à jamais mémorables.
Les plaquemines du jardin, la chaleur crépitante de la
cheminée, et celle rassérénante de l’amante au cœur de
mon corps ont alimenté et attaché mes aspirations
affectives en ces moments bénis de faim de vie, de savoir
et de découvertes. Les mélopées de Joan Baez, Graeme
Allwright, Serge Reggiani, Barbara, Juliette Gréco,
Léonard Cohen, Bob Dylan… ont accompagné nos ébats
et nos débats qui se prolongeaient jusque tard dans la
nuit. Il arrive qu’encore aujourd’hui ces voix sonnent à
mes oreilles et ravivent mes sens.
La récurrence l’atteste : le registre de mes passions
musicales est souvent marqué par mes liens du moment.
Par la suite, Ousmane, Izanzarne, Nass El Ghiwane, Idir et
Djamel Allam… sont venus y rajouter un présent du
passé et équilibrer la donne. Et, un peu plus tard,
Ouroboros ayant frappé, je me suis aussi reconnecté au
43

son, à la tessiture des voix, à la chair et au rythme de ma
glèbe et de ses racines chantantes.
Allouvis, nos choix et nos désirs allaient pour nous de soi.
Rien de pesant au dehors de nous. Surtout pas les
obligations ou les conventions serinées dès l’enfance.
Nous avions bien peu de besoins en dehors de nousmêmes. Ni enragés ni rebelles, nous n’avions pas le
sentiment de subvertir de quelconques valeurs
inculquées. Notre sève vitale balayait sur son chemin, et
même néantisait, tout ce qui n’était pas elle.
Force de la jeunesse : nous nous posions comme l’aune de
la définition de notre quotidien.
La juvénilité a l’exclusive du luxe d’originer absolument
son mode de vie et de le déterminer en se coupant du
monde d’avant. Et en rompant avec l’univers des autres et
le qu’en-dira-t-on.
Cette mémoire d’ailleurs et d’une autre époque s’est lovée
sur la colline d’Entremont, dans une petite maison
fourrée au milieu de la campagne aixoise.
Visite attendrie du cocon transitoire d’un souvenir
assouvi. C’était un temps aimanté où l’amante compagne
ne risquait pas de se métamorphoser en mante prie-Dieu.
Une ère où la bien-pensance des campagnes contre la
violence du voile, le vol du viol ou le viol du vol
n’étouffaient pas dans l’œuf, par principe chimérique

d’assurance tous risques, l’assomption de l’être et l’appel du
désir.
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Mont Venturi
Fuyant la catastrophe pandémique
Qui se propage par monts et par vaux
Un dinosaure masqué et son petit
Ont arpenté la monumentale élévation
Sanctifiée à foison
Crapahutant sur les rochers calcaires
de la montagne Sainte-Victoire
Du pic des Mouches surplombant les ocres des champs
Et les verts des chênes kermès et des oliviers
L’animal fossile s’est maintes fois nourri
du paysage sublime
Foulé par Zola et peint par Cézanne
Du sommet de son tellurique tremplin
le massif vise le ciel
Mais dévoyé ce terre à terre mont Venturi provençal
Allongé telle une odalisque accueillante
Ne s’ouvre désormais plus
Qu’aux entraînements irrévélés de collapsonautes locaux
Et aux plaisirs faciles de grimpeurs du dimanche

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Aix-en-Provence, Montagne Sainte-Victoire © K.B.

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Conscience exacerbée
Embryon intrapolé dans l’œuf noir du sommeil
Eternellement partie du cristal du mal entrant en
gare.
Trouble tombé d’Aix,
comme le Porteur de lumière de l’arbre
d’airain
de l’astre du matin.
Terrassé par l’envie de dormir, dans les entrailles
profondes du Bois, les couloirs sinueux du
métro parisien.
Cauchemar, désespoir rustique sans lit ni couchette,
bouteille vide sur le pas du trottoir attendant
le pied bienheureux du clochard qui sombre.
***
Feu, sourdine intrinsèque de l’instant qui gambade
dans le bruit trépidant
des gueules béantes des grands magasins.
Terre, ciel, brasier incandescent comme le regard
sulfureux de ces êtres ténébreux qui
surgissent du tumultueux Pigalle.
47

Femme, cœur, flamme : « Tout n’est qu’ordre et
beauté, luxe calme et volupté », drogue
incessante, branlante lâcheté imbue, luxure
mal barrée.
Dans ses bas-fonds, le stupre le dispute à la stupeur
des victimes et au stupide des cabots.
La ville lumière s’embrase de rouge de République à
Bastille.
Tra la la lalère… Anonyme esseulé, exaspéré par
Babylone-sur-Seine, j’ai envie de crier merde
à tous ces piétons qui piétinent l’herbe verte
de leur vie et à ceux qui mugissent sur les
Autres comme vaches vomissantes.
MERDE !
Des pompiers établis viendront éteindre
ou raviver
cet éclat exacerbé,
ce brûlot de papier qui calcine déjà
tranquillement
riant ironiquement
de toute gesticulation analeptique.
Excès de fatigue et d’exaspération.
(Séjour à Paris, Gare aux lions, Pâques 1970)

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Paris, une nuit de décembre 2019. © K.B.

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