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« UNE EXPOSITION MODESTE MAIS GÉNIALE »

« Nous allons de ce
jugement faux au
jugement vrai ; nous
oscillons entre le sens
possible et le sens
réel ».

MARC VAYER

MASTERPIECES
Dans les pas de Marcel Duchamp

Henri Bergson, Le rire, 1900

Sonette du 210 West 14th Street New-York,
cliché Louise Vayer, oct 2017

30 FICHES D’EXPOSITION

MASTERPIECES
Dans les pas de Marcel Duchamp
Une exposition conçue par Marc Vayer
30 pièces rassemblées et/ou réalisées par Marc Vayer
+ adentas potentiels en fonction des budgets de production
+ références des œuvres duchampiennes citées
2015 - 2023
https://www.centenaireduchamp.blogspot.fr
mvayer@numericable.fr

Voici une proposition d’exposition qui envisage de renseigner les regardeur·euse·s sur la
cohérence globale des productions artistiques de Marcel Duchamp. Il s’agit donc d’une
exposition didactique qui déjoue la variété formelle systématique des productions de
Marcel Duchamp pour mettre en lumière le fil directeur qu’il s’était imposé lui-même
et trop souvent invisibilisé.
Il est vrai qu’en cryptant son travail, Marcel Duchamp n’a pas vraiment aidé les un·e·s
et les autres. Place donc au décodage...
Par la succession de pièces modestes et leur confrontation à des cartels riches et
explicites, l’exposition MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp montre
comment Marcel Duchamp s’est ingénié à maîtriser sa propre postérité.
Dans les années 1910, M.D. constate l’existence d’une loi sociologique indépendante
de la volonté de l’artiste, qui n’est rien moins qu’une loi d’accession des productions
artistiques au statut d’œuvres d’art. Plutôt que de s’y soumettre, il choisit d’organiser
— imparablement — sa propre postérité artistique. Il réalise ce programme en
abandonnant la plasticité courante de l’époque — il claironne notamment abandonner
la peinture — et en mutipliant les expérimentations formelles destinées à se détacher
de la matérialité pour affirmer la primauté créative de la pensée. C’est l’invention
claire et nette de l’art dit conceptuel.
Cette loi travaillée par Marcel Duchamp, nous l’appelons loi de la pesanteur — une
expression issue d’une des notes importantes et célèbres de la Boîte verte réalisée
par M.D. à partir de 1934. Elle s’articule autour du fait que toute production artistique
ne devient une œuvre d’art que s’il elle a dans un premier temps été rejetée par les
regardeurs puis dans une second temps réhabilitée par d’autres regardeurs. En creux,
les productions artistiques immédiatement acceptées par les effets du bon goût ne
sont pas conservées par la postérité. En somme, selon la loi de la pesanteur, l’artiste
ne pèse en rien sur le devenir de ses propres productions.
Marcel Duchamp s’est organisé sciemment en s’appliquant à lui-même cette loi, mais
en la manipulant à son profit, au sein d’une magistrale expérimentation qui dura tout
au long de sa vie... et même après. Ne pas dépendre du goût général mais au contraire
contraindre la postérité. C’est en grande partie à ce prix que l’art contemporain
continue à se définir actuellement.

portrait de M.D., Gilles Herbreteau, Marc Vayer, sculpture, 2020
230 x 57 x 82 cm + socle
copie du « Portrait de Marcel Duchamp » par Elsa von Freytag-Loringhoven 1919

« Le studio d’Elsa [14ème rue] était
bondé et empestait d’étranges reliques,
qu’elle avait volées pendant des années
dans les égoûts de New York. Vieilles
pièces de ferronnerie, pneus de voiture,
légumes dorés, une douzaine de chiens
affamés, peintures en celluloïd, cendriers,
toutes les horreurs imaginables, qui à
sa perception torturée mais hautement
sensibilisée, sont devenus des objets de
beauté formelle. »

poésie directe et ses sculptures d’objets
trouvés, souvent incorporées à ses
tenues, bouleversaient la hiérarchie
sociale et acceptaient les normes de
genre, ainsi que les distinctions entre
l’art et la vie. Elle incarnait un style de
vie anti-bourgeois. La Baronne était
George Biddle
une dynamo de la scène littéraire et
« Sarah, si tu trouves une boîte de
artistique new-yorkaise au tournant du
conserve dans la rue, reste près d’elle
siècle, au sein du groupe qui tenait salon
jusqu’à ce qu’un camion roule dessus.
chez les Arensberg et qui comprenait
Alors apporte-la-moi. »
Marcel Duchamp, Man Ray, Béatrice
Elsa Freytag-Loringhoven Wood, Francis Picabia, Mina Loy et bien
à Sarah Freedman McPherson d’autres. »
Vanessa Thill, Artsy.net, 2018
« Un jour normal, la baronne Elsa
von Freytag-Loringhoven portait du
Elsa Freytag-Loringhoven était une
maquillage aux couleurs vives, des
fervente amie de Marcel Duchamp
timbres-poste sur chaque joue et une tête avec qui elle partagea un temps
rasée (...). Ses accessoires comprenaient un atelier à New-York. Une de ses
également des oiseaux vivants, des
réalisations artistique, un anneau de
meutes de chiens, un soutien-gorge en
métal fortement rouillé qu’elle intitule
boîte de tomates, des bras pleins de
Enduring Ornament (1913) peut être
bracelets et des lumières clignotantes.
nommé « ready-made » avant l’heure,
Sa poésie peu conventionnelle, sa
un an avant que Duchamp n’invente le
terme désormais célèbre.

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°1

VATUMAVU, série Diane et Actéon, Marc Vayer, 2014
acrylique, feuille d’or, 220 x 100 cm

VATUMAVU est une des pièces d’un
dispositif de 13 papiers peints qui
évoque l’histoire mythologique de Diane
et Actéon rapportée dans le texte Les
Métamorphoses d’Ovide.
« Les mythes grecs et latins font souvent
le récit d’une même histoire : celle d’une
transgression des limites ontologiques
de l’humanité, de l’animalité et de la
divinité. Actéon, par son regard voyeur,
humanise la déesse Diane : il la voit, —
sans effroi et sans fascination, — offerte
à son désir dévorant. En réponse à sa
transgression, Diane l’animalise et le livre
à ses propres chiens. »

Michel-Elie Martin

L’ensemble des productions de Marcel
Duchamp relève de l’interrogation sur
le regard. De sa peinture nu descendant
un escalier n°2 (1912), dans laquelle
personne ou presque ne perçoit cette
petite sphère qui semble se mouvoir
de gauche à droite, jusqu’à sa dernière
installation posthume Étant donnés : 1°
la chute d’eau 2° le gaz d’éclairage…
(1968) qui ne peut être regardée que par
un œilleton découpé dans une épaisse
porte de bois, Marcel Duchamp n’a cessé

de vouloir transformer les « voyeurs en
voyants ». [Jean-Jacques Lebel]
« Seulement, dès lors qu’il est vu, Actéon
devient regardeur-regardé en même
temps que chasseur-chassé et, qui plus
est, chasseur que l’on chasse de l’autre
côté de la frontière censée séparer
l’humain de l’animal. Car, d’être ainsi
pris par le regard des autres, Actéon non
seulement perd sa propre maîtrise du
champ visuel, mais se trouve aussitôt
condamné à une sauvagerie qu’il
incombe à la civilisation de contenir dans
le cadre de ses représentations.
(...) les paroles que profère Diane, au
moment où elle transforme Actéon en
gibier, pour le punir de l’avoir surprise
nue, ne laissent aucun doute : « Va
raconter que tu m’as vue sans voile ! Si
du moins, tu le peux. » Rien n’est plus
clair : cette impossibilité de dire qui
implique l’interdiction de représenter a
pour fin de dénier bien sûr ce qui a été vu
mais aussi l’insatiabilité du désir qui fait
voir. »

Annie Le Brun,
Si rien avait une forme ce serait cela, 2010

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°2

tableau d’oculiste, Marc Vayer, 2020
Impression laser
copie d’un readymade potentiel, Marcel Duchamp, non daté

Le tableau d’oculiste, — dont la copie est
présentée ici, n’a jamais été un readymade déclaré par Marcel Duchamp. C’est
donc un ready-made resté potentiel.
Marcel Duchamp possédait cette charte
d’oculiste Weker et Masselon au moins
depuis 1920 ; une photographie de son
atelier de l’époque à New-York la montre
appuyée contre une cloison. L’original
est déposé et référencé officiellement au
Musée d’Art Moderne de Philadelphie.
« Transformer les voyeurs en voyants »,
— selon la pertinente formule de JeanJacques Lebel, était bien le programme
de Marcel Duchamp et sa préoccupation
constante comme en témoignent ses
dispositifs qui mettent en jeu le regard
du spectateur.
D’apolinère enameled aux témoins
oculistes du Grand verre, de rotative
plaques aux rotoreliefs, Marcel
Duchamp explore la « double vue » et
devint le précurseur de l’art cinétique.
Une fois constatée la cohérence
stupéfiante de l’ensemble de son
œuvre, on peut aller jusqu’à imaginer
— hypothèse destinée à s’interroger,

que Marcel Duchamp aurait pu
volontairement laisser ce ready-made
entre deux statuts, ready-made non
déclaré comme tel, mais toujours installé
dans son atelier et destiné à la seule
postérité.

