Dissertation Etude
de
textes
Dissertation
:
ARAGON,
Le
Paysan
de
Paris
Introduction
Dans
les
années
vingt,
Louis
Aragon,
à
l’exemple
de
ses
contemporains
pris
dans
l’aventure
surréaliste,
recherche
une
réalité
observée
au
cours
de
ses
promenades
dans
les
profondeurs
de
la
ville
de
Paris.
Le
Paysan
de
Paris,
un
de
ces
écrits
que
l’on
pourrait
qualifier
de
roman
surréaliste,
témoigne
de
cette
recherche
au
travers
de
la
description
de
lieux
urbains
tels
que
le
passage
de
l’Opéra
et
les
Buttes‐
Chaumont.
Ces
différents
lieux,
qui
dans
la
réalité
sont
chargés
d’écriteaux,
de
textes
en
tout
genres,
sont
reproduits
par
Aragon
de
manière
«
brute
»
dans
le
texte.
En
observant
un
tel
procédé,
est‐il
alors
possible
de
définir
Le
Paysan
de
Paris
comme
un
exemple
de
«
transition
du
texte
de
la
ville
à
la
villetexte
»,
notion
introduite
par
le
critique
allemand
Karl
Heinz
Stierle
dans
son
essai
Paris,
Capitale
des
signes
?
Nous
nous
interrogerons
d’abord
sur
la
signification
réelle
de
la
notion
de
«
transition
du
texte
de
la
ville
à
la
villetexte
»,
puis
nous
étudierons
comment
celle‐ci
est
mise
en
œuvre
par
Aragon,
et
enfin
nous
nous
intéresserons
à
la
réelle
volonté
de
l’auteur
sur
son
travail
autour
de
cette
«
villetexte
».
1
Affirmer
qu’
Aragon
dans
Le
Paysan
de
Paris
opère
«
une
transition
du
texte
de
la
ville
à
la
villetexte
»
conviendrait
à
affirmer
que
nous
passons
d’un
état
de
choses
à
un
autre.
Ainsi,
le
texte
de
la
ville
(pancartes,
publicités)
se
transformerait,
se
muterait
en
un
ensemble,
comme
une
entité
englobant
la
ville
et
le
texte
;
comme
si,
l’on
ne
pouvait
dissocier
les
écrits
présents
dans
la
ville
avec
celle‐ci.
De
la
sorte,
Aragon,
lors
de
ses
descriptions
de
la
ville
de
Paris,
que
se
soit
dans
Le
Passage
de
l’Opéra
ou
Le
Sentiment
de
la
nature
aux
ButtesChaumont,
incorpore
et
intègre
de
manière
physique
dans
l’écrit,
les
textes
de
la
ville
par
un
procédé
de
collage.
La
ville
n’est
alors
plus
uniquement
ville
mais
une
véritable
«
ville
texte
»,
les
descriptions
de
celle‐ci
s’entremêlant
avec
ses
propres
textes.
Ainsi,
dans
l’écrit,
Paris
devient
une
ville
aussi
bien
composée
de
lieux
comme
le
passage
de
l’Opéra,
qu’une
ville
composée
de
textes
occupant
une
place
à
part
entière
aux
cotés
de
lieux
physiques.
Les
mots
ont
alors
autant
d’importance
que
l’architecture.
Mais
comment
cela
se
traduit‐il
réellement
dans
Le
Paysan
de
Paris
?
La
notion
de
«
transition
du
texte
de
la
ville
à
la
villetexte
»
n’aurait
pas
lieu
d’exister
sans
les
collages
effectués
par
Aragon
au
sein
de
son
récit.
Les
collages
présents
dans
le
texte
ont
ainsi
une
intention
réaliste
visible.
Par
exemple,
à
l’occasion
de
la
description
du
café
Certa,
dans
Le
Passage
de
l’Opéra,
Aragon
intègre
au
texte
une
pancarte
émanant
du
propriétaire
des
lieux
et
qui
évoque
la
spoliation
dont
il
fait
l’objet
(p.34)
Dès
lors,
articles
de
journaux,
et
annonces
diverses
se
succèdent
et
deviennent
autant
de
pièces
d’un
dossier
assez
complet
sur
le
sujet.
Les
collages
peuvent
également
devenir
publicités.
Ainsi,
le
prix
des
places
pour
le
Théâtre
Moderne
est
indiqué
sur
le
document
«
collé
»
par
l’auteur
(p.85).
Plus
loin,
la
carte
du
café
Certa
est
insérée
intégralement
dans
le
texte.
Il
s’agit
pour
Aragon
de
vanter
la
qualité
du
Porto
que
l’on
trouve
dans
le
café,
ainsi
que
les
services
des
garçons.
Plus
loin,
une
publicité
pour
les
biscuits
Molassine
est
aussi
mentionnée.
