Science en français, 2022 .pdf
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Peut-on encore faire de la science en français ?
Le français recule dans le monde de la recherche, mais il y a de la lumière au bout du
tunnel, croit Vincent Larivière, directeur scientifique de la plateforme de publications
savantes Érudit.
Santé et science
Par Jean-Benoît Nadeau - 30 novembre 2022
L’Université de Montréal et l’Acfas, organisme québécois voué à l’avancement des sciences,
publiaient en juin 2021 un rapport dévastateur sur le recul du français comme langue de
communication scientifique au Canada. Plusieurs de ses conclusions s’appliquent au Québec.
Les chercheurs d’expression française représentent 21 % de la communauté de la recherche au
pays. Depuis le milieu des années 1990, la proportion des demandes de subvention déposées en
français auprès des organismes subventionnaires fédéraux est passée de plus de 50 % à moins de
10 % en sciences de la santé et de 25 % à 15 % en sciences sociales, dans les arts et les humanités.
En sciences naturelles, cela fait longtemps que le français en est réduit à moins de 10 %. Sur la
même période, la proportion des nouvelles revues savantes en français parues au Canada est
passée de 20 % à moins de 5 %.
« Il se fait beaucoup de bonne recherche en français au Canada. Le problème est qu’elle se
communique en anglais », dit Vincent Larivière, 43 ans, coauteur du rapport et titulaire de la
Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante. Or,
explique-t-il, il est possible d’avoir une portée internationale dans la langue de Pasteur.
Il parle en connaissance de cause, à titre de directeur scientifique d’Érudit, une plateforme Web
qui regroupe 230 000 articles scientifiques parus en français et en anglais dans plus de
300 publications, principalement québécoises. Dès sa création en 1998 par un consortium de
l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’UQAM, ses fondateurs ont compris où la partie se
jouait. « On doit s’assurer que nos articles seront détectés par les algorithmes des moteurs de
recherche », dit celui qui est également professeur agrégé à l’École de bibliothéconomie et des
sciences de l’information de l’Université de Montréal.
Les 37 employés d’Érudit travaillent le référencement des articles afin que chaque hyperlien,
chaque note, chaque source soit reconnaissable par les Google de ce monde. « L’idée est que le
document sorte en tête des résultats des moteurs de recherche plutôt qu’en page 17. »
En 2021, le nombre d’utilisateurs du portail atteignait les 5,6 millions, pour un total de 33 millions
de pages vues la même année dans une centaine de pays. Et 75 % des demandes venaient de
l’étranger, notamment de la France (21 %) et des États-Unis (14 %). En plus de 1200 bibliothèques
abonnées dans 35 pays.
La francophonie scientifique profite du travail d’Érudit au Québec et de trois autres portails :
Persée à Lyon, OpenEdition à Marseille et Cairn.info à Liège, en Belgique. « Le cadre des
publications savantes francophones est meilleur que dans bien d’autres langues, précise Vincent
Larivière. Mais il nous manque encore la clé pour revaloriser la communication scientifique en
français auprès des chercheurs, des facultés et des organismes subventionnaires. »
« Il faut rééquilibrer la science vers un certain multilinguisme, qui
n’est pas si lointain, dit Vincent Larivière. Einstein a publié tous ses
papiers importants en allemand, et tout le monde se forçait pour
le lire. »
La mission, dit-il, sera de construire ce qu’il appelle une « économie de la réputation »
francophone. Car le « capital scientifique » des universitaires se marchande au nombre de
citations, de prix, de jurys et comités où l’on siège. Les éditeurs scientifiques anglophones, eux,
ont mis au point un très efficace système d’indices de citations, des bases de données qui font le
décompte de toutes les fois où un article est cité — en anglais.
L’enjeu social de la publication scientifique en français est énorme. L’usage systématique de
l’anglais oblitère des pans entiers de la recherche. Ainsi, bien des économistes du Québec vont
opter pour des sujets qui plaisent aux éditeurs anglophones. Et si on les laisse creuser la question
de l’incidence de la politique monétaire du Canada sur l’économie de la province, ce ne sera
jamais au même niveau de détails qui intéresse les Québécois, explique Vincent Larivière.
« Le résultat est qu’on a du mal à se connaître nous-mêmes, alors qu’on a créé des universités
québécoises pour se comprendre. Si on veut que la communauté nationale s’approprie nos
travaux, il faut qu’ils soient en français. Nos cégeps et nos facultés, qui enseignent en français au
premier cycle, ne peuvent pas utiliser les travaux de leurs propres chercheurs s’ils sont publiés en
anglais, à moins de les traduire. »
Érudit consacre désormais des ressources à l’étude de la mécanique fine de la dévalorisation du
français et des correctifs à mettre en place. Si ce portail s’est imposé, par exemple, c’est parce
que le Fonds de recherche du Québec subventionne les revues savantes, de L’actualité
économique à VertigO, à condition qu’elles versent leur contenu dans Érudit. Pour encourager la
publication en français, le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, a également créé trois
prix mensuels. « Ça marche bien en sciences sociales, dit Vincent Larivière, mais il manque de
candidatures en sciences naturelles et en santé. »
Parmi les solutions envisagées, il y a celle des quotas. En Chine, depuis deux ans, les chercheurs
subventionnés doivent publier 30 % de leurs articles en chinois. Les Brésiliens ont opté pour un
système comptable : pour chaque article publié en portugais, les chercheurs accumulent des
points qui leur donnent accès à des promotions ou à des primes.
D’après Vincent Larivière, les politiques qui fonctionneront ne devront pas être contre l’anglais,
mais pour un multilinguisme en science. « Parce que nos problèmes en tant que francophones
sont les mêmes que ceux des Portugais, des Finlandais, des Allemands, des Chinois, des Japonais.
On est dans un contexte d’hégémonie de l’anglais, de sa place vis-à-vis des autres langues. Nous
avons Érudit, les Brésiliens ont SciELO, mais les Néerlandais n’ont rien de tel. Le balayage du toutà-l’anglais a éliminé bien des revues en langue nationale. »
Avec l’Acfas et le gouvernement du Québec, Érudit est l’un des 181 organismes signataires de
l’Initiative d’Helsinki sur le multilinguisme dans les communications savantes, mise en œuvre en
2019. L’idée est simple : que les établissements, les facultés et les organismes subventionnaires
reconnaissent des langues autres que l’anglais. Or, explique le chercheur, les jurys scientifiques,
même québécois, discriminent souvent les articles en français sans même les avoir lus. « La
langue de publication ne devrait plus être un critère recevable. »
Les scientifiques francophones ont quelques bonnes cartes à jouer. Les universités et
bibliothèques américaines et canadiennes commencent à militer contre les grands éditeurs
scientifiques, qui imposent des conditions abusives (on doit payer pour faire paraître un article
dans une revue savante, en plus de débourser de l’argent pour des abonnements qui se chiffrent
en dizaines de milliers de dollars par établissement). Les jurys de sélection accordent de moins en
moins de crédit au critère des indices de citations, car celui-ci a entraîné une multiplication
délirante des auteurs — la liste des signataires de certains articles fait penser à un générique de
film. Et le développement de la traduction automatique joue aussi en faveur du multilinguisme.
« Il faut rééquilibrer la science vers un certain multilinguisme, qui n’est pas si lointain, dit Vincent
Larivière. Einstein a publié tous ses papiers importants en allemand, et tout le monde se forçait
pour le lire. »
Cet article a été publié dans le numéro de janvier-février 2023 de L’actualité, sous le titre
« Pour le multilinguisme en science ».



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