L’acuité visuelle 10/10e correspondant
à un angle « de discrimination » de 1
minute, le caractère correspondant aura
une taille de 5 minutes. 5 minutes à 5
mètres -> 7,27mm Vous vérifierez que les
lettres de la ligne 10/10em s’inscrivent
dans un carré de 7,27mm de coté.
il s’agit d’une échelle logarithmique, c’est
à dire que la taille des lettres diminue de
moitié quand l’acuite double
La taille d’une lettre :
pour 1/10 em est de 70 mm x 70 mm
pour 2/10 em est de 35 mm x 35 mm
pour 4/10 em est de 17.5 mm x 17.5 mm
pour 8/10 em est de 8.75 mm x 8.75 mm
pour 16/10 em est de 4.37 mm x 4.37 mm

Charte de l’acuité visuelle professionnelle

MASTERPIECES dans les pas de Marcxel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°3

fac-similé « the blind man n°2 », may 1917
Marcel Duchamp, Henri-Pierre Roché, Béatrice Wood,
ugly duckling press, New-York, 2017, collection Marc Vayer

La publication de la Revue the blind man
prend place dans une stratégie plus large
développée par Marcel Duchamp à propos de
la proposition artistique intitulée Fountain.
M.D. est co-fondateur de l’exposition et de
la Société des Indépendants de New-York
qui programme à partir du 10 avril 1917, une
exposition « d’art moderne américain » au
Grand central palace à New-York. Il est coinitiateur des règles et conditions d’exposition
— entre autres : pas de jury de sélection ; il
suffit de payer un droit d’exposition et l’on peut
exposer ce que l’on veut ; l’ordre d’accrochage
est l’ordre alphabétique avec tirage au sort
de la première lettre : l’accrochage doit
commencer par la lettre R —. M.D. envoie
une œuvre comme exposant, mais sous le
pseudonyme de R. Mutt, un urinoir signé et
intitulé Fountain. Suite à la tenue d’un comité
qui refuse l’exposition de Fountain et dénie
son staut d’œuvre d’art, Il démissionne de
l’organisation de l’exposition.
M.D. est co-fondateur de la revue The Blind
Man. Dans The Blind Man n°1, daté du 10
avril 1917, jour de l’ouverture de l’exposition,
Pierre-Henri Roché fait un éloge argumenté
des statuts et des ambitions de la Société des
Indépendants de New-York.
Marcel Duchamp fait photographier Fountain
par Alfred Stieglietz, photographe très célèbre
à l’époque. IL écrit et fait écrire des textes
vantant les vertus de Fountain dans la revue

The Blind Man n°2, daté de mai 1917, avec la
photographie de Stieglitz, authentifiant ainsi
la présence de cette pièce dans la mémoire de
l’histoire de l’art. Fountain est alors « perdue »,
l’original n’a jamais été retrouvé...
Vingt années plus tard, en 1938, les premières
répliques, en modèles réduits, sont éditées à
25 exemplaires, pour les besoins des premières
« boites en valise », musée portatif fabriqué
par Marcel Duchamp.
Dix années plus tard encore, en 1948, une
première réplique grandeur nature est exposée
par Sidney Janis à New-York. Le processus de
réhabilitation est enclenché...
« (...) une des plus charmantes choses de la
nature humaine, c’est que même si un homme
se marie, il ne sera jamais réduit à son statut
de mari. (...) Cependant, pour ses employés,
il n’est rien d’autre que leur patron, pour ses
enfants, il n’est rien d’autre que leur père, et
pour lui-même certainement quelque chose de
plus complexe.
Mais avec les objets et les idées, c’est différent.
Récemment, nous avons eu l’opportunité
d’observer leur strict monogamie. Les jurés
de The Society of Independent Artists se sont
empressés de faire disparaître la sculpture
appelée Fountain — et envoyée par Richard
Mutt — parce que l’objet était irrévocablement
associé dans leurs esprits obtus avec une
certaine fonction naturelle d’ordre intime. »
[extrait] article « Le bouddha dans la salle de
bains » par Louise Norton, The blind man n°2,
1917. Traduction Marc Vayer.

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°4

double delay, Marc Vayer, 2019
readymade

Sitôt inventé, l’original de la pelle à
neige — arrachée par Marcel Duchamp à
son contexte trivial pour la transformer
en ready-made. — est perdu et c’est la
première réplique de 1945 qui trône à la
Yale University Art Gallery à New Haven
(Connecticut).
Actuellement, ce sont les répliques de
1964, approuvées par Marcel Duchamp,
qui sont exposées dans les plus grands
musées.
Le ready made double delay reprend le
dispositif d’accrochage qui préside à celui
des différentes répliques de in advance
of the broken arm.
Reprenons certains termes de Marcel
Duchamp dans le cadre de la « loi de la
pesanteur » :
suspendu par un fil à la voie lactée,
le readymade double delay tournoie
lentement dans l’air de la postérité,
projetant son ombre dans le monde
euclidien. Chacun en avance ou en
retard par rapport à l’autre, les deux
objets indifférenciés se cotoîent dans
l’indifférence du temps qui passe.

« (...) Ici, à N.Y., j’ai acheté des objets dans
le même goût et je les traite
comme des « readymade » tu sais assez
d’anglais pour comprendre le
sens de « tout fait » que je donne à ces
objets. — Je les signe et je leur donne une
inscription en anglais. Je te donne
qques exemples : J’ai par exemple une
grande pelle à neige sur laquelle
j’ai inscrit en bas : In advance of the
broken arm. traduction française : En
avance du bras cassé. Ne t’escrime
pas trop à comprendre dans le sens
romantique ou impressionniste ou
cubiste. Cela n’a aucun rapport avec ; (...)
Extrait de la lettre de Marcel Duchamp à sa sœur
Suzanne du 15 janvier 1916

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp/ Marc Vayer / fiche d’exposition n°5

porte-bouteilles, porte-bouteilles, 2020
readymade,
réplique de « porte-bouteilles », Marcel Duchamp, 1914

Il n’est pas très difficile de réaliser une
réplique du ready-made porte-bouteilles.
Comme Marcel Duchamp le fit en 1914,
il suffit de se rendre là où il peut être
vendu et de l’acheter, désormais que
dans le cadre d’une brocante.
Ceci dit, l’interrogation de base
provoquée par Marcel Duchamp est de
se demander s’il est suffisant de déplacer
cet objet dans le cadre d’une exposition,
pour en faire une œuvre d’art.

de sa définition la plus souvent citée —
« objet ayant accès au statut d’œuvre
d’art par la simple grâce de l’artiste »
— est sa version triviale, archétype
issu de l’esthétique de la brocante
industrielle. Le readymade est devenu
un style, une figure imposée du goût,
à l’opposé des conditions originelles
que s’était imposées Marcel Duchamp.
C’est le renversement de « la loi de la
pesanteur ».

« La chose curieuse à propos du
ready-made, c’est que je n’ai jamais
été capable d’arriver à une définition
ou un explication qui me satisfasse
pleinement ».

Marcel Duchamp,
entretien avec Katherine Kuth,
The artist’s voice, 1962

En soi, l’objet « déjà-fait » n’a
aucune valeur. Choisi sur un principe
d’indifférence, l’objet ready-made est
surtout un objet qui signal la transition
de ce que Marcel Duchamp a appelé
un « art rétinien » vers une approche
conceptuelle de sa propre démarche
artistique.
Le readymade est donc un vecteur
d’expérimentation et la version officielle

« [il n’y avait] aucune intention de farce
[dans le choix des ready-made] puisque
personne ne s’en occupait. Il n’y avait
pas de public, ce n’était pas présenté
au public. Il n’y avait pas du tout de
participation du public ou acceptation
du public ou même prendre le public
à témoin ou lui demander ce qu’il en
pensait, comprenez-vous… Je vous
dis, l’ensemble de toutes ces choses-là
étaient dans un climat où le public n’était
pas convié, n’était pas nécessaire du
tout ».
Entretien avec Jean Neyens,
FIN, n°5, galerie Pierre Brullié, juin 2000

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°6

hole, Marc Vayer, 2018
readymade

Le ready-made hole (2018) est le
pendant masculin du ready-made
fontaine (1917). Tous les regards triviaux
sont ici conviés et les connotations
sexuelles destinées à fleurir.
« Je voudrais saisir les idées comme
l’organe féminin enclôt l’organe mâle lors
du coït. »

Marcel Duchamp

Marcel Duchamp renverse cette évidence
pour tout occidental que le « faire »,
symbolisé par le phallus, est le principe
actif et, en conséquence, le « recevoir »
le principe passif. Pour Marcel Duchamp,
la production de l’artiste est un objet
femelle et le principe femelle est actif,
tandis que le regard du public, celui des
regardeurs est un principe mâle (ou
mâlique) passif.
Fontaine, une pissotière dans le monde
trivial, était destinée à être rejetée par
le public en tant qu’œuvre d’art puis à
être réhabilitée, soutenue par le flot du
discours critique.
Fontaine fonctionne avec le grand verre.
Disposée en bas à droite du domaine
des célibataires, fountain recueille le
gaz d’éclairage liquéfié et le projette

en gouttelettes vers le domaine de la
mariée, vers la postérité. Dans l’autre
sens, fountain recueille le discours
critique issu de la boîte à lettres du
domaine de la mariée.
« Il faut absolument remarquer que
cette dualité objet femelle de l’artiste/
discours mâlique du regardeur qui
caractérise l’œuvre d’art moderne
n’est pas une lubie de Duchamp
mais une très fine anticipation des
faits et se retrouve très clairement
constatée cinquante plus tard par
le célèbre historien et critique d’art
Harold Rosenberg : « une œuvre
d’art contemporaine est une sorte
de centaure mi-matériaux / mimots ; sans les mots, les matériaux
n’accéderaient pas au statut d’œuvre ».
Ce qui est devenu évident en 1960 a
été annoncé par Duchamp en 1917
par le choix du titre Fontaine. L’objet
lui-même, son urinoir refusé et perdu,
ne deviendra Fontaine, une œuvre d’art
assimilée, que par le flot de mots qu’il
aura suscité et qui viendra le compléter
pour en faire une véritable fontaine ».
Alain Boton, The large glass definitly explained,
à paraître.

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°7

semi trébuchet, Marc Vayer, 2021
readymade

Semi trébuchet est une proposition de
l’ordre de la citation, support visuel pour
imaginer les prémices de l’art conceptuel
tel que Marcel Duchamp les posaient au
début du vingtième siècle.
On dispose d’une photo de trébuchet
(1916), ce porte-manteaux décrété
readymade par Marcel Duchamp
et destiné à être fixé au sol. Portechapeaux et trébuchet, un portechapeaux et un porte-manteaux sont
présentés dans un porte-parapluies
lors d’une exposition en avril 1916,
à la Galerie Bourgeois à New-York.
Quasiment ignorésà l’époque, trébuchet
a disparu et porte-chapeaux vit une
certaine postérité par ses répliques
acrochées en quelques occasions dans
des expositions retrospectives.
Trébuchet fait partie des readymades
sans transformation, objet arraché à sa
fonction et à son usage d’origine pour
devenir un readymade, proposition
déviante des critères de production
artistique courants, objet choisi « au
principe d’indifférence », pièce parmi
d’autres de la « loi de la pesanteur ».