2
Mais
dans
Le
Sentiment
de
la
nature
aux
ButtesChaumont,
Aragon
va
encore
plus
loin.
Le
collage
des
inscriptions
qui
figurent
sur
le
rond‐point
du
parc
occupe
plusieurs
pages
(p.
195‐203).
Les
listes
des
salles
et
des
crèches,
des
écoles
communales,
des
quartiers
du
XIXe
arrondissement,
de
ses
commissariats
nécessitent
un
mode
d’approche
particulier.
Le
lecteur
prend
connaissance
des
écrits
mais
ne
saurait
les
lire
véritablement.
Le
Maître
d’Université
Michel
Meyer,
va
même
jusqu’à
comparer
ce
procédé
à
l’art
du
ready‐made
:
«On
ne
peut
contempler
un
readymade
de
Marcel
Duchamp,
portebouteille
ou
urinoir
:
on
prend
acte
de
son
existence,
on
en
sourit
ou
l’on
crie
au
scandale.
Ici,
certains
pourraient
parler
de
supercherie
ou,
une
fois
encore,
de
jeu
dadaïste.»
Mais
les
pancartes
qui,
sur
le
rond‐
point
des
Buttes‐Chaumont,
remplissent
une
fonction
utilitaire,
et
qui
devraient
se
réduire
à
cette
fonction,
prennent
ici
une
autre
valeur
:
la
précision
des
indications
devient
absurde
et
comique
;
ainsi
après
un
apport
quasi‐documentaire,
les
collages
apportent
un
décalage
burlesque.
3
La
technique
du
collage,
comme
nous
l’avons
vu
précédemment,
consiste
à
intégrer
au
texte
des
‘‘morceaux’’
d’affiches
ou
de
n’importe
quels
autres
documents.
Aragon
dans
un
ouvrage
intitulé
:
Les
collages,
publié
en
1965,
s’exprime
sur
cette
technique
qu’il
utilisa
pour
Le
Paysan
de
Paris
:
il
explique
que
le
choix
du
collage
est
d’abord,
comme
le
calligramme
chez
Apollinaire,
un
moyen
d’établir
une
relation
entre
deux
arts
voisins
:
la
peinture
et
la
poésie.
Dans
le
même
ouvrage,
le
travail
sur
le
collage
d’Aragon
semble
prendre
la
forme
d’une
réflexion
sur
le
langage:
«Dans
l’écriture,
quand
j’étais
très
jeune
encore,
l’idée
du
collage,
de
la
transposition
du
collage
dans
l’écriture,
de
l’équivalent
à
y
trouver
du
collage
me
possédait
assez
constamment.
(…)
La
forme
essentielle
de
cette
obsession
est
le
lieu
commun
qui
est
un
véritable
collage
de
l’expression
toute
faite,
d’un
langage
de
confection,
dans
le
vers
:
d’abord
employé
comme
l’image,
ou
tout
autre
élément
traditionnel
du
poème,
je
veux
dire
incorporé
à
la
phrase
poétique,
puis
tendant
à
s’isoler,
à
se
passer
du
ciment
des
mots,
à
devenir
le
poème
même.»
(p.119).
Ainsi,
le
lieu
commun
devient
un
matériaux
propre,
le
collage
permet
alors
de
dépasser
la
volonté
d’originalité,
car
tout
semble
avoir
déjà
été
écrit.
Néanmoins
si
Aragon
semble
décrire
le
procédé
comme
une
réflexion,
il
rajoutera
quelques
lignes
plus
loin
:
«
puis
c’est
devenu
un
style,
rien
de
plus.»
Conclusion
Il
est
assez
pertinent
de
dire
que
sous
les
yeux
du
lecteur
du
Paysan
de
Paris,
se
dévoile
une
«
ville‐texte
»
en
l’occurrence
la
ville
de
Paris,
puisque
les
descriptions
de
celle‐ci
sont
entremêlées
de
textes
de
la
ville
intégrés
par
l’utilisation
de
collages.
Néanmoins,
il
faut
garder
à
l’esprit
que
cette
approche
est
une
interprétation
extérieure
à
l’auteur,
qui,
lui,
convient
que
ce
procédé
était
avant
tout
artistique
voir
presque
un
unique
effet
de
style.
De
plus,
il
serait
assez
maladroit
de
définir
l’ensemble
du
Paysan
de
Paris
autour
de
la
notion
de
«
transition
du
texte
de
la
ville
à
la
villetexte
»,
étant
donné
que
ce
phénomène
n’est
visible
uniquement
que
dans
deux
parties
du
livre,
à
savoir
Le
Passage
de
l’Opéra
et
Le
Sentiment
de
la
nature
aux
ButtesChaumont
;
car
en
effet
cette
transition
ne
s’opère
pas
dans
les
parties
Préface
à
une
mythologie
moderne
et
Le
Songe
du
paysan.
4