Le scandale est, dans la Bible, la pierre
qui fait trébucher, qui provoque la chute.
C’est la « pierre d’achoppement ».
Quasiment tous les readymades sont
des allégories et, ici, trébuchet est une
allégorie du scandale. Marcel Duchamp
affirme le rôle central du scandale dans
la fabrication sociale de l’œuvre d’art.
« Art ou anti art ça a été ma question
au retour de Munich en 1912 quand j’ai
dû prendre des décisions d’abandonner
la peinture pure ou la peinture pour elle
même et introduire des éléments très
divers, très étrangers à la peinture, la
seule façon de sortir de l’ornière picturale
ou de couleurs qui n’était pas du tout
ma façon d’envisager les choses à ce
moment là » […] « Personne ne pensait
qu’il pût y avoir autre chose que l’acte
physique de la peinture. On n’enseignait
aucune notion de liberté, aucune
perspective philosophique ».
Marcel Duchamp, ITW Jean Marie Drot
film Jeu d’échec 1963 Pasadena.

« [le travail a toujours été] une pierre
d’achoppement. Je trouve que le travail
pour vivre est une imbécilité. ».
Marcel Duchamp parle des readymades,
ITW Philippe Colin. 1967

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°8

rue Larey Houston, Marc Vayer, 2020
Tirage jet d’encre sur toile de bâche 150 x 100 cm d’un scan d’une reproduction
imprimée d’une photographie d’une salle d’exposition (1965 museum fine arts
Houston) sur les murs de laquelle est exposée le tirage grandeur nature de la
photographie de la porte séparant la salle de bain du salon au 11 rue Larrey, à Paris,
de 1927 à 1963.
En 1965, Marcel Duchamp expose
la photographie de porte, 11, rue
Larrey, grandeur nature. Il s’affranchit
de montrer la porte d’origine ou une
reproduction en trois dimensions. Si la
photographie vaut pour l’objet, c’est que
l’objet vaut pour l’idée. C’est exactement
la même logique qui le faisait réfléchir,
dans les années 1910 : « si les ombres
sont la projection 2D (deux dimensions)
d’un objet 3D (trois dimensions), les
objets 3D doivent être la projection d’un
univers 4D (quatre dimensions) ».
En aménageant 11, rue Larrey à Paris, en
1927, Marcel Duchamp et sa femme sont
confrontés à un problème domestique.
L’angle de deux pièces desservies par
deux portes était mal-commode. De
ces deux portes, Marcel Duchamp n’en
retint qu’une et fabriqua un système où
lorsqu’une pièce est fermée, l’autre est
ouverte, et vice versa. 36 ans plus tard, en
1963, Marcel Duchamp fit démonter cette
porte, puis l’exposa dans l’exposition de
la galerie Ekstrom à New-York. Il présenta
cette objet comme un readymade.

Comme la plupart des productions de
Marcel Duchamp, l’objet lui-même
est une métaphore et un élément
de compréhension de « la loi de la
pesanteur » que Marcel Duchamp
n’a cessé de mettre en scène. C’est la
métaphore du changement d’état d’un
objet d’art en œuvre d’art.
C’est la matérialisation d’un des énoncés
de la loi de la pesanteur : pour passer
d’un état à un autre, l’action de l’artiste ne
suffit pas ; il faut une action extérieure,
celle des regardeurs qui refusent dans
un premier temps, puis qui réhabilitent
dans un second temps. En elle-même, la
production artistique n’a pas de valeur.
Une porte, un nouveau cadre de référence
doit être ouvert, pour accréditer l’œuvre
et la transmuer d’objet à œuvre d’art.
Non seulement cet objet est l’évocation
matérielle de ce changement de cadre,
mais c’est également la métaphore
fermeture/ouverture de la condition
d’accession du statut de l’objet d’art à celui
de l’œuvre d’art.

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°9

mètre désaliéné, Marc Vayer, 2019
readymade aidé

Mètre désaliéné a quitté son carter, a
brisé son carcan. Le ressort est cassé. Le
mètre va s’émanciper.

« Refusant, de son côté, ce qu’il
nomme une peinture « rétinienne »,
Duchamp anticipe vers 1912 les futurs
développements de l’art conceptuel. La
réalisation ou incarnation de l’œuvre —
dans ce que l’on pourrait appeler une
matière ou une « chair » — n’est plus
indispensable à l’art. Celui-ci se réfugie
tout entier dans l’idée, l’intention ou
le programme. L’essentiel de l’œuvre
appartient désormais à l’ordre de
l’invisible et de l’immatériel. L’art
abstrait, qui s’est pour une large part
(Kandinsky, Mondrian) référé à des
valeurs spirituelles, voire mystiques,
en s’inspirant d’auteurs comme
Swedenborg, s’inscrit lui aussi dans cette
perspective dématérialisante. La matière
n’est désormais plus qu’un simple signe
et renvoie à une harmonie d’un autre
ordre. »
Histoire matérielle et immatérielle de l’art
moderne, Florence de Mérédieu, Bordas 1994

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°10

mètre émancipé n°1, Marc Vayer, 2019
Cannaregio, Venise, readymade aidé [par Gilles Herbreteau]

Mettre en place un protocole de
type expérimental pour concevoir
une production plastique est une
des inventions fulgurantes de Marcel
Duchamp qui a ouvert, depuis, les portes
et les fenêtres à tant de créateurs et de
créatrices.
Mètre émancipé échappe à son créateur.
Il disparaît, réapparaît puis re-disparaît.
Il a pris des coups. Il s’est patiné sous les
différents soleils du voyage.

« Certes, le mètre est un authentique
concept créé de toutes pièces par un
petit groupe de savants et de politiques.
Ni concept philosophique, pure idée
n’ayant nul besoin de matérialisation
pour agir, ni concepts scientifique
ne prenant sens que pour une petite
communauté de spécialistes, dans
l’espace du laboratoire, il est un concept
particulier, peut-être le seul de son
espèce. Sitôt créé, il doit — c’est le sens
même de sa création — donner vie à des
objets qui vont intervenir sur le champ
dans la vie quotidienne d’une population
entière. Un concept social en dur. Si l’on
veut que les mètres et les kilogrammes,
ainsi que toutes les unités intermédiaires,
innervent la société et parviennent
jusque dans les plus petits recoins du
territoire, il y a deux étapes à parcourir :
la définition à la création du prototype,
et de la réalisation des prototypes à la
fabrication en série. »
Le mètre du monde, Denis Guedj, 2000.

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°11

décamètre contrarié, Marc Vayer, 2021
readymade

« Toutes les mesures d’arc de Méridien
avaient un but géodésique affiché :
préciser la forme et la grandeur de
la terre. L’opération que l’assemblée
et l’académie lancent pendant le
Révolution Française est de tout autre
ordre, son dessein est métrologique.
Jusqu’alors on avait mesuré la terre
pour mieux la connaître, aujourd’hui
on la mesure pour définir l’étalon
universel de toutes les mesures.
Aujourd’hui on la mesure pour qu’elle
devienne la mesure. Retournement
diamétralement qu’il fait passer de la
mesure de la terre à la Terre comme
mesure. »

Le mètre du monde
Denis Guedj 2000

« Ces nouvelles techniques artistiques
de 1913-14 des tableaux inclassables
que sont les 3 stoppages étalons aux
sculptures toutes faites comme le
porte bouteille ou la roue de bicyclette,
découle d’une esthétique novatrice dont
le caractère principal est le positivisme.
Les notions déterminantes de cette
esthétique ne sont pas la ressemblance
et la vérité comme c’est le cas pour
l’esthétique réaliste dans toutes ses
nuances, ni les critères du beau, de la
mesure et de l’ordre comme dans les
esthétiques formalistes, mais le possible
au sens où toute chose peut être perçue
et pensée autrement. »
L’art comme expérience, les 3 stoppages étalon de
Marcel Duchamp, Herbert Molderings, Editions de
la Maison des sciences de l’homme, 2007

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°12

dead line, Marc Vayer, 2020
readymade aidé

Le ready-made dead line est une
évocation de l’abandon de la peinture
comme grande forme de création
artistique par Marcel Duchamp aux
alentours de 1912.
À partir de cette date, l’œuvre entière
de Marcel Duchamp est déterminée
par l’histoire du Nu descendant un
escalier n°2. Le tableau est refusé dans
un premier temps en France par les
propres amis de Duchamp, puis il accède
à l’énorme notoriété américaine.

Par la suite, Marcel Duchamp
évoquera constamment « la loi de
la pesanteur », mais toujours avec
des moyens plastiques différents, en
évitant soigneusement ... la peinture,
à l’exception notable du tableau tu m’,
justement destiné à évoquer de façon
manifeste un art de la « non-peinture ».

« Il y eu un événement en 1912 qui m’a
un peu tourné les sangs, si je puis dire,
c’est quand j’ai apporté le « Nu… » aux
indépendants et qu’on m’a demandé de
le retirer avant le vernissage […] Alors,
je n’ai rien dit. J’ai dit parfait, parfait, j’ai
pris un taxi jusqu’à l’exposition, j’ai pris
mon tableau et je l’ai emporté ».
Marcel Duchamp est confronté là très
fortement à la question de « l’amour
propre » qu’il ne cessera d’intégrer à ses
préoccupations et à sa pensée artistique.

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°13

réseau des stoppages, Marc Vayer, 2018
papier peint, 149 x 198 cm
copie du « réseau des stoppages », Marcel Duchamp, 1914

Marcel Duchamp déploie ces nouvelles
unités de mesure sur la toile Réseau des
stoppages.
Avec l’installation 3 stoppages étalon il
les avait déjà proposées, pour utiliser un
oxymore, en tant qu’« unités variables ».
Il semble avoir utilisé une toile déjà
peinte, reporte trois fois les « mètres
déformés » dans des positions
différentes, dispose des petits
cercles rouges qui correspondent à
l’emplacement de la tête des moules
malics, tout ceci pour tout déformer
en perspective et l’appliquer à l’image.
Dans un second temps, deux bandeaux
noirs sont peints aux extrémités
inférieure et supérieure du tableau, afin
de réduire la toile aux proportions du
grand verre. Marcel Duchamp projete
de photographier réseau des stoppages
de manière à obtenir le tracé des neuf
courbes, pour les reporter ensuite sur la
surface du verre. Abandonnant ce projet,
il reproduit néanmoins le motif en usant
d’une projection perspective classique.
D’esquisse de travail, ce travail devient
une œuvre d’art à part entière qu’il
intitule donc réseaux des stoppages.

C’est même une triple peinture, une
peinture palimpseste, puisqu’on
distingue dessous une précédente
ébauche de peinture qui devient sur une
autre toile jeune homme et jeune fille
dans le printemps (on voit à l’horizontal
des personnages) ; il y a aussi des
marques de cadres peints, sans doute les
débords d’une application de peinture
sur un autre cadre ou une feuille de
papier.
On peut regarder réseaux des stoppages
comme une cartographie, un diagramme
des propres règles de Marcel Duchamp.
Il décline ses propres unités déformées
trois fois en trois parties : une pour
l’unité, deux pour la dualité, trois pour la
multitude.

« Les 3 Stoppages-étalon jettent un doute
pataphysique sur le concept selon lequel
la droite est le plus court chemin d’un
point à un autre »
Marcel Duchamp, à propos de myself,
Duchamp du signe, champsarts p 240

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°14

9 kilomètres étalon [confiné] I & II, Marc Vayer, 2020.
Les 9 kilomètres étalon du centre de la ville de Nantes en régime de confinement.
impression laser 100 x 100 cm

En mars 2020, au début de la période
de confinement destiné à lutter contre
la contamination de la population par
le virus de la covid19, le gouvernement
français a édicté une règle de sortie
possible dans la mesure d’un kilomètre
autour de son lieu de confinement.
Le site Géoportail proposait alors le
calcul de cet aire de déambulation
autorisée. À partir du lieu de départ,
cette aire pouvait être calculée
par isodistance, calcul prenant en
considération les voies urbaines
disponibles pour un piéton.
À l’instar d’un Marcel Duchamp qui,
avec son installation 3 stoppages étalon
(1913) interrogeait la mesure officielle
du mètre (le mètre étalon de référence
est déposé au Pavillon de Breteuil
depuis 1889) et la confrontait à une
expérimentation de déformation, 9
kilomètres étalon [confiné] propose une
interrogation sur la validité du kilomètre
officiel sous régime de confinement.

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°15

pharmacie 2D, Marc Vayer, 2022
paysage breton, Jean Guilloux, 1955 (peinture à l’huile),
gomettes de couleurs verte et rouge.

Jean Guilloux, grand-oncle de Marc
Vayer, peignait pour son plaisir des
scènes de la campagne et de la côte
bretonne fouaisnantaise.

les problèmes de vision, porte d’entrée
dans d’autres mondes visuels et
spaciaux.

En 1914, Marcel Duchamp produit un
ready-made rectifié en trois exemplaires
intitulé Pharmacie. Marcel Duchamp
expose des ready-made pour la première
fois, à New York en avril 1916 et à la
galerie Montross, il présente Pharmacie.
Il dépose sur une chromolithographie
d’un paysage hivernal de Sophie de
Niederhausern une touche de couleur
verte et une touche de couleur
rouge, sous la forme de trois cercles
superposés. On pourrait identifier ces
deux taches comme des personnages
ou des bocaux de couleur... Mais
lorsque l’on rapproche cette image des
préoccupations constantes de Marcel
Duchamp sur le regard, les effets de
lumière et de mouvement, les normes
colorimétriques ... et les jeux de mots,
on pense inmanquablement à un
paysage maritime évocateur des voyages
transatlantique à venir entre les EtatsUnis d’Amérique et la France.
Plus tard, Marcel Duchamp s’ingéniera
à utliser ce ready-made pour évoquer

La présence de ces deux lumières [rouge
et verte] fait ludiquement allusion au
daltonisme et/ou aux couleurs alternées
d’un sémaphore (approprié à un train
ou à des phares ; un jeu de mots sur les
phares de la pharmacie. Par ce jeu de
mots, l’électricité s’inscrit dans l’image
sous une forme inversée, en tant que
courant alternatif, plutôt que courant
continu.
(...) Comme le suggèrent Ülf Linde et
Jean Clair, Pharmacie pourrait être la
première expérience de Duchamp en
matière de vision anaglyphique, car si
le spectateur enfile des lunettes rouges
et vertes, ces points fusionnent, générant une figure en relief sur le fond flou.
Cet effet stéréoscopique est exploré
explicitement dans une autre œuvre,
Stéréoscopie à la main (1918-19), où
deux pyramides visuelles (comme celles
que l’on trouve dans les traités sur la
perspective) passent au premier plan
lorsqu’elles sont regardées à travers ces
lunettes spéciales.
Dalia Judovitz, Déplier Duchamp, 1995

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°16

pharmacie 3D, Marc Vayer, 2021
bouées de corps mort, bâche plastique transparente 5 microns 400 x 500 cm
(version possible 200 x 250 cm)

En 1914, Marcel Duchamp produit un
ready-made rectifié en trois exemplaires
intitulé Pharmacie. Marcel Duchamp
expose des ready-made pour la première
fois, à New York en avril 1916 et à la
galerie Montross, il présente Pharmacie.
Il dépose sur une chromolithographie
d’un paysage hivernal de Sophie de
Niederhausern une touche de couleur
verte et une touche de couleur
rouge, sous la forme de trois cercles
superposés. On pourrait identifier ces
deux taches comme des personnages
ou des bocaux de couleur... Mais
lorsque l’on rapproche cette image des
préoccupations constantes de Marcel
Duchamp sur le regard, les effets de
lumière et de mouvement, les normes
colorimétriques ... et les jeux de mots,
on pense inmanquablement à un
paysage maritime évocateur des voyages
transatlantique à venir entre les EtatsUnis d’Amérique et la France.
Plus tard, Marcel Duchamp s’ingéniera à
utliser ce ready-made pour évoquer les
problèmes de vision, porte d’entrée dans
d’autres mondes visuels et spaciaux.

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°17

why not ?, Marc Vayer, 2021
readymade. Coquetier en argent, sable volcanique (Vik, Islande), pierre ponce (Ljotipollur, Islande), os de seiche, coffret « ortofon ».

En 1921, Marcel Duchamp créé, dans le
cadre d’une commande pour la sœur de
Katherine Dreier, un ready-made qu’il
intitule Why Not Sneeze Rose Sélavy ?
C’est une sculpture/assemblage
constituée d’une cage à oiseau en
métal peint, de 151 cubes de marbre
qui ressemblent volontairement à des
morceaux de sucre, d’un thermomètre,
d’un os de seiche et de 2 petits récipients
en céramique blanche. Sont inscrits sur
la cage : « Marcel Duchamp 1964 » et
sous la cage, en lettre capitales : WHY/
NOT /SNEEZE /ROSE / SELAVY? / 1921
Rose Sélavy (le double RR de Rrose
apparaitra plus tard) est un personnage
inventé par Marcel Duchamp et qui signe
« à sa place » nombre d’œuvres à partir
de 1919. On peut affirmer ici que Rrose
Sélavy est la veuve de Marcel Duchamp
passé à la postérité.

lorsqu’il fait dire ceci à Marcel Duchamp :
« Je maîtrise (cage à oiseau) par mon
intelligence (thermomètre) le processus
de transmutation qui va transformer un
objet de consommation courante (sucre)
en œuvre d’art (marbre) une fois que je
serai mort (os de seiche) ».
why not ? est une proposition de l’ordre
de la citation. L’assemblage évoque
les oppositions chaud/froid et lourd/
léger en vigueur en Islande, terre de
volcans et de glaciers où la roche est
parfois si légère. Elle évoque la tension
permanente entre la dégradation et le
renouvellement de la matière.

Why not sneeze Rose Sélavy ? semble
être un concentré de la Loi de la
pesanteur, telle qu’elle permet à Marcel
Duchamp d’évoquer la notion de
postérité.
Nous suivons totalement Alain Boton

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°18

fac-similé « de ou par MARCEL DUCHAMP ou RROSE SELAVY »,
dite « boîte-en-valise ». Boîte série G, 1968 designed and editor by Mathieu Mercier,
Editions Walther Kônig, Kôln, 2020, collection Marc Vayer

Une des grandes frontières que le travail
de Marcel Duchamp fait franchir pour
déterminer ce qui est ou non « de l’art »,
c’est celle de la « réplique » ou de la
« série ».
Très tôt dans l’exercice de son art, Marcel
Duchamp a voulu conserver la mémoire
d’une production dont les originaux
n’étaient pourtant pas destinés à être
conservés, notamment les ready-made.
Il fait photographier « Fountain »
par Alfred Stieglitz, il conserve
précieusement des photos de son
atelier dans lesquelles apparaissent
des objets depuis longtemps disparus.
Lorsqu’il participe à l’élaboration ou la
réalisation d’un catalogue, d’un livre ou
d’une revue, il récupère un maximum
de feuilles imprimées dans l’optique
d’alimenter sa « boîte en valise » en
gestation. Ainsi naît cet objet sans
équivalent, une boite éditée à quelques
centaines d’exemplaires qui contient
des dizaines de reproductions des
productions de Marcel Duchamp.

Mathieu Mercier a eu le projet de rendre
accessible à ceux qui le désiraient cette
boite dont les originaux fabriqués en
série étaient devenus trop chers à l’achat
sur le marché de l’art. Nous sommes
donc en présence d’une reproduction
de la boite originale mais diminuée de
6%, aussi porteuse d’émotion — certains
diraient « porteurs d’aura » — que les
originaux, eux-mêmes reproductions de
photographies et … reproductions de
ready-made eux-mêmes reproductions
en série d’objets manufacturés ou
imprimés. etc.

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°19

La boîte noire, Marc Vayer, 2015-2023
1000 et quelques notes non numérotées « centenaire Marcel Duchamp »

À partir de 1934, Marcel Duchamp
fabrique et édite La boîte verte en
300 exemplaires + 20 éditions de tête.
L’emboîtage en carton vert porte le titre
La mariée mise à nu par ses célibataires
même. Il est perforé au poinçon sur le
couvercle, les lettres « M » et « D » en
cuivre collées sur le recto et le verso.
Chaque boîte contient 93 documents
(1911-1913) fac-similés de notes, dessins
et reproductions d’œuvres se rapportant
au Grand verre.
Depuis l’année 2014, La boîte noire
a recueilli, au fur et à mesure de son
élaboration, les brouillons, premiers jets
et esquisses de la rédaction des textes
« Marcel Duchamp, vite ; la loi de la
pesanteur » écrits par Marc Vayer dans
le cadre du centenaire Duchamp. C’est
un work in progress qui pourrait bien
ne s’interrompre qu’avec la mort de
l’auteur et ainsi accéder, par la grâce de
la postérité achevée, au statut de boîte
d’artiste.

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°20

boîte alerte à secrets, Marc Vayer, 2020
readymade

boîte alerte à secrets est une boîte d’acier
laquée d’une couleur rouge alerte. Elle a
été vidée de son contenu, resté jusqu’à
présent secret.
boîte alerte à secrets fait écho à deux
productions de Marcel Duchamp.
La Boîte alerte constituait le catalogueobjet de l’Exposition inteRnatiOnale du
Surréalisme (EROS), événement organisé
par André Breton et Marcel Duchamp à
la galerie Daniel Cordier en 1960. Dans
cette boîte en carton de couleur verte
sous titrée « missives lascives », conçue
par Duchamp et réalisée par Mimi Parent,
se trouve le catalogue proprement dit,
augmenté d’un lexique de l’érotisme et
de divers objets, contributions artistiques
originales des artistes participant·e·s.
À bruit secret est l’assemblage d’une
pelote de ficelle, de plaques de laitons et
de boulons + un petit objet secret placé
au cœur de la pelote, au printemps 1916.
Les 3 exemplaires d’À bruit secret sont des
cadeaux destinés à des amis de Marcel
Duchamp.
.IR. CAR.É LONGSEA
F.NE, HEA., .O.SQUE.
TE.U S.ARP BAR.AIN

« Avant que je le termine, (Walter)
Arensberg a mis quelque chose à
l’intérieur de la bobine de ficelle ; il ne
m’a jamais dit ce que c’était, et je ne
voulais pas savoir. C’était une sorte
de secret ; il fait du bruit, donc nous
l’appelons ready-made à bruit secret, et
nous l’écoutons. Je ne saurai jamais si
c’est un diamant ou une pièce. »
Mais le secret est scellé sous une
énigme, puisque sur les deux plaques
de métal qui compriment la ficelle se
trouvent gravés des mots auxquels il
manque une lettre et qui devraient
normalement constituer un message.
Mais personne ne semble avoir jamais
réussi à en recomposer le sens. Cette
énigme n’a d’ailleurs pas obligatoirement
de solution. Peut-être s’agissait-il
seulement d’affirmer l’existence d’une
énigme.
« Sur les plaques de cuivre, j’inscrivis
trois courtes phrases dans lesquelles
des lettres manquaient çà et là comme
une enseigne au néon lorsqu’une
lettre n’est pas allumée et rend le mot
inintelligible. »
Marcel Duchamp

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°21

le petit grand verre, Marc Vayer, 2019
gravure laser sur plexiglas, 15 x 24 cm

Le petit grand verre est une
reproduction très réduite du Grand verre
(277,5 x 175,9 cm), œuvre de Marcel
Duchamp originalement intitulée La
mariée mise à nue par ses célibataires
même. Le petit grand verre est destiné
à tournoyer indéfiniment sur son axe.
Il contient ici, gravé, l’image du readymade Fountain absent de l’original.
L’image globale du Grand verre est celle
d’un dispositif technique, le descriptif
d’une machinerie qui enchaîne les
actions dans un mouvement de cause
à effet. La Mariée mise à nu par ses
célibataires même est une œuvre
d’art totale. Elle est polysémique et
anthropologique. Elle mêle l’intimité des
affects amoureux et la modernité des
processus mécaniques et machinistes
pour décrire le programme sociologique
de l’art moderne.
C’est aussi, par analogie, le descriptif
du protocole de l’expérimentation mise
en œuvre par Marcel Duchamp dont on
rappelle qu’elle consiste à proposer ses
readymades en comptant bien qu’ils
soient dans un premier temps refusés
ou ignorés, puis, dans un second temps
réhabilités et intégrés dans le circuit, le
barnum artistique.

Ceux que Marcel Duchamp appelle les
regardeurs choisissent, par souci de
distinction, des objets qui ont été refusés
par le plus grand nombre et décident
que ces objets élus par eux deviendront
des œuvres d’art, incluses dans des
collections, présentées dans des musées,
intégrées dans le marché de l’art.
Le Grand Verre est un diagramme qui
décrit le mécanisme du changement de
statut — à l’époque moderne — d’un
objet fabriqué par un artiste en œuvre
d’art reconnu par la postérité. Aussi, en
bas à droite du Grand verre, on peut
donc disposer non seulement n’importe
quel ready-made, mais aussi n’importe
quelles œuvre d’art.
Marcel Duchamp a même anticipé
cent ans à l’avance les dérives actuelles
du marché de l’art en ne participant
plus à ce marché dès 1912, puis
simultanément en réalisant ce Grand
verre explicatif du phénomène de « chefd’œuvrisation » (C’est l’auteur de ces
lignes qui commet ce néologisme).

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°22

3 valentine, Marc Vayer, 2020
Readymade aidé

3 valentine joue avec le mode de
l’anagramme.
Les jeux de mots, les jeux avec les mots
font partie du répertoire créatif de
Marcel Duchamp.
De ses premiers dessins édités dans la
presse au tout début du XXème siècle
jusqu’à son dernier souffle en 1968, il
joue avec les mots, leur double ou leur
triple sens.
Ces jeux textuels lui permettent de
rendre polysémique ses productions et
de perdre le regardeur dans un regard
trivial, en tant qu’il n’a pas les codes pour
s’y retrouver... La postérité se chargera
d’élucider les énigmes posées.
Michel Sanouillet, dans l’introduction
qu’il écrit pour la publications de
Duchamp du signe et notes aux éditions
Champsarts, note que : « le caractère
« burlesque ou grivois » [des jeux de
mots de Marcel Duchamp] n’est le plus
souvent qu’un écran de fumée destiné à
attirer le regard instinctif du lecteur et à
lui dissimuler la substantifique moëlle.
Ainsi s’explique que cette « grivoiserie »
et ce « burlesque » soient souvent d’une

telle primarité qu’ils provoquent cet
étonnement navré qui accueille dans la
bonne société la chute d’une plaisanterie
de bas étage ; ou pis encore le fiasco
d’une astuce ratée ».
Techniquement, Michel Sanouillet
développe : « Pratiquement toutes les
interventions de Duchamp peuvent être
définies comme des variations apportées
à un stéréotype linguistique figé (cliché,
aphorisme, proverbe, dicton, etc.), qu’il
soit apparent ou occulté. Il suffit, ici
comme ailleurs, de « distendre un peu les
réalités physiques et chimiques ».
Au niveau du mot, le double calembour
de Duchamp est dans la plupart des cas
axé sur une dialectique homophonie/
homographie, homonymie/paronymie.
Toutes les interférences, relations et
combinaisons son/sens/graphie sont
utilisées ».
Enfin, il conclut : « On observera que le
mobile commun qui sous-tend toutes ces
règles est un souci constant d’extrême
économie, que l’on retrouve d’ailleurs
dans l’œuvre plastique de Duchamp. L’art
est pour lui le plus efficace des moyens
d’expression : un effort minime de la part
du créateur devra donc entraîner des
effets considérables ».

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°23

kit pour un paysage fautif

MODE D’EMPLOI

• 1 feuille noire au format 21 x 16,5 cm
• 1 gant de manipulation
• 1 image de femmes nues
• 1 mode d’emploi dessiné

A - Se mettre [à] nu

kit pour un paysage fautif, Marc Vayer, 2021,
réinterprétation de « paysage fautif », Marcel Duchamp, 1946
1 feuille noire au format 21 x 16,5 cm ; 1 gant de manipulation ; 1 reproduction du
tableau « Le sommeil » de Gustave Courbet (1866) ; 1 mode d’emploi dessiné.

B - Disposer la feuille noire devant soi
C - Enfiler le gant de manipulation sur une main

D - Tenir la reproduction du « sommeil » de l’autre

Paysage fautif a été placé dans la Boîte
en valise destinée à Maria Martins (boite
12/20).

E - Se masturber

F - Ejaculer sur la feuille noire
G - Disperser au doigt le sperme
sur la surface de la feuille
à l’identique du modèle
proposé

H - Signer et encadrer

Avec cette production, Marcel Duchamp
condense beaucoup du langage imagé
et métaphorique qu’il emploie le plus
souvent.
Le regard est convoqué à une énigme
visuelle qui ne trouve pas de réponse
sans complément d’informations ; Le
curseur de la trivialité est au plus haut ;
la métaphore du désir créatif qui jaillit
sans entrave est limpide.

« En 1946, âgé de 59 ans, Marcel
Duchamp produisit une composition
réalisée entièrement avec sa propre
semence. L’œuvre n’étant pas destinée
à la consommation publique, mais à
une amie avec qui Duchamp partageait
alors une relation intime et très privée,
il est logique de conclure que le moyen
du l’œuvre était son message. Lorsque
Paysage fautif fut réalisé, cette usage
du sperme pour l’expression artistique
était unique en histoire de l’art ; cette
œuvre devait faire école à plus d’un titre
et les générations suivantes allaient lui
procurer bien des successeurs ».
Francis N. Naumann, Marcel Duchamp L’art à
l’ère de la reproduction mécanisée, 1999.

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°24

stencil, BobT, 2021,
carton, bombe peinture glycéro, ruban adhésif

BobT est un street artiste qui travaille
au pochoir dans les rues de Nantes
depuis 2020. Les graphes et les pochoirs
qui dénoncent ou s’opposent à l’ordre
institutionnel font partie des activités
artistiques qui restent encore réellement
underground.
C’est Marcel Duchamp qui donne au
terme underground son sens actuel, en
s’appropriant le mot au-delà du sens
premier et trivial de « souterrain » utilisé
notamment pour qualifier le métro.
Au bout du compte, Marcel Duchamp
cherche à montrer que l’artiste est en fait
le plus fort. Il revendique sans relâche
l’immanence de l’acte créatif — la création
sincère — qui l’emportera toujours sur
la transcendance déïste de la société —
la religion, le marché, l’amour normé
comme des croyances soumises à la
consommation.
Dans sa conférence Where do we go
from here ? (Où allons-nous à partir de
maintenant ?) donnée au Philadelphie
Museum College of Arts en Mars 1961,
Marcel Duchamp prophétise la place de
l’art à la fin du XXème siècle : « The great
artist of tomorrow will go underground »
(L’artiste de demain sera invisible).
Le mot fait mouche et à partir de là, c’est
une véritable contagion qui va gagner

la décennie des années 1960. Entre
1960 et 1965, c’est l’épithète la plus en
vogue pour désigner les multiples formes
d’expérimentations dans tous les domaines
artistiques, largement popularisées au sein
de la Factory d’Andy Warhol.

« C’est ce à quoi j’ai toujours voulu
échapper, être professionnel dans le sens
d’être obligé de vivre de la peinture, ce qui
produit un peu mais... c’est non confirmé
une fois fait... et surtout vous savez ce qui
se passe quand les marchands d’art vous
disent : « Ah ! si vous me faites dix tableaux
dans ce style, j’en vendrai autant que vous
voudrez ». Alors... ce n’était pas du tout mon
intérêt ni mon amusement, donc je ne l’ai
pas fait. Je n’ai rien fait. Puis c’était comme
ça, je suis allé à une conférence. Une table
ronde qui a eu lieu à Philadelphie, où on
m’a demandé « Où allons-nous ? » Moi, j’ai
simplement répondu : « La grande fortune
de demain se cachera. Va se cacher. » En
anglais, c’est mieux qu’en français : « Will
go underground. » Il faudra qu’elle meure
avant d’être connue. Moi, à mon avis, s’il
y a un type important d’ici un siècle ou
deux - eh bien ! il se sera caché toute sa vie
pour échapper à l’influence du marché...
complètement mercenaire [rires] si j’ose
dire. »
Interview of Marcel Duchamp,
RTBF, 1965 par Jean Neyens

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°25

3 véroniques, archeiropoïète inframince
Marc Vayer, juillet 2021

Le Chariot et la broyeuse de chocolat du
domaine des célibataires dans la mariée
mise à nu par ses célibataires même et
le double cœur volant sont traités ici en
véronique, comme par l’effet d’une trace
laissée à même des linges dessinés en
trompe-l’œil.

À partir de la fin du VIème siècle
apparaissent dans le monde byzantin des
représentations du Christ « non faites de
la main de l’homme » (archeiropoïètes),
censées être la trace du visage ou du
corps du Christ.
« Les exemples les plus marquants
[des images prototypiques de la
chrétienté] sont le Mandylion d’Edesse
(...), la Véronique et le Saint Suaire
de Turin devant quoi les chrétiens
d’aujourd’hui viennent encore plier les
genoux à l’occasion de très solennelles
ostentations. De ces images dites
archiropoïètes (sic) c’est à dire « non
faites de la main d’homme » on retiendra
surtout le lien structural, extrèmement
élaboré qui y conjoint l’élément
légendaire avec les procédures concrètes
de présentation ou de « présentabilité ».
Ce qui frappe d’abord, (...) c’est qu’il
s’agit en général d’objets triviaux,
humbles à l’excès, n’ayant à montrer que
le haillon de leur matière. Mouchoirs
de vieux lin ou linceuls calcinés, ils
n’exhibent en somme que le privilège
supposé — mais exorbitant — d’avoir
été touché par la divinité. Ils sont des
reliques autant que des icônes. »
George Didi-Huberman,
Devant l’image, 1990.

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°26

fac-similé « manuel d’instruction pour Etant donnés... », 2000
Anne d’Harnoncourt, éditions du Musée d’art moderne de Philadelphie,
collection Marc Vayer

Marcel Duchamp a forgé le concept dit
d’inframince. Il l’utilise pour qualifier les
écarts entre un original et sa réplique
et, par extension, dans la loi de la
pesanteur, pour qualifier cet instant
inperceptible de changement de statut
que marque le changement d’un état
à un autre, aussi bien dans le champ
concret de la matière et les objets que
dans le champ social.
Après que Marcel Duchamp ait donc
institué la réplique comme un outil
pour constater l’écart entre l’original
et la copie, les fac-similés de certaines
publications qu’il a réalisées deviennent
eux-aussi des opérateurs d’inframince.
Qu’importe l’original et son « aura »
fantasmé, pourvu qu’on puisse
manipuler une copie suffisemment
crédible pour nous entraîner dans la
réflexion.
« Inframince, ce n’est pas, en soi, un mot
très mystérieux. On pourrait peut-être
dire infime ou infinitésimal. (...) Duchamp
[a] employé la notion d’inframince en
relation avec celle de ressemblance.
Lorsqu’il formule, pour sa propre œuvre,
l’impératif exigeant et paradoxal de
perdre et de faire perdre la possibilité
de reconnaître, d’identifier deux choses

semblables, l’artiste exprime l’idée que
l’écart est son opération de prédilection
mais aussi que cette écart, pour être
véritablement opératoire, doit être
inframince. (...)
Duchamp pose la question de l’inframince
en relation avec celle de « semblablité »
ou « similarité », — soit une façon
de poser le « même » sur un modèle
exemplifié par... la « fabrication en série ».
(...) Le maximum de précision dans
le tirage de deux exemplaires sortis
du même moule qu’il s’agisse d’une
empreinte traditionnel ou de modernes
« objets fait en série », ne parviendra
jamais à l’identité, à la perfection
du « même ». Les « techniques de
précision » n’atteignent jamais la
mêmeté : elles sont par essence des
« techniques d’approximations »
asymptomatique. Fussent-ils donc
moulé avec le maximum de précision,
deux objets issus d’une même matrice
donneront deux individus qui, quoi
que très semblables, seront affectés
dans une valeur d’écart, bref d’une
différence inframince — cela justement
qui doit nous faire perdre la possibilité
de reconnaître, d’identifier des choses
semblables ».
Georges Didi-Hunerman, La ressemblance
par contact, Les éditions de minuit, 2008.

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°27

grandes calligraphies, Marc Vayer, 2019-2021
diagrammes du nominalisme de Marcel Duchamp

Marcel Duchamp utilise un langage visuel
et textuel codé que lui-même a qualifié de
« nominalisme pictural ».
Nous dirons que Marcel Duchamp a
inventé son propre langage formel pour
évoquer ses thèmes de prédilections.
Forcément, ce langage a quelque chose
de codé. Il est codé car c’est une invention
personnelle et il est codé car l’expérience
duchampienne de la loi de la pesanteur
doit se déployer sans qu’elle soit
réellement connue en temps réel.
On peut tenter ici une formulation
de cette Loi de la pesanteur avec son
nominalisme, son vocabulaire associé.
À l’ère moderne, — depuis Monet,
Courbet, — les productions artistiques
plastiques subissent le regard trivial
de la majorité des regardeurs. L’œuvre
est tirée vers le bas, elle acquière une
pesanteur qui l’empêche d’accéder à la
reconnaissance et qui l’empêche d’être
valorisée à sa juste valeur artistique.
Les regardeurs sont ces personnages qui
pèsent de leur regard sur l’œuvre. Sur
l’échelle du jugement de goût, plus le
regard est trivial, plus il alourdit l’œuvre,

il l’encombre de ses a priori, de ses
convention sociales, des filtres du bon
ou du mauvais goût, etc. Et plus le regard
est bienveillant, plus il allège l’œuvre, la
dépouillant de toutes les considérations
pour la laisser légère de sa seule
existence.
Toute production artistique est source
de lumière, et l’artiste et ses productions
sont des porteur d’ombre. Comme
l’ombre est la projection 2D d’une
production en 3D, alors, La production
artistique en 3D est la projection d’un
monde inconnu de nous, et inaccessible,
en 4 dimensions. Seuls les artistes
arrivent parfois à révéler que c’est une
forme de grâce inframince.
Une fois encore, toute production
artistique ne deviendra œuvre d’art
que si elle est dans un premier temps
refusée — soumise au jugement de goût
trivial majoritaire des regardeurs —, puis
dans un deuxième temps réhabilitée
— soumise au jugement de goût lié
au principe de distinction de certains
regardeurs, principe autrement appelé
par Marcel Duchamp renvoi miroirique.

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°28

rotoreliefs, 1935
Diamètre des disques : 201 mm
Copies en mouvement sur deux tourne-disques, Marc Vayer, 2021

Rotorelief - 1935
Paris, 11 Rue Larrey, 1935.
Edition originale.
Ensemble de 6 disques imprimés double
face sur carton titrés :
Rotorelief n°1 Corolles (recto)
Rotorelief n°4 Lampe (Verso)
Rotorelief n°2 Œuf à la coque (recto)
Rotorelief n°3 Lanterne chinoise (verso)
Rotorelief n°5 Poisson japonais (recto)
Rotorelief n°6 Escargot (verso)
Rotorelief n°7 Verre de bohême (recto)
Rotorelief n°8 Cerceaux (verso)
Rotorelief n°9 Montgolfière (recto)
Rotorelief n°10 Cage (Verso)
Rotorelief n°11 Eclipse totale (recto)
Rotorelief n°12 Spirale blanche (verso)

« FAIRE TOURNER LENTEMENT LES
DISQUES OPTIQUES ROTORELIEF DANS
OU SANS L’ETUI SUR LE PLATEAU D’UN
PHONOGRAPHE : L’IMAGE EN RELIEF
APPARAITRA AUSSITOT.
POUR OBTENIR LE RELIEF MAXIMUM,
REGARDER D’UN OEIL A TRAVERS LE
VISEUR CI-JOINT, TENU A DISTANCE.
LA FACE A PETIT DIAMETRE DE L’ETUI EST
DESTINE AUX PETITES IMAGES.
LE PIVEAU DU PLATEAU GENANT LE
PLACEMENT DES DISQUES OPTIQUES,
ENTASSER
DE

MUSIQUE

QUELQUES

DISQUES

JUSQU’A

COMPLETE

DISPARITION DE LA POINTE.
ROTORELIEF, 11 RUE LARREY, PARIS-V »
Edition (originaux) limitée à 500
exemplaires (300 ont disparu lors de la
seconde guerre mondiale).

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°29

balance, Marc Vayer, 2021
potence de laboratoire (2022), trébuchet de voyage (début XVIIIème siècle), jeton de
métro New-yorkais (1970).

Une petite balance de voyage, autrement
appelée trébuchet, antérieure à la mise
en application du système métrique,
tente de peser un jeton de métro Newyorkais.
Comme l’a démontré de façon
convaincante Alain Boton dans son
livre Marcel Duchamp par lui-même,
ou presque (2012), il faut sans doute
aller chercher le philosophe Bergson et
son texte sur le rire pour comprendre
l’usage métaphorique fait par Duchamp
de la verticale et de l’horizontale, de la
notion d’équilibre et de balancement, de
l’expression manieur de gravité, jusqu’à
cette utilisation des termes d’inframince
et de co-intelligence des contraires.
« La loi de la pesanteur » peut d’ailleurs
se présenter comme une réflexion qui
opère entre la question de « jugement
de goût » et celle de « la postérité ».

« On pensera aussitôt au quiproquo. Et le
quiproquo est bien en effet une situation
qui présente en même temps deux sens
différents, l’un simplement possible,

celui que les acteurs lui prêtent, l’autre
réel, celui que le public lui donne. Nous
apercevons le sens réel de la situation,
parce qu’on a eu soin de nous en montrer
toutes les faces ; mais les acteurs ne
connaissent chacun que l’une d’elles : de
là leur méprise, de là le jugement faux
qu’ils portent sur ce qu’on fait autour
d’eux comme aussi sur ce qu’ils font euxmêmes. Nous allons de ce jugement faux
au jugement vrai ; nous oscillons entre le
sens possible et le sens réel ; et c’est ce
balancement de notre esprit entre deux
interprétations opposées qui apparaît
d’abord dans l’amusement que le
quiproquo nous donne. On comprend que
certains philosophes aient été surtout
frappés de ce balancement, et que
quelques-uns aient vu l’essence même
du comique dans un choc, ou dans une
superposition, de deux jugements qui
se contredisent. Mais (...) il est aisé de
voir, [...] que le quiproquo théâtral n’est
que le cas particulier d’un phénomène
plus général, l’interférence des séries
indépendantes, et que d’ailleurs le
quiproquo n’est pas risible par lui-même,
mais seulement comme signe d’une
interférence de séries. »
Le rire / Bergson 1900

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°30

ADENTAS
potentiels
En fonction des budgets de production.
2015 - 2023
https://www.centenaireduchamp.blogspot.fr
mvayer@numericable.fr

Dans la mesure où les budgets de production le permettraient, les pièces qui suivent
pourraient être incluses à l’exposition MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp.
Les pièces ne manquent pas, tout autour du Monde, qui se sont appuyées sur les
principes déployés par Marcel Duchamp lui-même. Certaines peuvent nous aider à
mieux saisir la logique duchampienne qui mène de la mise en action du regardeur à la
mise en scène de la postérité, en passant par tous les artifices pour saisir les passages
de la 4D à la 2D ou par l’illustration du concept d’inframince.

Alice et le dragon, Michèle & Daniel Chastel-Amossé, sculpture, 2013
papier maché, 230 x 57 x 82 cm + socle bois 52 x 50 x 60 cm

Michèle et Daniel Chastel-Amossé sont
deux sculpteurs qui travaillent à quatre
mains et il n’en fallait pas moins pour
réaliser cette haute sculpture de papier
maché délicate et sensuelle.
De l’autre côté du miroir (Through
the Looking-Glass, and What Alice
Found There) écrit par Lewis Carroll
en 1872, qui fait lui-même suite au
livre Les Aventures d’Alice au pays des
merveilles, du même auteur, écrit en
1865, était le volume qu’utilisait Marcel
Duchamp pour donner des cours de
français lorsqu’arrivé à New-York en
1915, il lui fallut bien récolter quelque
argent pour subsister.
Le miroir, les effets de transparence, le
passage de l’autre côté du verre, l’effet
Lincoln-Wilson, le cuir synthétique ciré
sont des figures largement déployées
par Marcel Duchamp pour renvoyer les
regardeurs face à leur propre vanité.
C’est l’évocation du « renvoi miroirique »
qui explicite le fait que « le regardeur
face à un chef d’œuvre de l’art y
contemple son propre goût objectivé ou,
plus franchement, se contemple, lui et sa
glorieuse culture, dans l’œuvre comme
dans un miroir. » [Alain Boton]

MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp / Marc Vayer / fiche d’exposition n°I

Le Grand verre typo-typographe, Richard Hamilton,
impression numérique 2003

Richard Hamilton a fondé une grande partie de sa production artistique à partir des préoccupations duchampiennes sur la créativité artistique. Il a beaucoup correspondu avec Marcel Duchamp, il a réalisé une
copie de « La mariée mise à nu par ses célibataires même », certifiée et signée par Marcel Duchamp, il a
tenté de décrypté le nominalisme duchampien en produisant des images vectorisées tel le Grand verre
typo-typographe.

, même Marcel Duchamp, (SCP) [la Société de Conservation du Présent],
installation, ordinateur, disquettes 1988

« En 1988, nous avons lancé le coffret de collection sur l’aventure Duchamp (, même Marcel Duchamp),
qui comprenait notamment les archives de l’évènement du 28 juillet 1987. Il y avait quatre disquettes, une
cassette audio, une vingtaine de photographies puis une liasse de textes, dont une partie était une explication technique pour reconstituer l’installation de Duchamp, et un texte éditorial de type pamphlétaire.
La liasse de papiers contenait aussi un index des photos. C’est donc ce catalogue plurisupport qui clôturait
notre activité Duchamp.»

ROTORELIEFS
Version numérique conçue et réalisée par Pascal Goblot.
Contact : rotorelief@escalenta.com
© Association Marcel Duchamp – ADAGP pour les dessins des Rotoreliefs.

Sculpture de voyage, Brigitte Cardinal.
Réplique, 2016.

Existe en 4 versions programmables :
• 1 DRD avec les 12 disques qui se succèdent.
• 2 DRD avec les 6 disques qui se succèdent synchronisés, tantôt verso, tantôt recto.
• 6 DRD avec les 6 disques en simultané, alternativement recto et verso.
• 12 DRD avec les 12 disques en simultané.
En 1935, Marcel Duchamp crée les « ROTORELIEFS », une série de 6 disques optiques imprimés recto/
verso. En tournant à 33 tours/minute, les Rotoreliefs font surgir la 3ème dimension. Présenté en 1935
au concours Lépine à Paris, Marcel Duchamp ne vendit qu’un seul exemplaire de ses disques. Quelques
années plus tard, les Rotoreliefs devinrent des pièces recherchées des collectionneurs. En 2018, sous la
supervision de l’Association Marcel Duchamp, Escalenta propose la version numérique des Rotoreliefs,
permettant de voir les 12 disques optiques en mouvement.

Marcel Duchamp avait réalisé ce readymade avec des bonnets de bain découpés et assemblés. Mais
semble-t-il dégradé par l’assèchement de la matière, il ne restait plus qu’un témoignage photographique
de l’œuvre.

Palimpseste (stratégie d’évasion)
2018, Marianne Mispelaëre

Evoque une action de réécriture libératrice. Ce qui pourrait être le signe du repentir devient le moyen
simple et inattendu de faire œuvre. En reproduisant un rectangle à l’aide d’une gomme effaçable bleue
sur le mur, l’artiste réalise une poétique de la matière en mouvement : effacer, faire apparaître, laisser
des traces. Par la soustraction, le gommage devient instrument de projection, la poussière bleue forme
l’ écume de la disparition. Il en ressort une impulsion fondamentale de faire du monde une chose, de faire
du mur blanc un monde? Effacer devient la possibilité de refuser le néant, d’apercevoir la matière en ses
mouvements les plus essentiels. [in exposition « Rien de trop » L’atelier Nantes 2018 / Sandra Doublet Alain Le Provost]

La boite verte de Ernest T.,
https://sites-recherche.univ-rennes2.fr/cabinet-livre-artiste/incertain-sens/programmation_archives_duchamp.htm
« […] Il était facile de faire cette Boîte. Et amusant. J’ai quand même mis quatre ans à réaliser les documents,
entre 1934 et 1940. […] J’allais chez l’imprimeur tous les jours. Je faisais tout moi-même. Cela m’a coûté très
peu cher. […] J’ai fait beaucoup de choses en phototypie, en grandes feuilles (1). »
« Artiste-collectionneur » semble être une des facettes originales d’Ernest T. S’il convient d’en parler ici,
c’est parce que La Boîte verte de Marcel Duchamp se trouve déballée sous les vitrines du Cabinet du livre
d’artiste sur sa proposition, et de surcroît, elle provient de sa propre collection d’artiste. Notre interrogation
– pourquoi souhaite-t-il attirer l’attention sur cette publication ? – est donc double : qu’y a-t-il en elle que
l’on a pas encore vu ? et : qu’apporte à l’art le fait qu’elle soit présentée au Cabinet du livre d’artiste par un
autre artiste ?
Une précision est d’emblée nécessaire, car à force de l’éviter, on risque d’en rater le sens. La Boîte verte
fut publiée en 1934 à trois cents exemplaires par les Éditions Rrose Sélavy, 18, rue de la Paix (2). Rrose
Sélavy étant une signature ironique de Marcel Duchamp lui-même (3), il s’agit donc d’une publication à
compte d’auteur (4) de quatre-vingt-trois notes manuscrites, dessins et autres documents qui ont accompagné, entre 1911 et 1915, le travail préparatoire pour le « Grand Verre », réalisé, lui, entre 1915 et 1923, les
deux portant le titre : La Mariée mise à nu par ses célibataires, même. Il faut bien s’entendre sur le terme «
publication », car il y a ambiguïté. Il s’agit d’une impression en phototypie (collotype en anglais), une technologie utilisée notamment pour l’impression des anciennes cartes postales ; c’est donc à l’aide d’un procédé
industriel que Duchamp a choisi de réaliser les fac-similés des notes et dessins sur des bouts de papiers, de
qualité et de nature variant d’une feuille à l’autre. Certains documents ont été imprimés en plusieurs couleurs pour restituer les traits de crayons rouges ou bleus, et la planche représentant les « 9 Moules Mâlic »
a été coloriée au pochoir.
Et c’est là quelque chose que Marcel Duchamp ne dit pas ouvertement, tout en laissant des indications.
Pourquoi fallait-il quatre ans, de surcroît après la date indiquée comme étant celle de la parution, pour réaliser La Boîte verte ? À la question de Pierre Cabanne : « Vous avez fait les 300 exemplaires vous-même ? »,
l’artiste répond (on est en 1966) : « Il ne sont pas terminés. Il en reste une centaine à faire. Les choses sont
imprimées en paquets de 300. On fait une Boîte (5). Puis on prend les reproductions au fur et à mesure. […]
On en fait des paquets de 25 à la fois. Il faut un petit mois, sans se presser, pour faire une Boîte (6). » « Mais
qui la fait ? », demande Pierre Cabanne. « Actuellement une jeune femme de ma famille, répond l’artiste.
Avant, c’étaient d’autres personnes. Les vingt premières, qui étaient les vingt de luxe, où il y avait un original,
je les ai faites moi-même (7). » Autrement dit, Marcel Duchamp imprime ou fait imprimer les fac-similés de
ses notes et autres documents « par paquets de trois cents », mais récupère des feuilles qui ne sont pas encore massicotées au bon format. Et pour cause : une trentaine de papiers, certains très petits, ont des bords
déchirés. D’autres sont découpés, mais en des formes irrégulières, souvent pas tout à fait rectangulaires.
Pour produire les fac-similés, Marcel Duchamp a donc fait faire des découpes à l’aide de patrons en zinc pour
chaque document (8) ! Nous faisons donc face à un paradoxe : tout le travail manuel, les efforts titanesques
de découpage, etc., le temps que prend finalement la réalisation des trois cents exemplaires de La Boîte
verte, produisent pourtant un résultat particulièrement non spectaculaire. La Boîte verte serait donc une publication en trompe-l’œil. C’est d’abord un livre qui n’en est pas un, car c’est une boîte dont le contenu est en
désordre, mais que l’on peut toutefois ranger dans une bibliothèque comme on range les livres. C’est aussi
une impression industrielle réaménagée à la main : peut-on alors y voir une « reproduction mécanisée » ?
En tout cas, elle est parfaitement impersonnelle car une bonne part de la réalisation était confiée à d’autres
personnes (comme plus tard chez Sol LeWitt). Tout semble donc être l’effet d’une illusion, comme au second
degré (livre/non-livre, impression/non impression, production/reproduction, mécanique/manuel).

Bouddah en contemplation
2020, Salvatore Garau

« le vide n’est rien d’autre qu’un espace plein d’énergie et même si nous le vidons et qu’il ne reste plus
rien, selon le principe d’incertitude de Heisenberg, ce rien a un poids. Par conséquent, il a une énergie qui
se condense et se transforme en particules. Qui est en nous. Après tout, ne façonnons-nous pas un Dieu
que nous n’avons jamais vu ? »
C’est une sculpture atypique qui a été vendue à Milan le 18 mai par la maison de ventes Art-Rite,
spécialisée dans l’art contemporain. Intitulée Io Sono (« je suis »), — une autre version s’intitule
«Bouddha en contemplation» — l’œuvre de l’artiste italien Salvatore Garau a cette originalité
d’être… invisible. Cela ne l’a pas empêchée de se vendre pour 15 000 euros, alors que la mise à
prix avait été fixée à 6 000 euros. L’acquéreur, qui a préféré rester anonyme, a bien reçu un certificat de garantie et d’originalité de l’œuvre. « Un de mes collectionneurs a toutefois l’intention de
prendre contact avec la maison de vente aux enchères Art-Rite pour faire une offre de reprise au
propriétaire anonyme », indique cependant au Monde l’artiste Salvatore Garau.
Bien qu’invisible, cette sculpture existe bel et bien, selon son créateur. Ce dernier a même donné le mode d’emploi pour l’exposition de cette œuvre immatérielle : elle doit être installée au
sein d’une maison privée, au centre d’une pièce dégagée, dans un carré de 150 centimètres sur
150, délimité par du ruban adhésif au sol. Et que représente-t-elle ? Tout dépend de celui qui la
regarde. « Io Sono est le portrait de quiconque prononce ou pense au titre devant l’espace vide,
explique son auteur. La liberté d’interprétation est totale. Qu’elle serve à se penser autrement, en
s’abstrayant de tout et surtout des images ! » Cette immatérialité de l’œuvre a néanmoins provoqué des incompréhensions, voire des critiques, de la part de certains observateurs. « Ne rien voir
rend fou. S’il est mal interprété, le vide crée des angoisses », justifie son auteur.
https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/06/11/en-italie-une-sculpture-invisible-vendueaux-encheres-pres-de-15-000-euros_6083767_4500055.html

Carnets d’échantillons Duchamp du fil,
Marie France Dubromel, 2018.

Carnet préparatoire au livre RECORTES, sur le thème des patrons de couture. mfd 2015. Réflexion sur
Marcel Duchamp et son rapport à la Couture, après la visite de l’exposition Marcel Duchamp, au Centre
Pompidou, en octobre 2014. https://mercerieambulante.typepad.com/

liste des productions de Marcel Duchamp citées
dans l’exposition MASTERPIECES dans les pas de Marcel Duchamp

Portrait de Marcel Duchamp, Elsa von Freytag-Loringhoven, 1919

3 stoppages étalon, Marcel Duchamp, 1913

Enduring Ornament, Elsa von Freytag-Loringhoven, 1913

9 moules malics (détail du Grand verre), Marcel Duchamp, 1915

nu descendant un escalier n°2, Marcel Duchamp, 1912

jeune homme et jeune fille dans le printemps, Marcel Duchamp, 1911

étant donnés : 1° la chute d’eau 2° le gaz d’éclairage…, Marcel Duchamp, 1968

pharmacie, Marcel Duchamp, 1914

apolinère enameled, Marcel Duchamp, 1916

why not sneeze rose sélavy ?, Marcel Duchamp, 1921

témoins oculistes (détail du Grand verre), Richard Hamilton, dessin 1954

boîte en valise, Marcel Duchamp, 1936

la Mariée mise à nu par ses célibataires même dit « Le Grand verre », Marcel Duchamp, 1915-1923

la boîte verte « La mariée mise à nu par ses célibataires même », Marcel Duchamp, 1934

rotative plaques, Marcel Duchamp, 1920

boîte alerte, Marcel Duchamp, 1959

rotoreliefs, Marcel Duchamp, 1935

à bruit secret, Marcel Duchamp, 1916

fountain, Marcel Duchamp, 1917

paysage fautif, Marcel Duchamp, 1946

in advance of the broken arm, Marcel Duchamp, 1915

broyeuse de chocolat (détail du Grand verre), Marcel Duchamp, 1913 - 1915

porte-bouteilles (photographie d’atelier), Marcel Duchamp, 1914

chariot (détail du Grand verre), Marcel Duchamp, 1913 - 1915

trébuchet, Marcel Duchamp, 1917

double cœur volant, Marcel Duchamp, 1936

porte-chapeaux, Marcel Duchamp, 1917

Tu m’, Marcel Duchamp, 1918

porte, 11, rue Larrey, Marcel Duchamp, 1927
réseau des stoppages, Marcel Duchamp, 1914

Enduring Ornament 1913
Elsa von Freytag-Loringhoven

Portrait de Marcel Duchamp 1919
Elsa von Freytag-Loringhoven
nu descendant un escalier n°2 1912
étant donnés :
1° la chute d’eau 2° le gaz d’éclairage… 1968

témoins oculistes (détail du «grand verre»),
dessin Hamilton 1964

apolinère enameled 1916

la Mariée mise à nu par ses célibataires même
dit « Le Grand verre », 1915-1923

rotative plaques 1920, réplique 1970

In advance of the broken arm 1915, réplique 1964

rotoreliefs 1924, photo Man Ray

fountain 1917, photo Alfred Stieglitz dans The blind man.

porte-bouteilles 1914, réplique 1964
Porte-chapeaux 1917, réplique 1964.

trébuchet, 1917 Marcel Duchamp,
Photo retouchée par Marcel Duchamp pour la boîte en valise.

réseau des stoppages, 1914

3 stoppages étalon, 1913

stéréoscopie à la main, 1918
porte, 11 rue Larrey, 1927
jeune homme et jeune fille dans le printemps, 1911

pharmacie, 1914

9 moules malics, 1914

why not sneeze rose sélavy ? , 1921. réplique 1964.

boite verte, 1924

A bruit secret, 1916

boite en valise série F, 1935-1942
boite alerte, 1959

paysage fautif, 1946

broyeuse de chocolat n°2, 1914
Tu m’, 1918

chariot (détail du Grand verre 1925), gravure 1966

cœurs volants, couverture revue cahiers d’art, 1936


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